Les Peintres Provençaux. Gouirand André

Les Peintres Provençaux - Gouirand André


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campagne romaine. Sans doute, les recherches anatomiques ne furent pas poussées assez loin par l'artiste pressé d'exprimer sa pensée pétulante; mais il faut insister sur son originalité suprême: «sa furia méridionale», son esprit méridional, que recèlent toutes ses grandes œuvres et qui en sont la caractéristique indéniable.

      Toujours nous la retrouverons dans la suite de ses productions avec le Souvenir de Savoie, le Traîneau (1858), où dans un mouvement plein de hardiesse, un paysan attelé à une sorte de véhicule rustique, descend du bois sur une pente excessive; dans Un chariot à Nevers (Exposition de Paris 1858), où, avec des efforts violents qui contractent leurs muscles et déforment leurs ossatures, «des bœufs cherchent à ramener le chariot embourbé hors de l'ornière profonde; dans Un temps de pluie (1859), où, par une débandade folle, les moutons et les vaches, sous la menace du nuage noir qui crève déjà à l'horizon, se précipitent vers l'abri9».

      Dans les Porteurs de poissons qui courent pieds nus, Loubon choisira à dessein des gestes vifs; et on suit, intéressé, la course antique de ces beaux gars luttant entre eux de vitesse, le panier d'osier rempli de poissons sur l'épaule.

      Dans son Mulet fourbu, il fait se plaindre lamentablement la misérable bête exténuée et rappelée par le bâton de l'homme aux dures nécessités de l'effort. Cédant sous le poids de son fardeau, le long de la route interminable, les pauvres jambes de l'animal flageolent en arc. Dans cette petite toile, Loubon écrit son dessin avec le burin comique d'un Callot.

      Mais, longtemps, il ne saurait s'apitoyer sur le sort des bêtes de somme, et s'il les mène à l'abreuvoir (exposition de Lyon, 1857), il les presse, les heurte, dans une hâte fébrile. Il n'étudie pas l'animal en artiste attendri; il ne lui prête ni le sentiment, ni les affections, ni les regards auxquels notre désir d'humanité pour ces frères inférieurs, donne parfois une signification qu'ils n'ont peut-être jamais eue. Ce qui l'intéresse chez l'animal, c'est la curiosité de sa ligne mouvante, l'imprévu de ses formes qui se déplacent; et, encore, il le force à courir les routes: Troupeau de la Crau en marche (1856); à descendre hâtivement du pâturage estival pour rentrer à l'étable: Un troupeau de mérinos arrive des montagnes du Piémont au village d'Aureille (Salon de Paris, 1859).

      Au besoin, il a les Ferrades, courses locales, qui lui permettent d'ébaucher, dans de vagues arènes, de curieuses attitudes; de satisfaire ses goûts méridionaux de geste dramatique; tel, la couleur en moins, un Goya provençal.

      Il ose peindre la nature secouée par le vent qui tord les arbres et fait se lever sur la route les cyclones poussiéreux; alors, sous le ciel d'un bleu dur, il montre la lutte épique des bêtes et du paysan de Provence contre le mistral. Et on le voit ce vent implacable qui s'engouffre dans la houppelande de l'homme, on le sent dans l'effort qui saccade la marche de l'animal, avec le symbole de sa poussière argentée qui monte, dans le tableau, aux environs d'Aix-en-Provence, jusqu'au sommet de la chaîne de Sainte-Victoire.

      Enfin Loubon accentue à tout propos la résistance animale qu'occasionnent la crainte, l'effroi, l'entêtement: le Gué que les brebis se refusent à traverser; Fuyant l'orage dans la montagne (Lyon, 1857) où roulent, comme une avalanche, les bœufs qu'aiguillonne la peur autant que les cris et les bourrades du conducteur; Un bac (environs de Paris) où, sur les rougeoiements d'un ciel de couchant pluvieux, il oppose les grandes silhouettes des veaux et des vaches qu'une paysanne pousse à grands coups de gaule, vers la barque, malgré eux.

      Maintenant, avec les Souvenirs de Soumabre (1857) il se remémore la bataille d'un essaim de poules accourues vers la poignée de grains de blé que leur jette la fermière. Si quelques peintres de basses-cours les ont vues remuantes, Loubon y éveille tous les instincts les plus violents. Sous le coup de fouet de la faim, il excite le poulailler à une bousculade acharnée, à des écrasements, des combats où, dans des caqueteries de victoire, des piaulements de défaite, se hérissent les crêtes, s'arment les ergots, s'envolent les plumes.

* * *

      «Pendant près de la moitié de ce siècle, alors que le retour à la nature avait déjà mis en honneur d'autres régions: la Suisse, la Bretagne, la Touraine; alors que les hautes cimes alpestres, les landes sauvages, les gras pâturages, les vieux châteaux historiques avaient leurs peintres et leurs poètes, qui se souciait de la Provence avec ses horizons de collines basses, ses chemins poudreux et ses maigres verdures10?» C'était la «Gueuse parfumée» qui n'était connue alors que par ses jasmins et ses orangers. La Gueuse parfumée et «ses basses terres brûlées du soleil et du vent avec la désolation des landes broussailleuses, les chênes-liège, les pins et les genévriers des silencieuses forêts vides d'oiseaux, la fraîcheur de ses ravins profonds où se mêlaient en impénétrables fourrés les houx, les myrtes, les lauriers aux fleurs roses et les silènes étoilés, les lavandes, les iris et les cistes à odeur d'ambre11».

      L'heure de célébrité allait venir bientôt pour elle. Si cette gloire revient surtout à Mistral, à Daudet, à Paul Arène, aux félibres et à tous les littérateurs et artistes qui surent l'imposer au goût des Parisiens, on peut dire que Loubon est le premier parmi les peintres qui ait compris la beauté du paysage provençal et ait osé s'en servir pour y placer ses animaux. Dans le lit blanc de la rivière caillouteuse, il fait passer quand même et trébucher le troupeau; il agrémente la nudité de la route avec l'anecdote du minuscule oratoire où, dans sa niche peinte à la chaux, le saint repose entre deux bouquets de fleurs sauvages desséchées; il l'orne encore de rares oliviers ou d'un pin isolé qui la coupe de son ombre grêle. Le peintre s'entend à merveille pour déduire le pittoresque de cette nature un peu âpre et pour en agrandir le décor. Avec les collines pelées qui bordent la Durance, les masses bleuâtres du dôme rectangulaire de Sainte-Victoire, les pures silhouettes ioniennes qui jouxtent la mer bleue et ferment les golfes, il fait ses fonds. L'aridité, la désolation de la terre crevassée, assoiffée, lui servent pour ses premiers plans sérieusement étudiés. De cette Provence dont il a aimé le ciel, les arbres, les terrains, les montagnes, il a su montrer les aspects séduisants et rendre aimables même les tares. Voilà le signe certain de l'amour sincère du terroir. Toujours après ses courses à travers la France, une partie de l'Italie, de l'Espagne, il éprouve, à son retour, un sentiment plus intense de la poésie particulière au pays natal. Même après son voyage aux pays enchantés, après le souvenir des exquis paysages italiens et des verts pays de France, son affection pour la petite Provence s'augmente et s'affermit; car le peintre a découvert en elle des grâces non révélées aux profanes: à lui elle s'est montrée, à peine impudique, dans sa nudité de vierge grise de parfums, éclairée par la chaude et éclatante lumière de son soleil.

* * *

      La maladie, un mal terrible, s'abat sur l'artiste en pleine gloire; et, circonstance aggravante, il ne trouve pas auprès de sa compagne le réconfort, la sollicitude dont certaines femmes savent entourer l'existence d'un être souffrant. Rien dans la vie d'un artiste ne saurait être négligé. Tous les événements ont sur son œuvre une importance plus ou moins heureuse ou néfaste qui réagit sur ses productions. Il faut donc dire la vérité, encore proche. Loubon n'avait pas épousé la femme qui pouvait le comprendre. Très belle, très gâtée par celui qui lui passait tous ses caprices d'enfant ingrate, l'ancien modèle ne sut pas donner à l'artiste un intérieur reposant. Il dut se réfugier dans l'amitié et même s'isoler souvent pour retrouver un peu de tranquillité et de paix. Mais son art pouvait suffire à remplir sa vie. Avec une énergie, un courage et une patience héroïques, Loubon lutte, les dernières années, avec la souffrance aiguë qui a prise sur son cerveau. Elle influe dès lors sur sa nature, sur ses productions. Peu à peu, une sorte de buée grise enveloppe ses toiles, le mouvement se ralentit et se fige presque dans ses dernières compositions. Les animaux qu'il y place marchent désormais mollement et comme sans bruit. C'est la vie qui, insensiblement, semble s'arrêter.

      Dans son Après-midi d'automne, un de ses derniers tableaux, les moutons sont tristes et broutent sans faim, les chèvres vont sans joie, sans cabrioles, les chiens n'aboient plus, les gestes de l'homme sont indécis; et ce gai paysage des environs de sa ville natale


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<p>9</p>

La Tribune artistique et littéraire d'Auguste Chaumelin, vol. 2, 3 et 4.

<p>10</p>

L. Brès. Le Paysage provençal.

<p>11</p>

Virgile Josz. Fragonard (Société du Mercure de France. Paris, 1901).