Les Mystères du Louvre. Féré Octave

Les Mystères du Louvre - Féré Octave


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à cette première attaque directe.

      – Jalousie est un bien gros mot, fit-elle en souriant; il aurait besoin d'explications.

      – C'est le seul qui exprime à quel degré s'élève mon respectueux dévouement pour votre personne, mon admiration pour vos mérites, pour votre génie…

      Elle l'arrêta dans la chaleur de son énumération par un nouveau sourire incrédule et désespérant:

      – En vérité, si j'étais une simple bourgeoise au lieu d'être la sœur du roi, habituée, en ma qualité de duchesse, à être entourée de compliments hyperboliques, qui ne tirent pas à conséquence, je pourrais regarder les vôtres comme une déclaration…

      Duprat sentit l'orgueil du tigre se révolter en lui à cette nouvelle raillerie; mais le tigre était amoureux, et, en considérant l'idéale beauté de cette dédaigneuse princesse, il voulut poursuivre son assaut.

      – Que n'êtes-vous donc alors une de ces bourgeoises auxquelles on peut dire avec sincérité tout le bien qu'on pense d'elles, car je serais cru de vous, madame; j'en serais compris surtout!

      – Voyons, de bonne foi, puis-je me flatter de la vérité de vos sentiments en ma faveur, messire, lorsque vos actes tendent tous à contrarier mes vues, mes souhaits; lorsque vous vous entendez avec ma mère pour faire condamner les gens dont je sollicite la grâce?

      C'était rentrer en pleine question; la diplomatie féminine était plus adroite que celle du premier ministre. Il dissimula mal un geste nerveux, au souvenir que ceci faisait renaître, mais enfin c'était le nœud de la question; il n'essaya plus de l'éluder.

      – N'avez-vous pas eu l'idée, madame, que tout cela n'était qu'un moyen préparé par moi pour vous montrer que cette grâce dépendait en effet de moi seul, et pour vous indiquer que je serais heureux que vous la tinssiez de moi?..

      Une femme moins forte que Marguerite de Valois se fût laissé éblouir, mais elle resta maîtresse d'elle-même, par la nécessité où elle se sentait de dominer la situation.

      – Pardon, messire, dit-elle, je crois avoir mal entendu. Vous disiez…

      – Que toutes les grâces, toutes les faveurs, tous les édits qu'il est en mon pouvoir de rendre ou d'accorder, je les tiens aux pieds de Votre Altesse, si elle daigne abaisser sur son indigne serviteur un regard de ces beaux yeux qui inspirent et créent les génies!

      Marguerite de Valois se leva de son siège avec une grande dignité:

      – Cette fois, messire, je crois avoir suffisamment entendu et compris… J'ai ouï parler dans les romans et les fabliaux de propositions pareilles, faites à des esclaves ou à des femmes d'humble condition, par des juges prévaricateurs, par des ministres sans foi; jamais encore je n'avais cru qu'on eût osé les adresser à la sœur d'un grand monarque!..

      A quel degré d'abaissement ou de misère me croyez-vous donc tombée, pour oser me tenir ce langage!.. Je ne sais quels privilèges vous abandonne la faiblesse de ma mère, mais n'oubliez pas à l'avenir que Marguerite de Valois, la veuve du duc d'Alençon, aura toujours assez d'indépendance et de courage pour réprimer toute velléité blessante, toute atteinte à son honneur.

      Et d'un geste superbe elle lui montra la porte.

      Il se décida à quitter le siège sur lequel il était resté, mais avant de sortir:

      – Votre Altesse, dit-il, frémissant d'une rage intérieure et appuyant sur ses paroles comme sur des stylets, Votre Altesse n'est peut-être aussi sévère à mon égard qu'en raison de la promesse qu'elle a reçue de madame la duchesse d'Angoulême, et contre laquelle elle a engagé aveuglément sa foi…

      – Qui a dit cela?.. s'écria Marguerite; ce qui s'est passé entre ma mère et moi est chose ignorée de tout le monde!..

      – Oh! j'en sais bien davantage encore… Ce plan auquel vous avez souscrit, que vous ne connaissez pas, vous plaît-il que je vous le dévoile et vous l'explique?

      – C'est impossible!..

      – Je tiens alors à convaincre Votre Altesse… Rassurez-vous, madame, je m'éloignerai après.

      Une joie satanique illuminait son visage, il commençait à prendre sa revanche à sa manière.

      – Ce projet dont on a fait mystère à Votre Altesse elle-même, et que je ne tiens certes pas de la confiance de madame la régente, trop discrète pour m'en avoir parlé, ce projet concerne votre personne elle-même.

      C'est un traité en bonne forme composé d'un certain nombre d'articles précis sur lesquels, moins réservé que madame la régente, je suis prêt à édifier Votre Altesse, pour peu qu'elle le souhaite.

      – A quoi bon? Quand je connaîtrai ces conditions, en serai-je moins liée par ma parole? Je ne désire rien savoir, messire.

      Elle comprenait qu'il ne lui offrait cette révélation que parce qu'il y avait au fond un chagrin ou une menace pour elle, et elle ne voulait pas s'exposer à ce qu'il la vît inquiète ou affligée.

      Elle lui intima donc une seconde fois l'ordre de sortir.

      Mais sans paraître le remarquer:

      – Eh bien, dit-il, je me montrerai généreux, en dépit des dédains et de la disgrâce dont Votre Altesse me poursuit. Vous pourriez m'accuser d'ailleurs encore de chercher à vous en imposer, et puis, quand vous connaîtrez ce traité, vous modifierez peut-être vos résolutions.

      – Il paraît que je suis forcée de vous écouter, dit-elle en s'asseyant sur son grand fauteuil, comme une reine sur son trône, soit!

      – Votre Altesse me remerciera probablement d'une insistance qui semble l'offenser. C'est dans cet espoir que je m'explique.

      Madame la régente est une femme vraiment supérieure, dans tout ce qui concerne les choses politiques; elle a de larges vues, et parle à chacun le langage de son intérêt, ce qui est la véritable éloquence ici-bas.

      – Êtes-vous ici pour faire l'éloge de madame la duchesse régente, notre maîtresse à tous, ou pour la blâmer?

      – Mes éloges sont sincères, madame, quand je rends hommage à ses qualités diplomatiques. J'ose le répéter, le traité qu'elle a conçu toute seule en est une preuve nouvelle. Il est en cinq articles6.

      Par le premier, madame la duchesse propose à l'empereur la renonciation de notre seigneur et roi à ses droits sur Naples et Milan, et à la suzeraineté de la Flandre et de l'Artois.

      La princesse écoutait avec attention, mais dans un calme parfait.

      Duprat la couvrait d'un regard avide autant que venimeux.

      – Par le second article, madame la duchesse, sacrifiant généreusement elle-même ses droits et ses biens légitimes pour la libération du roi, promet de restituer à monseigneur de Bourbon toutes les terres dont il a été dépossédé par arrêt juridique en faveur de Son Altesse.

      La princesse ne put s'empêcher de reconnaître dans cette proposition une preuve du désir incontestable de sa mère pour racheter le roi, car ces domaines auxquels elle renonçait, malgré son avidité bien connue, étaient ceux-là mêmes dont la privation avait déterminé la révolte du connétable. Ils provenaient de la succession de Suzanne de Bourbon, sa femme, et se composaient du Bourbonnais, du Forez, du Beaujolais, de l'Auvergne et de la Marche. La duchesse d'Angoulême s'était prétendue héritière de Suzanne de Bourbon, dont elle était cousine germaine. Le parlement, dominé par Duprat et influencé par Guillaume Poyet, l'homme de son temps le plus entendu dans la chicane du palais, avait sanctionné la dépossession du connétable7.

      – Le troisième article est relatif aux prétentions réciproques sur la Bourgogne et autres provinces; il porte qu'elles seront renvoyées à la décision d'arbitres désignés librement des deux côtés.

      Tout cela ne semble-t-il pas à Votre Altesse sagement conçu?

      – Ce


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<p>6</p>

Anquetil, Histoire de France.

<p>7</p>

Mémoires des Reines de France, tome IV. Poyet succéda lui-même, par la suite, à Duprat, en qualité de chancelier.