La Liberté et le Déterminisme. Fouillée Alfred
notre nature. Cherchons en nous cette nécessité dernière, nous ne la trouverons pas. Notre nature nous a été donnée, imposée: c'est la part du physique. Notre nature se réduit aux conditions extérieures de notre activité, au milieu où elle agit, aux nécessités qu'elle subit, aux dépendances et aux relations où elle est engagée. En croyant nous chercher nous-mêmes dans cette substance prétendue qui serait notre nécessité, nous cherchons autre chose. La substance ainsi entendue est, comme toute nécessité, impersonnelle. J'ajoute qu'elle est physique; c'est notre corps. Et, comme notre corps n'est qu'un détail du grand monde, notre substance est universelle: notre vrai support est le monde entier. Enfin, si le monde entier se ramène à quelque nécessité primitive et universelle, notre substance finit par se confondre avec cette unité nécessaire, avec cette loi universelle, avec ce fatum suprême, qu'on a si faussement appelé Dieu. Dans cette première voie, notre substance fuit donc en quelque sorte devant nous. Loin d'être le moi, la personne, elle est le non-moi, l'impersonnel. De sorte qu'on aboutit par là à cette conséquence: notre être, c'est l'être d'autrui et de tous. En d'autres termes, nous n'existons pas réellement. Telle serait, dans cette hypothèse, la substance objective, inconnue, l'X de l'équation universelle, le noumène insaisissable.
C'est, au contraire, dans une volonté se suffisant à elle seule, dans une liberté absolue que la vraie substance pourrait résider. Mais dans ce second sens, le plus qu'on pût accorder à l'homme, ce serait simplement une vague conscience de la force ou volonté universelle qui agit en nous comme dans les autres; cette prétendue conscience de l'universel n'est sans doute qu'une pure idée. En tout cas, nous perdons notre moi par ce second côté comme par l'autre. Si nous avions ainsi conscience de quelque liberté, ce ne serait pas de notre liberté individuelle, mais de la liberté, de l'unité absolue, supérieure à notre individualité propre. En ce cas, je serais libre là où précisément je ne serais plus moi. En tant que moi, en tant qu'être distinct et déterminé, je suis déterminé dans mon action comme dans mon être, je suis pris au réseau du déterminisme universel. La liberté, si elle existe, n'est plus que le mens agitat molem. De même donc que mon moi se perd dans la substance des métaphysiciens conçue comme nécessité fondamentale, il se perd aussi, semble-t-il, dans la substance conçue comme liberté fondamentale. Si la nécessité n'est pas moi, l'absolu d'autre part n'est pas moi, ou du moins il n'est pas ce qu'il y a d'individuel et de proprement mien en moi-même.
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