Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau


Скачать книгу
Ne sais-tu pas qu'il n'y a pas dans mes veines une goutte de sang qui ne soit à toi? Toutes mes pensées ne t'appartiennent-elles pas? Paul va venir, sois prudente. Tiens-toi en garde contre une désillusion possible…

      – Impossible!..

      – Soit! Mais alors, dans l'intérêt même de ton avenir, de ton bonheur, je t'en conjure, dissimule, ne laisse rien deviner de ce qui se passe en toi, crains les trahisons de tes regards. Les hommes sont ainsi faits que tout en se plaignant bêtement de la duplicité des femmes, ils ne leur pardonnent pas la franchise. Crois-en l'expérience de ton vieil ami. Souviens-toi que la sécurité absolue tue l'amour…

      Il s'interrompit, on sonnait à la porte de l'appartement.

      A ce coup de sonnette, tout le corps de Flavie vibra comme le timbre même sous le marteau.

      – C'est lui!.. dit-elle d'une voix étranglée, lui!..

      Et, faisant un effort, elle ajouta:

      – Je t'obéis, père, je me sauve; je veux, avant de me montrer, tuer mon opinion et cette malheureuse sensibilité… Je reviendrai lorsque d'autres personnes seront arrivées. Sois sans inquiétude, je vais te prouver que ta fille serait une comédienne, au besoin…

      Elle s'enfuit comme la porte du salon s'ouvrait.

      Mais ce n'était point Paul.

      Ce premier arrivant était un ami de M. Martin-Rigal, un gros fabricant, qui donnait le bras à sa femme, aussi parfaitement mise qu'insignifiante.

      Pour ce soir-là, le banquier avait cru devoir inviter une vingtaine de personnes. Un grand dîner expliquait et justifiait la présentation de Paul.

      En ce moment, précisément, le protégé de B. Mascarot entrait chez le docteur Hortebize, l'honorable parrain qui allait lui ouvrir les portes du monde.

      Paul ne se ressemblait plus. Il sortait des mains d'un tailleur en renom, et même c'était là ce qui l'avait retardé.

      Grâce à l'influence du digne placeur, ce tailleur avait, en quarante-huit heures, exécuté un de ces costumes de soirée qui, à première vue décident un mariage.

      Le moelleux des étoffes, «la perfection de la coupe», la richesse des accessoires, mettaient en relief tous les «avantages» de Paul et rehaussaient sa bonne mine naturelle.

      Peut-être était-il un peu gêné par ces élégances si nouvelles, mais à l'âge qu'il avait, ou plutôt qu'il paraissait avoir, cet embarras qu'on devait prendre pour de la timidité était une grâce de plus.

      En tout cas, il était si bien, que le docteur, en le voyant, eut un sourire approbatif.

      – Décidément, murmura-t-il, Flavie a bon goût.

      Puis, interrompant Paul qui s'accusait d'arriver en retard:

      – Il n'y a pas de mal, lui dit-il, asseyez-vous, le temps de mettre une cravate fraîche, et je suis à vous.

      Laissé seul par le docteur qui venait de passer dans son cabinet de toilette, Paul Violaine s'assit ou plutôt se laissa tomber lourdement sur un fauteuil.

      Il était harassé de fatigue.

      Depuis cinq nuits, il ne dormait pas.

      Dès qu'il se couchait, une fièvre terrible s'emparait de lui, le brûlait et le chassait de son lit.

      C'est que si son corps était gêné dans ses beaux habits neufs, sa pensée se débattait, à la torture, au milieu des angoisses d'une situation impossible, absolument imprévue.

      Son honnêteté, qu'il vantait à Rose d'un air si sûr de soi, avait été mise à l'épreuve et n'avait pas résisté.

      Quand, au sortir de chez l'illustre Van Klopen, Paul avait dit au placeur: «Je suis à vous», il avait obéi aux inspirations de sa vanité blessée et de ses rancunes.

      D'ailleurs, il était encore étourdi de la terrible puissance du placeur, ébloui des regards de Flavie, fasciné par ces fantastiques millions qu'on faisait miroiter à ses yeux.

      Le soir, seulement, il fut épouvanté en se demandant de quels ténébreux desseins il devenait l'instrument, en songeant à cet engagement qu'il ne pouvait plus reprendre.

      Mais le lendemain, il avait dîné avec son protecteur chez Hortebize, et la certitude de la complicité active de cet excellent docteur l'avait décidé à étouffer les dernières convulsions de sa conscience.

      C'est ainsi: selon les sphères où il se trouve, le vice, – il faudrait dire le crime, – peut être une provocation ou un salutaire enseignement.

      Laid, sale, idiot, abattu, il répugne et raffermit la vertu chancelante. Riche, heureux, spirituel, triomphant, il éveille dans l'âme des faibles de furieuses jalousies caressées par l'espoir de l'impunité.

      Le luxe du docteur, ses façons d'homme du monde, son importance, ses paradoxes ingénieux à l'endroit des préjugés du Code, devaient achever la besogne de corruption du digne B. Mascarot.

      – Je ne serais qu'un sot, pensait Paul, si je luttais, si j'hésitais encore, quand ce médecin que je vois riche, heureux, honoré, n'a pas de scrupules.

      Il eût hésité, cependant, s'il eût su quelle relique renfermait ce médaillon d'or qui battait le ventre prospère du prudent associé de l'honorable placeur.

      Mais Paul ne pouvait savoir, et, admis pour la première fois à l'intimité d'une vie large et facile, il admirait le magnifique appartement du docteur, qui occupe tout le premier étage d'une vieille maison de la rue du Luxembourg.

      Dès l'antichambre, on devine l'égoïste aimable, le spirituel épicurien, qui ne croit perdus ni le temps ni l'argent qu'il dépense à ouater son bien-être.

      – Je veux être logé comme cela, s'était dit Paul, mordu au cœur par toutes les vipères de l'envie.

      Le docteur reparut, vêtu comme toujours lorsqu'il va dans le monde, avec la dernière recherche.

      – Je suis à vos ordres, dit-il au protégé de B. Mascarot, devenu le sien; partons, nous n'arriverons que bien juste à l'heure.

      Dans la cour, la voiture du docteur, un coupé Binder, attelé d'un vigoureux trotteur, attendait.

      En s'installant sur les coussins, Paul se disait:

      – J'aurai aussi un coupé comme celui-ci.

      Mais si le jeune homme oubliait pour des chimères les choses positives, le docteur qui avait reçu ses instructions, veillait.

      – Voyons, commença-t-il dès que la voiture fut dans la rue, causons peu, mais bien. On vous offre une occasion telle que bien des fils de famille n'en trouvent pas une pareille en leur vie, il s'agit d'en profiter.

      – J'en profiterai, répondit Paul avec une nuance de fatuité.

      – Bravo!.. Mon cher garçon, j'aime cette audace juvénile. Seulement, permettez-moi de la doubler de ma vieille expérience. Et pour commencer, savez-vous au juste ce que c'est qu'une héritière?

      – Je pense, monsieur…

      – Laissez-moi parler. Une héritière, fille unique, surtout, est le plus ordinairement une jeune personne fort désagréable, capricieuse, fantasque, pénétrée de ses mérites et complétement affolée par les adulations dont elle a été l'objet dès sa plus tendre enfance. Certaine, grâce à sa dot, de ne pas manquer de mari, elle se croit tout permis.

      – Oh!.. fit Paul, singulièrement refroidi, serait-ce le portrait de Mlle Flavie que vous m'esquissez là?

      Le docteur eut un franc éclat de rire.

      – Pas précisément, répondit-il, je dois vous prévenir que notre héritière a son grain de fantaisie. Je la crois, par exemple, très capable de faire tout pour tourner la tête d'un soupirant, à la seule fin de le planter là après, et de s'égayer de son air déconfit.

      Paul, qui, jusqu'à ce moment, n'avait examiné que les côtés brillants de l'aventure, fut consterné de cet envers


Скачать книгу