Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 3. Féval Paul
de Penhoël.
– Vous et lui!.. reprit-il avec un sauvage élan de colère; lui surtout, le poison de ma vie!.. lui, le plus lâche des hommes!
Il s'était avancé jusque sous le portrait. Il leva la main, et son poing fermé tomba sur la toile qui se creva, percée à la place du cœur.
René ne se connaissait plus. Il arracha le cadre et le précipita brisé sur le sol; puis il foula aux pieds l'image de son frère en laissant éclater une joie forcenée.
Le bruit qu'il faisait l'empêcha d'entendre la porte du salon qui s'ouvrait doucement. La lampe, privée de son verre, ne jetait plus qu'une lueur vacillante et fumeuse. Marthe et René ne virent point qu'une personne se glissait entre les battants de la porte et restait immobile dans l'ombre, à côté de l'entrée.
René trépignait sur la toile souillée et déchirée, où l'on n'aurait plus reconnu les traits de son frère.
Marthe le regardait, saisie d'horreur, comme si elle eût assisté à un meurtre.
René s'arrêta enfin, énervé par ce rire épuisant et irrésistible des gens ivres.
– Oh! oh!.. fit-il; le vieux Benoît avait bien dit que je l'assassinerais!.. A votre tour, maintenant, madame!..
Il gagna, en se faisant un appui de la muraille, le portrait du vieux commandant de Penhoël. Au-dessous de ce portrait, comme nous l'avons dit, pendait un trophée d'armes. René y prit une épée.
Il ne riait plus.
Il se découvrit et fit le signe de la croix.
– Tout est fini pour nous deux, madame… prononça-t-il d'une voix sourde et résolue. Faites comme moi… dites votre prière.
Il s'appuya sur la garde de l'épée, et ses lèvres remuèrent comme s'il eût récité une oraison.
Marthe se traîna vers lui sur ses genoux.
– René… murmurait-elle en étendant ses bras suppliants, je veux bien mourir… et je vous pardonnerai du fond du cœur… Mais, je vous en prie, avant de me tuer, dites-moi ce que vous avez fait de ma fille?
René cessa de prier, et montra du doigt le portefeuille qui était à terre auprès de la table.
– Ne vous ai-je pas dit qu'il m'avait fallu payer cela? répliqua-t-il. Je n'avais plus rien… Robert de Blois m'a demandé votre fille en échange de ces papiers… et je la lui ai donnée!
Marthe appuya ses deux mains contre son cœur et poussa un gémissement faible. Puis elle tomba privée de sentiment.
Penhoël éprouva du doigt la pointe de son épée.
En ce moment, il se fit un bruit léger du côté de la porte. La personne qui venait d'entrer et qui restait dans l'ombre décrochait, elle aussi, une des armes suspendues en trophée sous les vieux portraits de famille.
Quelques pas seulement séparaient Marthe évanouie et René de Penhoël.
Celui-ci pencha sa tête sur sa poitrine et marcha vers sa femme en pensant tout haut:
– Elle, d'abord… moi, ensuite!..
Dans son accent comme sur son visage, il y avait une détermination sombre.
Mais, comme il relevait à la fois la tête pour voir et la main pour frapper, il aperçut un homme entre lui et sa victime.
C'était l'oncle Jean qui avait redressé sa grande taille, courbée par la vieillesse, et qui se tenait debout, l'épée à la main, au devant de Marthe.
XVIII
L'HEURE DE L'EXIL
Dans cet homme, à la pose robuste et fière, qui se dressait, l'épée haute, au devant de sa femme, René de Penhoël ne reconnut pas d'abord le pauvre oncle Jean. Il était si bien habitué à voir la figure du bon vieillard se pencher, humble et douce, sur sa poitrine! Dans ce premier moment, il crut presque rêver.
Il recula d'un pas, et agita son épée en avant, comme s'il eût voulu écarter le fantôme.
Son épée rencontra celle de Jean de Penhoël, et rendit ce bruit de fer qui éveille comme le son d'un clairon.
La lumière de la lampe tombait d'aplomb sur le front du vieillard, couronné par ses cheveux aussi blancs que la neige. Son regard était triste, mais ferme. Au bruit des deux épées qui se choquaient, un fugitif éclair s'était allumé dans sa prunelle.
On voyait à cette heure que Jean de Penhoël, le paisible et bon vieillard, avait dû porter fièrement autrefois le nom de ses pères…
Un instant René demeura muet à le contempler.
– Allez-vous-en! dit-il enfin, et ne me tentez pas!.. car, si je n'étais pas à l'heure de ma mort, j'aurais avec vous aussi un compte à régler, mon oncle!..
Le vieillard garda le silence.
– Allez-vous-en!.. répéta René dont les doigts se crispaient autour de la poignée de son arme.
L'oncle Jean ne répondit point encore.
Ses grands yeux bleus se fixaient, calmes et résignés, sur la figure décomposée de son neveu.
L'écume venait aux lèvres du maître de Penhoël.
– Allez-vous-en!.. répéta-t-il pour la troisième fois; vous savez bien que cette femme est coupable… et qu'un fils de Penhoël n'a qu'une manière de se faire justice…
– Je sais que votre femme est une sainte, répondit enfin l'oncle Jean de sa voix douce et pénétrante, et je sais que mon devoir est d'arrêter la main du fils de Penhoël qui va commettre un lâche assassinat.
René brandit son arme en poussant un rugissement.
– Je suis le maître!.. s'écria-t-il; arrière, ou vous êtes mort!
Il s'élança. L'oncle Jean resta droit et ferme. Sa main fit à peine un imperceptible mouvement, et l'épée de René tomba sur le plancher.
René la ramassa en blasphémant, et revint à la charge; mais il portait en vain des coups furieux: on eût dit qu'il s'attaquait à un mur de pierre.
L'oncle Jean ne bougeait point. On voyait toujours sa main haute tenir l'épée au devant de sa poitrine. Il se contentait de parer et ne portait pas un seul coup.
René haletait. Son front ruisselait de sueur. Il s'appuya bientôt, épuisé, à la muraille.
– Ah!.. dit-il en grinçant des dents, ce que vous faites là est pour payer les bienfaits de mon père et mes bienfaits à moi, n'est-ce pas, Jean de Penhoël?..
– Que Dieu me donne l'occasion de mourir pour vous, mon neveu, répliqua le vieillard dont le souffle était toujours égal et tranquille; vous verrez si je suis un ingrat!..
René, tout en affectant une extrême lassitude, le guettait de l'œil sournoisement. Quand il crut l'instant favorable, il s'élança d'un bond et lui poussa une furieuse botte en pleine poitrine. L'oncle Jean reçut le choc sans broncher, comme toujours, et l'épée du maître de Penhoël sauta une seconde fois hors de ses mains.
Il voulut se baisser pour la reprendre, mais il avait mis tout ce qui lui restait de vigueur dans son dernier élan. Sa tête appesantie entraîna son corps; il se coucha lourdement sur le plancher, et ne se releva plus.
La fatigue épuisante du combat, l'émotion, l'ivresse arrivée à son comble, se réunissaient pour le clouer au sol, inerte et incapable désormais de faire un mouvement.
L'oncle Jean déposa son épée et passa le revers de sa main sur son front où perlaient quelques gouttes de sueur. Son regard se tourna vers le ciel pour remercier Dieu; puis il s'agenouilla auprès de Marthe dont il soutint la tête décolorée entre ses mains, qui tremblaient à présent.
Madame recouvrait ses sens. Elle prononça le nom de Blanche, car la mémoire lui revenait en même temps que la vie.
– Nous la retrouverons, ma fille… dit l'oncle Jean.
Le