Vingt ans après. Dumas Alexandre

Vingt ans après - Dumas Alexandre


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dit-il, si vous acceptiez mes offres, La Ramée!

      – Allons, Monseigneur, voilà encore que nous allons reparler de cela; mais vous voyez bien que vous n'êtes pas raisonnable.

      – La Ramée, je vous ai dit et je vous répète encore que je ferais votre fortune.

      – Avec quoi? Vous ne serez pas plus tôt sorti de prison que vos biens seront confisqués.

      – Je ne serai pas plus tôt sorti de prison que je serai maître de

      Paris.

      – Chut! chut donc! Eh bien… mais, est-ce que je puis entendre des choses comme cela? Voilà une belle conversation à tenir à un officier du roi! Je vois bien, Monseigneur, qu'il faudra que je cherche un second Grimaud.

      – Allons! n'en parlons plus. Ainsi il a été question de moi entre toi et le cardinal? La Ramée, tu devrais, un jour qu'il te fera demander, me laisser mettre tes habits; j'irais à ta place, je l'étranglerais, et, foi de gentilhomme, si c'était une condition, je reviendrais me mettre en prison.

      – Monseigneur, je vois bien qu'il faut que j'appelle Grimaud.

      – J'ai tort. Et que t'a-t-il dit, le cuistre?

      – Je vous passe le mot, Monseigneur, dit La Ramée d'un air fin, parce qu'il rime avec ministre. Ce qu'il m'a dit? Il m'a dit de vous surveiller.

      – Et pourquoi cela, me surveiller? demanda le duc inquiet.

      – Parce qu'un astrologue a prédit que vous vous échapperiez.

      – Ah! un astrologue a prédit cela? dit le duc en tressaillant malgré lui.

      – Oh! mon Dieu, oui! ils ne savent que s'imaginer, ma parole d'honneur, pour tourmenter les honnêtes gens, ces imbéciles de magiciens.

      – Et qu'as-tu répondu à l'illustrissime Éminence?

      – Que si l'astrologue en question faisait des almanachs, je ne lui conseillerais pas d'en acheter.

      – Pourquoi?

      – Parce que, pour vous sauver, il faudrait que vous devinssiez pinson ou roitelet.

      – Et tu as bien raison, malheureusement. Allons faire une partie de paume, La Ramée.

      – Monseigneur, j'en demande bien pardon à Votre Altesse, mais il faut qu'elle m'accorde une demi-heure.

      – Et pourquoi cela?

      – Parce que monseigneur Mazarin est plus fier que vous, quoiqu'il ne soit pas tout à fait de si bonne naissance, et qu'il a oublié de m'inviter à déjeuner.

      – Eh bien! veux-tu que je te fasse apporter à déjeuner ici?

      – Non pas! Monseigneur. Il faut vous dire que le pâtissier qui demeurait en face du château, et qu'on appelait le père Marteau …

      – Eh bien?

      – Eh bien! il y a huit jours qu'il a vendu son fonds à un pâtissier de Paris, à qui les médecins, à ce qu'il paraît, ont recommandé l'air de la campagne.

      – Eh bien! qu'est-ce que cela me fait à moi?

      – Attendez donc, Monseigneur; de sorte que ce damné pâtissier a devant sa boutique une masse de choses qui vous font venir l'eau à la bouche.

      – Gourmand.

      – Eh, mon Dieu! Monseigneur, reprit La Ramée, on n'est pas gourmand parce qu'on aime à bien manger. Il est dans la nature de l'homme de chercher la perfection dans les pâtés comme dans les autres choses. Or, ce gueux de pâtissier, il faut vous dire, Monseigneur, que quand il m'a vu m'arrêter devant son étalage, il est venu à moi la langue tout enfarinée et m'a dit: «Monsieur La Ramée, il faut me faire avoir la pratique des prisonniers du donjon. J'ai acheté l'établissement de mon prédécesseur parce qu'il m'a assuré qu'il fournissait le château: et cependant, sur mon honneur, monsieur La Ramée, depuis huit jours que je suis établi, M. de Chavigny ne m'a pas fait acheter une tartelette.

      « – Mais, lui ai-je dit alors, c'est probablement que

      M. de Chavigny craint que votre pâtisserie ne soit pas bonne.

      « – Pas bonne, ma pâtisserie! eh bien, monsieur La Ramée, je veux vous en faire juge, et cela à l'instant même.

      « – Je ne peux pas, lui ai-je répondu, il faut absolument que je rentre au château.

      « – Eh bien, a-t-il dit, allez à vos affaires, puisque vous paraissez pressé, mais revenez dans une demi-heure.

      « – Dans une demi-heure?

      « – Oui. Avez-vous déjeuné?

      « – Ma foi, non.

      « – Eh bien, voici un pâté qui vous attendra avec une bouteille de vieux bourgogne…

      «Et vous comprenez, Monseigneur, comme je suis à jeun, je voudrais, avec la permission de Votre Altesse…

      Et La Ramée s'inclina.

      – Va donc, animal, dit le duc; mais fais attention que je ne te donne qu'une demi-heure.

      – Puis-je promettre votre pratique au successeur du père Marteau,

      Monseigneur?

      – Oui, pourvu qu'il ne mette pas de champignons dans ses pâtés; tu sais, ajouta le prince, que les champignons du bois de Vincennes sont mortels à ma famille.

      La Ramée sortit sans relever l'allusion, et, cinq minutes après sa sortie, l'officier de garde entra sous prétexte de faire honneur au prince en lui tenant compagnie, mais en réalité pour accomplir les ordres du cardinal, qui, ainsi que nous l'avons dit, recommandait de ne pas perdre le prisonnier de vue.

      Mais pendant les cinq minutes qu'il était resté seul, le duc avait eu le temps de relire le billet de madame de Montbazon, lequel prouvait au prisonnier que ses amis ne l'avaient pas oublié et s'occupaient de sa délivrance. De quelle façon? il l'ignorait encore, mais il se promettait bien, quel que fût son mutisme, de faire parler Grimaud, dans lequel il avait une confiance d'autant plus grande qu'il se rendait maintenant compte de toute sa conduite, et qu'il comprenait qu'il n'avait inventé toutes les petites persécutions dont il poursuivait le duc, que pour ôter à ses gardiens toute idée qu'il pouvait s'entendre avec lui.

      Cette ruse donna au duc une haute idée de l'intellect de Grimaud, auquel il résolut de se fier entièrement.

      XXI. Ce que contenaient les pâtés du successeur du père Marteau

      Une demi-heure après, La Ramée rentra gai et allègre comme un homme qui a bien mangé, et qui surtout a bien bu. Il avait trouvé les pâtés excellents et le vin délicieux.

      Le temps était beau et permettait la partie projetée. Le jeu de paume de Vincennes était un jeu de longue paume, c'est-à-dire en plein air; rien n'était donc plus facile au duc que de faire ce que lui avait recommandé Grimaud, c'est-à-dire d'envoyer les balles dans les fossés.

      Cependant, tant que deux heures ne furent pas sonnées, le duc ne fut pas trop maladroit, car deux heures étaient l'heure dite. Il n'en perdit pas moins les parties engagées jusque-là, ce qui lui permit de se mettre en colère et de faire ce qu'on fait en pareil cas, faute sur faute.

      Aussi, à deux heures sonnant, les balles commencèrent-elles à prendre le chemin des fossés, à la grande joie de La Ramée qui marquait quinze à chaque dehors que faisait le prince.

      Les dehors se multiplièrent tellement que bientôt on manqua de balles. La Ramée proposa alors d'envoyer quelqu'un pour les ramasser dans le fossé. Mais le duc fit observer très judicieusement que c'était du temps perdu, et s'approchant du rempart qui à cet endroit, comme l'avait dit l'exempt, avait au moins cinquante pieds de haut, il aperçut un homme qui travaillait dans un des mille petits jardins que défrichent les paysans sur le revers du fossé.

      – Eh! l'ami? cria le duc.

      L'homme leva la tête, et le duc fut prêt à pousser


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