Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 3. Féval Paul

Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 3 - Féval Paul


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pas tuée?

      L'oncle Jean l'attira sur son cœur.

      – Nous la retrouverons, dit-il encore. Je vous promets que nous la retrouverons!..

      Il avait de bonnes paroles pour consoler et rendre un espoir qu'il ne gardait point lui-même, car des fenêtres de sa chambre il avait vu Robert emporter son fardeau à travers le jardin et descendre ensuite au grand galop le chemin qui conduisait au bac.

      Son premier mouvement avait été de poursuivre le ravisseur, car l'échelle dressée contre la fenêtre de l'Ange lui donnait tout à deviner; mais lorsqu'il atteignit Port-Corbeau, Robert avait déjà passé l'Oust, et courait ventre à terre sur la route de Redon.

      C'était Robert que Vincent de Penhoël, revenant au manoir, avait rencontré dans le taillis, à la hauteur du bourg de Bains.

      Tandis que l'oncle Jean remontait tristement la colline, Vincent poussait son cheval de toute sa force. Il avait grande hâte d'arriver. Depuis six mois qu'il était parti, aucune nouvelle du manoir ne lui était parvenue. Tout à l'heure, pendant qu'il traversait Redon, ceux qu'il avait interrogés sur Penhoël avaient secoué la tête sans répondre.

      Il y avait un endroit dans la ville où l'on savait toujours ce qui se passait à Penhoël. Vincent était entré à l'auberge du Mouton couronné, mais depuis le matin l'auberge avait changé de maître: le vieux Géraud et sa femme, ruinés tous deux, s'étaient retirés au port Saint-Nicolas, de l'autre côté de la Vilaine.

      Vincent avait dans l'âme un pressentiment douloureux. Mais, en même temps, son cœur battait de joie. Quelques minutes encore et il allait revoir l'Ange. Comme elle devait être embellie! Ce brusque retour, que rien n'annonçait, allait-il amener un sourire autour de sa jolie lèvre ou une larme dans ses grands yeux bleus?..

      Depuis que Benoît Haligan était trop vieux pour remplir son office de passeur, on avait installé de l'autre côté de l'eau une cloche qui s'entendait jusqu'au manoir.

      En descendant de cheval, Vincent courut au poteau; il trouva là le bac qui avait servi au passage de Robert.

      Au lieu d'agiter la cloche, Vincent sauta dans le bac et fut bientôt sur l'autre bord. Au moment où il touchait la rive, la lueur faible qui éclairait toujours, à cette heure, la loge du pauvre Benoît, frappa son regard. Il monta, en courant, le petit sentier, et pénétra dans la cabane.

      – Que Dieu vous bénisse, Penhoël!.. lui dit Haligan comme il passait le seuil; voilà l'orage qui vient… je le sens aux douleurs de mon pauvre corps.

      – Y a-t-il du nouveau au manoir?.. demanda Vincent timidement.

      – Le manoir est debout, mon fils… répliqua Benoît qui restait immobile, couché sur le dos et les yeux fixés à la charpente fumeuse de sa loge.

      Vincent respira.

      – J'avais peur!.. murmura-t-il.

      Puis il ajouta gaiement:

      – Comment se porte mon bon père?

      – Ton père se porte comme un homme chassé de son dernier asile… répondit Haligan.

      Vincent recula stupéfait.

      – Quoi!.. s'écria-t-il, Penhoël a chassé mon vieux père?

      – Mon fils, répliqua le passeur, Penhoël ne peut plus donner d'asile à personne… On l'a chassé lui-même du manoir.

      – Oh!.. fit Vincent qui n'en pouvait croire ses oreilles; et Madame?

      – Chassée.

      – Et mes sœurs?..

      Le vieux Benoît se signa.

      – Mortes!.. murmura-t-il.

      – Mortes?.. répéta Vincent qui tomba sur ses genoux; mes sœurs!.. mes pauvres sœurs!.. Et Blanche?..

      Benoît ne répondit point tout de suite.

      – Penhoël, dit-il enfin, avez-vous rencontré un homme à cheval sur votre route?

      – Oui… balbutia Vincent.

      – Cet homme ne portait-il pas quelque chose entre ses bras?

      – Oui… dit encore le jeune homme.

      – Eh bien, reprit Haligan, ce quelque chose, c'était Blanche, votre cousine!

      Vincent poussa un cri déchirant.

      Le passeur s'était retourné vers la ruelle de son lit.

      Au bout de quelques secondes, Vincent se releva d'un bond, passa de nouveau le bac et remonta sur son cheval.

      Il allait à la poursuite du ravisseur de Blanche et ne savait pas même son nom. Le ravisseur revenait en ce moment vers le manoir, au trot paisible de sa monture.

      Robert de Blois avait enlevé Blanche pour son propre compte, et à l'insu de Pontalès. C'était le résultat d'une idée fixe qu'il avait. A son sens, Louis de Penhoël était revenu, ou du moins il ne pouvait manquer de revenir. Les bruits qui couraient à ce sujet dans le pays prenaient chaque jour plus de consistance. On en était à présent aux détails. On disait que l'aîné rapportait des colonies une fortune très-considérable. Il y avait des gens pour préciser le chiffre de cette fortune.

      Par l'enlèvement de Blanche, Robert pensait se ménager une excellente ressource. Connaissant à fond l'histoire intime des Penhoël, et sachant les rapports qui avaient existé entre Louis et Marthe, il se disait: «Si ce brave homme est véritablement riche, l'Ange pourrait bien être la meilleure part du gâteau… Ma foi, vivent les oncles d'Amérique!»

      Il aurait bien trouvé un prétexte quelconque d'éloigner Madame, mais le hasard lui épargna ce soin. Marthe, qu'il guettait depuis la tombée de la nuit, sortit, comme nous l'avons vu, pour se rendre au cimetière de Glénac. Robert profita de l'occasion, et comme la porte était fermée à double tour, il planta une échelle contre la fenêtre et monta à l'assaut.

      L'Ange dormait. A son réveil, elle se trouva entre les bras d'un homme dont elle ne voyait point le visage, et qui l'emportait enveloppée dans ses couvertures. L'effroi qu'elle ressentit fut trop violent pour sa faiblesse; elle eut à peine le temps de pousser un cri qui s'étouffa sous la couverture, et perdit connaissance.

      Tout semblait favoriser le rapt; mais au moment où Robert, chargé de sa proie, mettait le pied dans le jardin, il se trouva face à face avec le maître de Penhoël.

      Robert, qui s'était armé à tout hasard, ne songea même pas à faire usage de ses armes. Il y eut entre lui et René une scène courte et caractéristique. René, si bas qu'il fût tombé, gardait bien ce qu'il fallait d'énergie pour défendre sa fille, même contre Robert; mais ce dernier le dominait, pour ainsi dire, par chaque fibre de son être.

      Il ne se déconcerta point, et répondit à la première question de René en découvrant le visage de Blanche.

      Puis il dit:

      – Je l'enlève… Croyez-moi, Penhoël, cela ne vous regarde pas.

      C'était toucher du premier coup l'endroit malade. Il y avait trois ans que Robert travaillait à envenimer les soupçons qui étaient au fond du cœur de René; la tâche était presque achevée; à peine fallait-il encore une calomnie.

      Blanche fut déposée sur un banc de gazon. Robert tira de sa poche le portefeuille contenant les deux lettres que nous avons lues, et qu'il avait volées l'une à Marthe et l'autre à René lui-même.

      Il fit semblant de chercher quelque passage et de déchiffrer quelques lignes. Naturellement il trouvait dans les lettres tout ce qu'il voulait.

      Il y trouva, entre autres choses, des phrases improvisées par lui-même et qui se rapportaient à l'apparition de Louis de Penhoël dans le pays quelques mois avant la naissance de Blanche.

      Penhoël ressentait une sorte de joie sauvage à se convaincre du prétendu crime de sa femme.

      Il ne doutait plus.

      Robert avait raison. Que lui importait à lui, Penhoël,


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