Les Peintres Provençaux. Gouirand André

Les Peintres Provençaux - Gouirand André


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s Peintres Provençaux / Loubon et son temps – Aiguier – Ricard – Monticelli – Paul Guigou

      INTRODUCTION

      Il faut cultiver notre jardin.

(Voltaire.)

      A l'Exposition centennale de l'art français, les peintres provençaux remportaient, l'an dernier, des avantages marqués, même triomphaux, dans la glorieuse bataille artistique qui se livrait aux murs des salles du Grand Palais, entre les meilleurs ouvriers picturaux du siècle finissant. On fut surpris de la science d'un paysagiste animalier comme Loubon; beaucoup crurent découvrir pour la première fois, avec une admiration étonnée, l'intimité profonde des subjectifs portraits de Gustave Ricard, bien que ce peintre fût depuis longtemps au Louvre; l'art sincère et fort du paysagiste Paul Guigou arrêta au passage la critique et la foule; enfin, quelques toiles de Monticelli suscitèrent de la curiosité enthousiaste. Ce fut comme une révélation.

      Est-elle due, cette révélation tardive, à l'absence des œuvres de ces artistes provençaux – Ricard à part – de nos musées nationaux du Louvre et du Luxembourg1? D'où viennent ce long silence et ce pesant oubli? Enfin, que leur manqua-t-il, à ces admirables peintres, pour acquérir la gloire méritée?

      Rien, certes! Mais ils eurent le tort de vivre, de travailler et de mourir en Provence, dans leur pays natal; où ils trouvèrent, du reste, les sources de leur meilleure inspiration.

      La Provence – comme d'ailleurs toute la province, grâce au système centralisateur qui étreint, paralyse et tue la France – a toujours tort; et l'Art, lui, est le premier frappé, car plus que jamais il faut qu'il soit de Paris ou consacré à Paris, pour avoir droit à la Justice, à la Renommée.

      Mais si c'est à leur vie, volontairement faite chez eux, à leur mort pour la plupart, survenue, là, sans bruit, que ces artistes provençaux doivent d'être restés en partie obscurs et aussi longtemps ignorés par les détenteurs de nos gloires nationales, c'est aussi à ces circonstances qu'ils méritent, par l'originalité puisée dans l'amour et la compréhension de leur pays, d'être remarqués aujourd'hui et de paraître plus intéressants. Par la comparaison possible et la reculée nécessaire du temps, l'œuvre d'art acquiert sa grande et réelle beauté. Et pendant que vont disparaître dans l'indifférence bien des réputations officielles et tapageuses de ces dernières années, les noms de ces Provençaux, inconnus ou oubliés à Paris, jusqu'à hier, ceux-mêmes, – comme Aiguier, Engalière, Simon etc., etc., – qu'on a négligé de montrer à la Centennale, vont s'imposer définitivement, et entrer dans l'histoire de l'art pictural français du siècle.

* * *

      A certaines époques de l'art chez les peuples, l'influence de l'apport fait par des artistes étrangers au profit d'une race autochtone eut souvent des conséquences si heureuses, si inattendues comme résultats, qu'elle put fournir prétexte à des explications diverses. Les uns ont voulu affirmer que les nouveaux venus eurent seuls le mérite de la renaissance qui se produisit en ces moments-là; d'autres ont osé prétendre que les artistes étrangers qui apportaient leur talent particulier au service d'une civilisation existant déjà, durent le plier au goût du peuple hospitalier et comme par un sentiment de reconnaissance. Ces opinions opposées se peuvent soutenir: on peut même dire qu'elles se complètent. S'il y a, au point de vue physique, des croisements de race qui donnent de plus beaux produits que ceux résultant de l'union de sujets de la même famille, on peut admettre qu'au point de vue artistique, des échanges heureux ont pu s'établir entre différentes écoles éloignées; et encore, que des germes d'art accidentels, tombant dans des milieux favorables, ont donné, à certains moments, de merveilleux résultats.

      Il est incontestable que les artistes grecs qui descendirent en Provence, y apportèrent les éléments de beauté qui étaient chez eux le but de l'art. Mais il est non moins probable que ces artistes furent tout de suite compris, encouragés; et qu'ils trouvèrent sur cette terre hospitalière une population enthousiaste, des admirateurs puissants et bientôt des élèves nombreux doués de vives aptitudes. Ces ferments de beauté de l'art hellénique agitèrent si profondément le pays et y prospérèrent si bien que, cent cinquante ans après la disparition de la Grèce, l'art était, en Massalie, en pleine florescence, cultivé par des artistes supérieurs dont la réputation s'étendait lointaine2.

      Déjà des artistes provençaux avaient été antérieurement appelés en Grèce pour enrichir ce pays de nombreuses statues. Plus tard, la Rome républicaine – tout absorbée par la conquête et partant par la nécessité de faire de chaque citoyen un soldat – vint souvent demander à la Provence ses artistes en tous genres. Et quand, sous les Césars, le luxe exagéré, le faste sans goût, la richesse appliquée sans mesure, contribuèrent à la dégradation de l'art, la Provence, longtemps encore après l'invasion des Wisigoths, conserva le sentiment de la beauté simple des Grecs.

      Bientôt, aux clameurs victorieuses des hordes wisigothes, se mêlèrent les bruits de destruction des premiers chrétiens qui, dans leur haine des anciens dieux, anéantissaient les statues antiques. C'est avec fureur qu'ils obéirent aux ordres de Constantin et de Théodose leur commandant de briser les idoles et de renverser les temples. Et alors, tous les chefs-d'œuvre du paganisme disparurent du monde en deuil.

      En Provence, après la fin tragique de l'art grec, il semble, en effet, qu'une nuit profonde y soit descendue. Cependant, et sans solution de continuité, l'art renaissait peu à peu sous des formes nouvelles, animé d'une autre foi. Un moine doué d'un grand cerveau – saint Benoît – avait introduit dans la règle de son ordre la liberté de cultiver les beaux-arts. Par un trait de génie, il les sauvait d'une décadence irrémédiable.

      Les moines du moyen âge furent plutôt, à la vérité, des savants, des lettrés, des architectes, des musiciens. Toutefois, à Avignon, au xe siècle, on trouve dans le couvent de Saint-Ruff toute une école de peintres, de mosaïcistes, d'imagiers, de sculpteurs3. Pour ces hommes, ensevelis dans les cloîtres, l'art n'était qu'un acte de foi sincère; mais ils eurent rapidement de nombreux adeptes. Des séculiers s'exercèrent dans tous ces arts et y acquirent une grande réputation. Par ces derniers, l'Art devait perdre son anonymat. A leur tour, les peintres verriers de Marseille devenaient célèbres. Claude et Guillaume allaient même à Rome, appelés par le pape Jules II, pour y peindre les vitraux du Vatican. De son côté, l'école de peinture d'Avignon était éclatante. Personnelle, forte, indépendante, au xve siècle, elle voyait sortir de son sein un artiste merveilleux, Enguerrand Charonton, l'auteur du Couronnement de la Vierge, si remarqué à la Centennale, peinture qu'on attribua longtemps à Van Eyck; et Nicolas Froment, qui pourrait bien être l'auteur incertain du triptyque de la cathédrale d'Aix.

      Déjà, sous les Bérenger, le comté de Provence, en commerce spirituel constant avec les Grecs, les Arabes et l'Italie, était devenu un centre artistique remarquable. Après eux, René le Bon s'intéressa surtout à l'art de la peinture, qu'il pratiquait lui-même, paraît-il, avec assez d'habileté. Il sut, dans tous les cas, s'entourer de nombreux et bons artistes qui enrichirent les églises et les demeures seigneuriales. Aix, Avignon, Arles, Marseille se disputaient les meilleurs peintres, les plus adroits orfèvres, les plus estimables graveurs. La Provence s'était ressaisie et accomplissait, dans l'action artistique, sa brillante destinée. Néanmoins, la Renaissance italienne devait absorber à son profit les travaux antérieurs et les œuvres des autres pays. Rien, en effet, ne pouvait, au moins pour l'instant, résister à une si haute et si volontaire impulsion. Le passé était emporté dans le tourbillonnement cyclique de cette force; et les tendances qui s'étaient annoncées ailleurs en manifestations latentes étaient d'avance annihilées par l'apparition presque spontanée des plus hauts génies de l'art pictural.

* * *

      Après sa réunion à la France, en 1482, la Provence fut dévastée, pendant plus d'un siècle, par des épidémies et des guerres civiles. A la suite de ces longues années de dépression morale et physique, ainsi qu'un corps anémié qui n'a plus l'énergie de résister aux attaques diathésiques, cette province subit en art l'influence du mauvais goût des artistes italiens, qui avaient rapporté de l'école florentine les tendances décadentes de cette époque. Mais un hasard heureux, une circonstance fortuite amena à Aix, à son retour d'Italie (en 1609), Ludovic Finsonius4, un Flamand, élève du Caravage,


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<p>1</p>

L'État a acquis depuis le Paysage de Provence de Paul Guigou qui était exposé à la Centennale. Ce tableau est en ce moment au Musée Galliera pour aller plus tard au Louvre.

<p>2</p>

L'Art dans le Midi (Etienne Parrocel).

<p>3</p>

Etienne Parrocel. Les Annales de la peinture.

<p>4</p>

Recherches sur la vie et les ouvrages de quelques peintres provinciaux de l'ancienne France, par Ph. de Pointel. Du même auteur, voir aussi les Biographies de Finsonius, Daret et Reynaud, le vieux peintre avignonnais.