Vingt ans après. Dumas Alexandre

Vingt ans après - Dumas Alexandre


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Grimaud, qui avait rendu le peigne à

      La Ramée.

      – Je prévois que ce drôle me déplaira énormément, murmura le prince.

      En effet, en prison il n'y a pas de sentiment intermédiaire. Comme tout, hommes et choses, vous est ou ami ou ennemi, on aime ou l'on hait quelquefois avec raison, mais bien plus souvent encore par instinct. Or, par ce motif infiniment simple que Grimaud au premier coup d'oeil avait plu à M. de Chavigny et à La Ramée, il devait, ses qualités aux yeux du gouverneur et de l'exempt devenant des défauts aux yeux du prisonnier, déplaire tout d'abord à M. de Beaufort.

      Cependant Grimaud ne voulut pas dès le premier jour rompre directement en visière avec le prisonnier; il avait besoin, non pas d'une répugnance improvisée, mais d'une belle et bonne haine bien tenace.

      Il se retira donc pour faire place à quatre gardes qui, venant de déjeuner, pouvaient reprendre leur service près du prince.

      De son côté, le prince avait à confectionner une nouvelle plaisanterie sur laquelle il comptait beaucoup: il avait demandé des écrevisses pour son déjeuner du lendemain et comptait passer la journée à faire une petite potence pour pendre la plus belle au milieu de sa chambre. La couleur rouge que devait lui donner la cuisson ne laisserait aucun doute sur l'allusion, et ainsi il aurait eu le plaisir de pendre le cardinal en effigie en attendant qu'il fût pendu en réalité, sans qu'on pût toutefois lui reprocher d'avoir pendu autre chose qu'une écrevisse.

      La journée fut employée aux préparatifs de l'exécution. On devient très enfant en prison, et M. de Beaufort était de caractère à le devenir plus que tout autre. Il alla se promener comme d'habitude, brisa deux ou trois petites branches destinées à jouer un rôle dans sa parade, et, après avoir beaucoup cherché, trouva un morceau de verre cassé, trouvaille qui parut lui faire le plus grand plaisir. Rentré chez lui, il effila son mouchoir.

      Aucun de ces détails n'échappa à l'oeil investigateur de Grimaud.

      Le lendemain matin la potence était prête, et afin de pouvoir la planter dans le milieu de la chambre, M. de Beaufort en effilait un des bouts avec son verre brisé.

      La Ramée le regardait faire avec la curiosité d'un père qui pense qu'il va peut-être découvrir un joujou nouveau pour ses enfants, et les quatre gardes avec cet air de désoeuvrement qui faisait à cette époque comme aujourd'hui le caractère principal de la physionomie du soldat.

      Grimaud entra comme le prince venait de poser son morceau de verre, quoiqu'il n'eût pas encore achevé d'effiler le pied de sa potence; mais il s'était interrompu pour attacher le fil à son extrémité opposée.

      Il jeta sur Grimaud un coup d'oeil où se révélait un reste de la mauvaise humeur de la veille; mais comme il était d'avance très satisfait du résultat que ne pouvait manquer d'avoir sa nouvelle invention, il n'y fit pas autrement attention.

      Seulement, quand il eut fini de faire un noeud à la marinière à un bout de son fil et un noeud coulant à l'autre, quand il eut jeté un regard sur le plat d'écrevisses et choisi de l'oeil la plus majestueuse, il se retourna pour aller chercher son morceau de verre. Le morceau de verre avait disparu.

      – Qui m'a pris mon morceau de verre? demanda le prince en fronçant le sourcil.

      Grimaud fit signe que c'était lui.

      – Comment! toi encore? et pourquoi me l'as-tu pris?

      – Oui, demanda La Ramée, pourquoi avez-vous pris le morceau de verre à Son Altesse?

      Grimaud, qui tenait à la main le fragment de vitre, passa le doigt sur le fil, et dit:

      – Tranchant.

      – C'est juste, Monseigneur, dit La Ramée. Ah peste! que nous avons acquis là un garçon précieux!

      – Monsieur Grimaud, dit le prince, dans votre intérêt, je vous en conjure, ayez soin de ne jamais vous trouver à la portée de ma main.

      Grimaud fit la révérence et se retira au bout de la chambre.

      – Chut, chut, Monseigneur, dit La Ramée; donnez-moi votre petite potence, je vais l'effiler avec mon couteau.

      – Vous? dit le duc en riant.

      – Oui, moi; n'était-ce pas cela que vous désiriez?

      – Sans doute.

      – Tiens, au fait, dit le duc, ce sera plus drôle. Tenez, mon cher

      La Ramée.

      La Ramée, qui n'avait rien compris à l'exclamation du prince, effila le pied de la potence le plus proprement du monde.

      – Là, dit le duc; maintenant, faites-moi un petit trou en terre pendant que je vais aller chercher le patient.

      La Ramée mit un genou en terre et creusa le sol.

      Pendant ce temps, le prince suspendit son écrevisse au fil.

      Puis il planta la potence au milieu de la chambre en éclatant de rire.

      La Ramée aussi rit de tout son coeur, sans trop savoir de quoi il riait, et les gardes firent chorus.

      Grimaud seul ne rit pas.

      Il s'approcha de La Ramée, et, lui montrant l'écrevisse qui tournait au bout de son fil:

      – Cardinal! dit-il.

      – Pendu par Son Altesse le duc de Beaufort, reprit le prince en riant plus fort que jamais, et par maître Jacques-Chrysostome La Ramée, exempt du roi.

      La Ramée poussa un cri de terreur et se précipita vers la potence, qu'il arracha de terre, qu'il mit incontinent en morceaux, et dont il jeta les morceaux par la fenêtre. Il allait en faire autant de l'écrevisse, tant il avait perdu l'esprit, lorsque Grimaud la lui prit des mains.

      – Bonne à manger, dit-il; et il la mit dans sa poche.

      Cette fois le duc avait pris si grand plaisir à cette scène, qu'il pardonna presque à Grimaud le rôle qu'il avait joué. Mais comme, dans le courant de la journée, il réfléchit à l'intention qu'avait eue son gardien, et qu'au fond cette intention lui parut mauvaise, il sentit sa haine pour lui s'augmenter d'une manière sensible.

      Mais l'histoire de l'écrevisse n'en eut pas moins, au grand désespoir de La Ramée, un immense retentissement dans l'intérieur du donjon, et même au-dehors. M. de Chavigny, qui au fond du coeur détestait fort le cardinal, eut soin de conter l'anecdote à deux ou trois amis bien intentionnés, qui la répandirent à l'instant même.

      Cela fit passer deux ou trois bonnes journées à M. de Beaufort.

      Cependant, le duc avait remarqué parmi ses gardes un homme porteur d'une assez bonne figure, et il l'amadouait d'autant plus qu'à chaque instant Grimaud lui déplaisait davantage. Or, un matin qu'il avait pris cet homme à part, et qu'il était parvenu à lui parler quelque temps en tête à tête, Grimaud entra, regarda ce qui se passait, puis s'approchant respectueusement du garde et du prince, il prit le garde par le bras.

      – Que me voulez-vous? demanda brutalement le duc.

      Grimaud conduisit le garde à quatre pas et lui montra la porte.

      – Allez, dit-il.

      Le garde obéit.

      – Oh! mais, s'écria le prince, vous m'êtes insupportable: je vous châtierai.

      Grimaud salua respectueusement.

      – Monsieur l'espion, je vous romprai les os! s'écria le prince exaspéré.

      Grimaud salua en reculant.

      – Monsieur l'espion, continua le duc, je vous étranglerai de mes propres mains.

      Grimaud salua en reculant toujours.

      – Et cela, reprit le prince, qui pensait qu'autant valait en finir de suite, pas plus tard qu'à l'instant même.

      Et il étendit ses deux mains crispées vers Grimaud, qui se contenta de pousser le garde dehors et de fermer la porte derrière lui.

      En


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