Vingt ans après. Dumas Alexandre

Vingt ans après - Dumas Alexandre


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à grillages croisés dont chaque barreau est gros comme le bras.

      – Monsieur, dit Mazarin, avec de la patience on perce tous les murs, et avec un ressort de montre on scie un barreau.

      – Mais Monseigneur ignore donc qu'il a près de lui huit gardes, quatre dans son antichambre et quatre dans sa chambre, et que ces gardes ne le quittent jamais.

      – Mais il sort de sa chambre, il joue au mail, il joue à la paume!

      – Monseigneur, ce sont les amusements permis aux prisonniers.

      Cependant, si Votre Éminence le veut, on les lui retranchera.

      – Non pas, non pas, dit le Mazarin, qui craignait, en lui

      retranchant ces plaisirs, que si son prisonnier sortait jamais de

      Vincennes, il n'en sortît encore plus exaspéré contre lui.

      Seulement je demande avec qui il joue.

      – Monsieur, il joue avec l'officier de garde, ou bien avec moi, ou bien avec les autres prisonniers.

      – Mais n'approche-t-il point des murailles en jouant?

      – Monseigneur, Votre Éminence ne connaît-elle point les murailles? Les murailles ont soixante pieds de hauteur et je doute que M. de Beaufort soit encore assez las de la vie pour risquer de se rompre le cou en sautant du haut en bas.

      – Hum! fit le cardinal, qui commençait à se rassurer. Vous dites donc, mon cher monsieur La Ramée?..

      – Qu'à moins que M. de Beaufort ne trouve moyen de se changer en petit oiseau, je réponds de lui.

      – Prenez garde! vous vous avancez fort, reprit Mazarin. M. de Beaufort a dit aux gardes qui le conduisaient à Vincennes, qu'il avait souvent pensé au cas où il serait emprisonné, et que, dans ce cas, il avait trouvé quarante manières de s'évader de prison.

      – Monseigneur, si parmi ces quarante manières il y en avait eu une bonne, répondit La Ramée, il serait dehors depuis longtemps.

      – Allons, allons, pas si bête que je croyais, murmura Mazarin.

      – D'ailleurs, Monseigneur oublie que M. de Chavigny est gouverneur de Vincennes, continua La Ramée, et que M. de Chavigny n'est pas des amis de M. de Beaufort.

      – Oui, mais M. de Chavigny s'absente.

      – Quand il s'absente, je suis là.

      – Mais quand vous vous absentez vous-même?

      – Oh! quand je m'absente moi-même, j'ai en mon lieu et place un gaillard qui aspire à devenir exempt de Sa Majesté, et qui, je vous en réponds, fait bonne garde. Depuis trois semaines que je l'ai pris à mon service, je n'ai qu'un reproche à lui faire, c'est d'être trop dur au prisonnier.

      – Et quel est ce cerbère? demanda le cardinal.

      – Un certain M. Grimaud, Monseigneur.

      – Et que faisait-il avant d'être près de vous à Vincennes?

      – Mais il était en province, à ce que m'a dit celui qui me l'a recommandé; il s'y est fait je ne sais quelle méchante affaire, à cause de sa mauvaise tête, et je crois qu'il ne serait pas fâché de trouver l'impunité sous l'uniforme du roi.

      – Et qui vous a recommandé cet homme?

      – L'intendant de M. le duc de Grammont.

      – Alors, on peut s'y fier, à votre avis?

      – Comme à moi-même, Monseigneur.

      – Ce n'est pas un bavard?

      – Jésus-Dieu! Monseigneur, j'ai cru longtemps qu'il était muet, il ne parle et ne répond que par signes; il paraît que c'est son ancien maître qui l'a dressé à cela.

      – Eh bien! dites-lui, mon cher monsieur La Ramée, reprit le cardinal, que s'il nous fait bonne et fidèle garde, on fermera les yeux sur ses escapades de province, qu'on lui mettra sur le dos un uniforme qui le fera respecter, et dans les poches de cet uniforme quelques pistoles pour boire à la santé du roi.

      Mazarin était fort large en promesses: c'était tout le contraire de ce bon M. Grimaud, que vantait La Ramée, lequel parlait peu et agissait beaucoup.

      Le cardinal fit encore à La Ramée une foule de questions sur le prisonnier, sur la façon dont il était nourri, logé et couché, auxquelles celui-ci répondit d'une façon si satisfaisante, qu'il le congédia presque rassuré.

      Puis, comme il était neuf heures du matin, il se leva, se parfuma, s'habilla et passa chez la reine pour lui faire part des causes qui l'avaient retenu chez lui. La reine, qui ne craignait guère moins M. de Beaufort que le cardinal le craignait lui-même, et qui était presque aussi superstitieuse que lui, lui fit répéter mot pour mot toutes les promesses de La Ramée et tous les éloges qu'il donnait à son second; puis lorsque le cardinal eut fini:

      – Hélas! monsieur, dit-elle à demi-voix, que n'avons-nous un

      Grimaud auprès de chaque prince!

      – Patience, dit Mazarin avec son sourire italien, cela viendra peut-être un jour; mais en attendant…

      – Eh bien! en attendant?

      – Je vais toujours prendre mes précautions.

      Sur ce, il avait écrit à d'Artagnan de presser son retour.

      XIX. Ce à quoi se récréait M. le duc de Beaufort au donjon de

      Vincennes

      Le prisonnier qui faisait si grand'peur à M. le cardinal, et dont les moyens d'évasion troublaient le repos de toute la cour, ne se doutait guère de tout cet effroi qu'à cause de lui on ressentait au Palais-Royal.

      Il se voyait si admirablement gardé qu'il avait reconnu l'inutilité de ses tentatives; toute sa vengeance consistait à lancer nombre d'imprécations et d'injures contre le Mazarin. Il avait même essayé de faire des couplets, mais il y avait bien vite renoncé. En effet, M. de Beaufort non seulement n'avait pas reçu du ciel le don d'aligner des vers, mais encore ne s'exprimait souvent en prose qu'avec la plus grande peine du monde. Aussi Blot, le chansonnier de l'époque, disait-il de lui:

       Dans un combat il brille, il tonne!

       On le redoute avec raison;

       Mais de la façon qu'il raisonne,

       On le prendrait pour un oison.

       Gaston, pour faire une harangue,

       Éprouve bien moins d'embarras;

       Pourquoi Beaufort n'a-t-il la langue!

       Pourquoi Gaston n'a-t-il le bras?

      Ceci posé, on comprend que le prisonnier se soit borné aux injures et aux imprécations.

      Le duc de Beaufort était petit-fils de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, aussi bon, aussi brave, aussi fier et surtout aussi Gascon que son aïeul, mais beaucoup moins lettré. Après avoir été pendant quelque temps, à la mort du roi Louis XIII, le favori, l'homme de confiance, le premier à la cour enfin, un jour il lui avait fallu céder la place à Mazarin, et il s'était trouvé le second; et le lendemain, comme il avait eu le mauvais esprit de se fâcher de cette transposition et l'imprudence de le dire, la reine l'avait fait arrêter et conduire à Vincennes par ce même Guitaut que nous avons vu apparaître au commencement de cette histoire, et que nous aurons l'occasion de retrouver. Bien entendu, qui dit la reine dit Mazarin. Non seulement on s'était débarrassé ainsi de sa personne et de ses prétentions, mais encore on ne comptait plus avec lui, tout prince populaire qu'il était, et depuis cinq ans il habitait une chambre fort peu royale au donjon de Vincennes.

      Cet espace de temps qui eût mûri les idées de tout autre que M. de Beaufort, avait passé sur sa tête sans y opérer aucun changement. Un autre, en effet, eût réfléchi que, s'il n'avait pas accepté de braver le cardinal, de mépriser les princes, et de marcher seul sans autres acolytes, comme dit le cardinal


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