Le Collier de la Reine, Tome I. Dumas Alexandre

Le Collier de la Reine, Tome I - Dumas Alexandre


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nous sommes à Versailles.

      – Où faut-il arrêter, mesdames? demanda l'officier.

      – À la place d'Armes.

      – À la place d'Armes! cria le jeune homme au cocher.

      – Il faut aller à la place d'Armes? demanda celui-ci.

      – Oui, sans doute, puisqu'on te le dit.

      – Il y aura bien un petit pourboire? fit l'Auvergnat en ricanant.

      – Va toujours.

      Les coups de fouet recommencèrent.

      «Il faut pourtant que je parle, pensa tout bas l'officier. Je vais passer pour un imbécile, après avoir passé pour un impertinent.»

      – Mesdames, dit-il, non sans hésiter encore, vous voilà chez vous.

      – Grâce à votre généreux secours.

      – Quelle peine nous vous avons donnée! dit la plus jeune des deux femmes.

      – Oh! je l'ai plus qu'oubliée, madame.

      – Et nous, monsieur, nous ne l'oublierons pas. Votre nom, s'il vous plaît, monsieur.

      – Mon nom? Oh!

      – C'est la seconde fois qu'on vous le demande. Prenez garde!

      – Et vous ne voulez pas nous faire cadeau d'un louis, n'est-ce pas?

      – Oh! s'il en est ainsi, madame, dit l'officier un peu piqué, je cède: je suis le comte de Charny; comme l'a remarqué madame, au reste, officier dans la marine royale.

      – Charny! répéta l'aînée des deux dames, du ton qu'elle eût mis à dire: «C'est bien, je ne l'oublierai pas.»

      – Olivier, Olivier de Charny, ajouta l'officier.

      – Olivier! murmura la plus jeune des dames.

      – Et vous demeurez?

      – Hôtel des Princes, rue de Richelieu.

      Le fiacre s'arrêta.

      L'aînée des dames ouvrit elle-même la portière à sa gauche et d'un bond agile sauta à terre, tendant la main à sa compagne.

      – Mais au moins, s'écria le jeune homme qui s'apprêtait à les suivre, mesdames, acceptez mon bras; vous n'êtes pas chez vous, et la place d'Armes n'est pas un domicile.

      – Ne bougez pas, dirent simultanément les deux femmes.

      – Comment, que je ne bouge pas!

      – Non, restez dans le fiacre.

      – Mais marcher seules, mesdames, la nuit, par ce temps, impossible!

      – Bon! voilà maintenant qu'après avoir presque refusé de nous obliger, vous voulez absolument nous obliger trop, dit avec gaieté l'aînée des deux dames.

      – Cependant!

      – Il n'y a pas de cependant. Soyez jusqu'au bout un galant et loyal cavalier. Merci, monsieur de Charny, merci du fond du cœur, et comme vous êtes un galant et loyal cavalier, comme je vous le disais tout à l'heure, nous ne vous demandons pas même votre parole.

      – De quoi ma parole?

      – De fermer la portière et de dire au cocher de retourner à Paris; ce que vous allez faire, n'est-ce pas, sans même regarder de notre côté?

      – Vous avez raison, mesdames, et ma parole serait inutile. Cocher, retournons, mon ami.

      Et le jeune homme glissa un second louis dans la grosse main du cocher.

      Le digne Auvergnat frémit de joie.

      – Morbleu, dit-il, les chevaux en crèveront s'ils veulent!

      – Je le crois bien, ils sont payés, murmura l'officier.

      Le fiacre roula, et roula vite. Il étouffa par le bruit de ses roues un soupir de jeune homme, soupir voluptueux, car le sybarite s'était couché sur les deux coussins, tièdes encore de la présence des deux belles inconnues.

      Quant à elles, elles étaient restées à la même place, et ce ne fut que lorsque le fiacre eut disparu qu'elles se dirigèrent vers le château.

      Chapitre VI

      La consigne

      Au moment où elles se mettaient en chemin, les bouffées d'un vent rude apportèrent à l'oreille des voyageuses les trois quarts sonnant à l'horloge de l'église de Saint-Louis.

      – O mon Dieu! onze heures trois quarts, s'écrièrent ensemble les deux femmes.

      – Voyez, toutes les grilles sont fermées, ajouta la plus jeune.

      – Oh! pour cela, je m'en inquiète peu, chère Andrée; car la grille fût-elle restée ouverte, nous ne serions certes pas rentrées par la cour d'honneur. Allons, vite, vite, allons-nous-en par les Réservoirs.

      Et toutes deux se dirigèrent vers la droite du château.

      Chacun sait, en effet, qu'il y a de ce côté un passage particulier qui mène aux jardins.

      On arriva à ce passage.

      – La petite porte est fermée, Andrée, dit avec inquiétude l'aînée des deux femmes.

      – Heurtons, madame.

      – Non, appelons. Laurent doit m'attendre, je l'ai prévenu que peut-être rentrerais-je tard.

      – Eh bien, je vais appeler.

      Et Andrée s'approcha de la porte.

      – Qui va là? dit une voix de l'intérieur, qui n'attendit même point qu'on appelât.

      – Oh! ce n'est pas la voix de Laurent, dit la jeune femme effrayée.

      – Non, en effet.

      L'autre femme s'approcha à son tour.

      – Laurent! murmura-t-elle à travers la porte.

      Pas de réponse.

      – Laurent! répéta la dame en heurtant.

      – Il n'y a pas de Laurent ici, répliqua rudement la voix.

      – Mais, fit Andrée avec insistance, que ce soit Laurent ou non, ouvrez toujours.

      – Je n'ouvre pas.

      – Mais, mon ami, vous ne savez pas que Laurent a l'habitude de nous ouvrir.

      – Je me moque pas mal de Laurent! j'ai ma consigne.

      – Qui êtes-vous donc?

      – Qui je suis?

      – Oui.

      – Et vous? dit la voix.

      L'interrogation était un peu brutale, mais il n'y avait pas à marchander, il fallait répondre.

      – Nous sommes des dames de la suite de Sa Majesté. Nous logeons au château, et nous voudrions rentrer chez nous.

      – Eh bien! moi, mesdames, je suis un Suisse de la première compagnie Salis-Samade, et je ferai tout le contraire de Laurent, je vous laisserai à la porte.

      – Oh! murmurèrent les deux femmes, dont l'une serra avec colère les mains de l'autre.

      Puis, faisant un effort sur elle-même:

      – Mon ami, dit-elle, je conçois que vous observiez votre consigne, c'est d'un bon soldat, et je ne veux pas vous y faire manquer. Rendez-moi seulement, je vous prie, le service de faire prévenir Laurent, qui ne doit pas être éloigné.

      – Je ne puis quitter mon poste.

      – Envoyez quelqu'un.

      – Je n'ai personne.

      – Par grâce!

      – Eh! mordieu! madame, couchez en ville. Ne voilà-t-il pas une belle affaire! Oh! si l'on me fermait la porte de la caserne au nez, je trouverais bien un gîte, moi,


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