Les Peintres Provençaux. Gouirand André

Les Peintres Provençaux - Gouirand André


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de Granet sur la belle ordonnance de la lumière, l'école provençale, qu'illustrait alors Dominique Papety, l'émule de Ingres, Roqueplan avec ses paysages, allait posséder une pléiade d'artistes éminents: Monticelli, un coloriste de génie; Gustave Ricard, le disciple inspiré des plus grands portraitistes qu'il a souvent égalés; Aiguier, un instinctif, doux poète de la lumière; enfin, des peintres tels que Paul Guigou, Loubon, etc., dont la renommée grandira avec le temps, à chaque manifestation comparative d'œuvres picturales.

A. G.

      Nous n'avons nommé dans cette introduction que les peintres provençaux caractérisant le mieux une époque souvent féconde en talents nombreux et que nous aurions voulu tous citer. Mais c'était dépasser la portée de cette première tentative de réhabilitation de l'école provençale, aujourd'hui en partie oubliée ou méconnue. L'école d'Avignon aurait mérité sans doute plus de développements. Peut-être ferons-nous plus complet ce travail, un jour prochain. Du reste, le cas des peintres provençaux n'est pas un cas isolé. Il existe dans de nombreuses contrées du pays de France, des artistes d'une valeur vraiment originale, qui demeurent dans l'oubli, victimes des conséquences d'une centralisation artistique exagérée. Il faut souhaiter que partout des bonnes volontés s'emploient à révéler les noms de ces artistes et à mettre au jour leurs œuvres méritantes. Ainsi fera-t-on la France plus grande et l'art français plus haut.

      I

      ÉMILE LOUBON ET SON TEMPS

A Paul de Montvalon.

      Les peintres animaliers les plus remarquables, les Cuyp, les Paul Potter, les Troyon, les Ch. Jacque, etc., etc., se sont surtout attaché – en outre du poème pictural – à montrer, par l'étude de l'ostéologie et de la myologie, par les recherches linéaires, le caractère physique des animaux. Parmi ces peintres, quelques-uns ont cherché par une observation plus aiguë à déduire le caractère moral de leur modèle: l'instinct. Mais il appartenait à Émile Loubon de savoir saisir – plus que tout autre – les animaux au passage, de fixer leur course capricieuse ou violentée par l'homme, au milieu de paysages rudes et lumineux, et de les y camper dans de beaux mouvements de vie intense, de vie exubérante, endiablée, jusqu'à l'affolement.

      Dans le brouhaha de ses troupeaux en marche qui dévalent les pentes en avalanche, quand se heurtent les cornes et que la masse laineuse oscille – houle animale – entre les chemins creux, parmi les pierrailles des pentes ravinées, on a la forte sensation de la vie agitée. Et, de ces tableaux, dans lequel l'air est déchiré par le sifflement des fouets, les aboiements rageurs des chiens, le mugissement inquiet des bœufs, les bêlements doux des moutons, une sensation de sonorité se dégage. M. Arsène Alexandre observe avec raison que ces sensations de mouvement et de sonorité sont surtout produites dans les grandes œuvres d'art picturales ou sculpturales, dans toutes celles qui sont durables et auxquelles tout notre être est intéressé: «Nous entendons parfaitement, ajoute-t-il, le chant pur et gracieux que psalmodient les enfants dans les bas-reliefs célèbres de Lucca della Robbia. Dans le Naufrage de la Méduse, nos oreilles sont douloureusement effrayées par les lambeaux de cris d'appel qui nous parviennent, entrecoupés par le mugissement des vents de la mer. Prenez tous les temps, prenez tous les maîtres, et leurs œuvres, pour peu que vous les sentiez vivement et avec sincérité, vous apparaîtront avec cette triple qualité: la forme solide qui est l'apparence immuable et tangible que l'artiste leur a donnée, et, d'autre part, le mouvement et la sonorité qui sont des réalités invisibles, augmentant d'intensité en raison du reste de notre personnelle émotion6

      Or, ces qualités de maître, Loubon les possède, car ses animaux sont dans un perpétuel mouvement, et de ses toiles un bruit constant sort. Jamais au repos, ses bœufs ne vont pas, comme avec Troyon, d'un pas nonchalant vers la ferme, dans le calme du soir, ou, au pré et à l'abreuvoir, sans hâte. Harcelés par l'homme et les chiens, ils foncent ou font des écarts brusques et dégringolent dans des raccourcis audacieux. Les moutons, en aucun moment, ne broutent silencieux, paisibles, comme avec Ch. Jacque, sous de beaux ombrages; constamment, ils vont en marche forcée, sur les routes calcaires, sous des cieux impitoyables, avec des bêlements plaintifs. Les chèvres, qu'on avait vues reproduites par certains avec des allures capricieuses, deviennent folâtres, grimacières, clownesques, sabbatiques.

      En fait, l'animal, comme l'a compris Loubon, est vu à travers un vrai cerveau provençal, et peint par une imagination provençale. Il a le mouvement tour à tour emphatique, explicatif, emporté; l'attitude essentiellement mimique. Pourtant, cette exagération fougueuse du mouvement n'est jamais chez lui extravagante. Ce qui pourrait n'être qu'une charge habile, qu'une caricature artistique, devient une note d'art nouvelle. Et cette furie de vie, en pleine lumière méridionale, intéresse, passionne et retient.

* * *

      A Aix, où ceux qui descendent du septentrion retrouvent une vague analogie de cité rhénale; à Aix, somnolente désormais dans la quiétude d'une vie accomplie; au sein de l'ancienne capitale de la Provence, où l'on peut encore évoquer les fastes glorieux et artistiques de son histoire écrits sur les murs des monuments, aux portes des églises et des anciennes demeures seigneuriales; dans une des petites rues silencieuses de la ville, aujourd'hui tranquille, aristocratique et universitaire, rues bien provinciales où l'herbe croît gentiment entre les pavés, Loubon (Charles-Joseph-Émile) vit le jour le 12 janvier 1809. Encore tout enfant, il fut vivement impressionné par quelques visites au musée de sa ville natale; et là, dans l'atmosphère presque monastique de ces salles, qui gardaient précieusement les œuvres de quelques glorieux ancêtres, sa vocation apparut évidente sous la chaleur de ses enthousiasmes juvéniles, sous l'émoi de ses premières et fortes joies d'art. Les sérieuses études classiques qu'il fit ensuite aux lycées de Marseille et d'Aix, la vie d'internat, auraient peut-être eu raison de ce goût pour la peinture chez une nature moins artiste, elles augmentèrent au contraire chez Loubon ses aspirations et son désir d'exprimer ses sensations par le langage du dessin. A la grande joie de ses condisciples, ses cahiers de latin et de grec se couvrirent, en marge, de figures et de paysages. L'élève interprétait Virgile à sa manière; et les tableaux champêtres du poète des Géorgiques étaient traduits par l'apprenti peintre sous la forme descriptive linéaire. C'était l'enseignement par l'image dont on a fait depuis une grande application; mais par l'image créée par un cerveau neuf et imaginatif. L'enfant étonnait, en outre, son professeur de dessin par sa facilité spirituelle et aisée de reproductions graphiques.

      Fils d'un riche négociant, peu destiné par sa naissance à la carrière artistique, le jeune Loubon s'y livrait virtuellement, et, circonstance rare, ses parents semblèrent favoriser ses goûts. Car, rentré à Aix pour y faire son droit, il se mit à travailler avec ardeur le dessin, à l'École de cette ville, alors dirigée par Clérian le père, avec les conseils d'un maître incomparable, Constantin. En passant à Aix pour se rendre à Rome, le peintre Granet, ami de la famille Loubon, décida de l'avenir du jeune homme, par ses encouragements et ses appréciations louangeuses; il réussit d'ailleurs à obtenir de ses parents l'autorisation de l'emmener à Rome.

      Loubon avait alors vingt ans. On s'imagine aisément ce que dut être ce voyage pour ce jeune Provençal d'imagination ardente, de culture lettrée, d'enthousiasme débordant pendant un long parcours, à travers le midi de la France et l'Italie, en compagnie d'un de ses amis et compatriote, Gustave de Beaulieu, qui fit plus tard du paysage, dans l'intimité affectueuse du maître commun Granet, artiste charmant, délicat, et dont les conseils judicieux consistaient surtout en longues causeries amicales.

      Ce qui frappa Loubon à Rome, ce qui le retint deux années dans cette ville – qui était alors pour les artistes ce qu'est La Mecque pour les fanatiques musulmans – ce ne furent pas les chefs-d'œuvre de ses musées, les grands souvenirs historiques évoqués par ses ruines; mais bien la beauté de la campagne romaine déjà entrevue et pressentie dans les dessins de son premier maître Constantin. Et le jeune artiste, qui, dans les plus célèbres galeries, ne pouvait, en face des maîtres, tenir longtemps en place devant son chevalet, s'éprit d'un vif amour pour cette théâtrale nature. Il admira la beauté antique du geste du paysan romain; les scènes quasi virgiliennes auxquelles concouraient des animaux majestueux, dans la limpide atmosphère du ciel de la Romagne,


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Arsène Alexandre. Barye (Antoine Louis).