Vingt ans après. Dumas Alexandre

Vingt ans après - Dumas Alexandre


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doute, il l'a; mais l'homme est ainsi fait, il désire toujours quelque chose.

      – Et que désire Porthos?

      – D'être baron.

      – Ah! c'est vrai, j'oubliais, dit Athos en riant.

      – C'est vrai? pensa d'Artagnan. Et d'où a-t-il appris cela? Correspondrait-il avec Aramis? Ah! si je savais cela, je saurais tout.

      La conversation finit là, car Raoul entra juste en ce moment. Athos voulut le gronder sans aigreur; mais le jeune homme était si chagrin, qu'il n'en eut pas le courage et qu'il s'interrompit pour lui demander ce qu'il avait.

      – Est-ce que notre petite voisine irait plus mal? dit d'Artagnan.

      – Ah! monsieur, reprit Raoul presque suffoqué par la douleur, sa chute est grave, et, sans difformité apparente, le médecin craint qu'elle ne boite toute sa vie.

      – Ah! ce serait affreux! dit Athos.

      D'Artagnan avait une plaisanterie au bout des lèvres; mais en voyant la part que prenait Athos à ce malheur, il se retint.

      – Ah! monsieur, ce qui me désespère surtout, reprit Raoul, c'est que ce malheur, c'est moi qui en suis cause.

      – Comment vous, Raoul? demanda Athos.

      – Sans doute, n'est-ce point pour accourir à moi qu'elle a sauté du haut de cette pile de bois?

      – Il ne vous reste plus qu'une ressource, mon cher Raoul, c'est de l'épouser en expiation, dit d'Artagnan.

      – Ah! monsieur, dit Raoul, vous plaisantez avec une douleur réelle: c'est mal, cela.

      Et Raoul, qui avait besoin d'être seul pour pleurer tout à son aise, rentra dans sa chambre, d'où il ne sortit qu'à l'heure du déjeuner.

      La bonne intelligence des deux amis n'avait pas le moins du monde été altérée par l'escarmouche du matin; aussi déjeunèrent-ils du meilleur appétit, regardant de temps en temps le pauvre Raoul, qui, les yeux tout humides et le coeur gros, mangeait à peine.

      À la fin du déjeuner deux lettres arrivèrent, qu'Athos lut avec une extrême attention, sans pouvoir s'empêcher de tressaillir plusieurs fois. D'Artagnan, qui le vit lire ces lettres d'un côté de la table à l'autre, et dont la vue était perçante, jura qu'il reconnaissait à n'en pas douter la petite écriture d'Aramis. Quant à l'autre, c'était une écriture de femme, longue et embarrassée.

      – Allons, dit d'Artagnan à Raoul, voyant qu'Athos désirait demeurer seul, soit pour répondre à ces lettres, soit pour y réfléchir; allons faire un tour dans la salle d'armes, cela vous distraira.

      Le jeune homme regarda Athos, qui répondit à ce regard par un signe d'assentiment.

      Tous deux passèrent dans une salle basse où étaient suspendus des fleurets, des masques, des gants, des plastrons, et tous les accessoires de l'escrime.

      – Eh bien? dit Athos en arrivant un quart d'heure après.

      – C'est déjà votre main, mon cher Athos, dit d'Artagnan, et s'il avait votre sang-froid, je n'aurais que des compliments à lui faire…

      Quant au jeune homme, il était un peu honteux. Pour une ou deux fois qu'il avait touché d'Artagnan, soit au bras, soit à la cuisse, celui-ci l'avait boutonné vingt fois en plein corps.

      En ce moment, Charlot entra porteur d'une lettre très pressée pour d'Artagnan qu'un messager venait d'apporter.

      Ce fut au tour d'Athos de regarder du coin de l'oeil.

      D'Artagnan lut la lettre sans aucune émotion apparente et après avoir lu, avec un léger hochement de tête:

      – Voyez, mon cher ami, dit-il, ce que c'est que le service, et vous avez, ma foi, bien raison de n'en pas vouloir reprendre: M. de Tréville est malade, et voilà la compagnie qui ne peut se passer de moi; de sorte que mon congé se trouve perdu.

      – Vous retournez à Paris? dit vivement Athos.

      – Eh, mon Dieu, oui! dit d'Artagnan; mais n'y venez-vous pas vous-même?

      Athos rougit un peu et répondit:

      – Si j'y allais, je serais fort heureux de vous voir.

      – Holà, Planchet! s'écria d'Artagnan de la porte, nous partons dans dix minutes: donnez l'avoine aux chevaux.

      Puis se retournant vers Athos:

      – Il me semble qu'il me manque quelque chose ici, et je suis vraiment désespéré de vous quitter sans avoir revu ce bon Grimaud.

      – Grimaud! dit Athos. Ah! c'est vrai? je m'étonnais aussi que vous ne me demandassiez pas de ses nouvelles. Je l'ai prêté à un de mes amis.

      – Qui comprendra ses signes? dit d'Artagnan.

      – Je l'espère, dit Athos.

      Les deux amis s'embrassèrent cordialement. D'Artagnan serra la

      main de Raoul, fit promettre à Athos de le visiter s'il venait à

      Paris, de lui écrire s'il ne venait pas, et il monta à cheval.

      Planchet, toujours exact, était déjà en selle.

      – Ne venez-vous point avec moi, dit-il en riant à Raoul, je passe par Blois?

      Raoul se retourna vers Athos qui le retint d'un signe imperceptible.

      – Non, monsieur, répondit le jeune homme, je reste près de monsieur le comte.

      – En ce cas, adieu tous deux, mes bons amis, dit d'Artagnan en leur serrant une dernière fois la main, et Dieu vous garde! comme nous nous disions chaque fois que nous nous quittions du temps du feu cardinal.

      Athos lui fit un signe de la main, Raoul une révérence, et d'Artagnan et Planchet partirent.

      Le comte les suivit des yeux, la main appuyée sur l'épaule du jeune homme, dont la taille égalait presque la sienne; mais aussitôt qu'ils eurent disparu derrière le mur:

      – Raoul, dit le comte, nous partons ce soir pour Paris.

      – Comment! dit le jeune homme en pâlissant.

      – Vous pouvez aller présenter mes adieux et les vôtres à madame de Saint-Remy. Je vous attendrai ici à sept heures.

      Le jeune homme s'inclina avec une expression mêlée de douleur et de reconnaissance, et se retira pour aller seller son cheval.

      Quant à d'Artagnan, à peine hors de vue de son côté, il avait tiré la lettre de sa poche et l'avait relue:

      «Revenez sur-le-champ à Paris.

«J.M…»

      – La lettre est sèche, murmura d'Artagnan, et s'il n'y avait un post-scriptum, peut-être ne l'eussé-je pas comprise; mais heureusement il y a un_ post-scriptum._

      Et il lut ce fameux post-scriptum qui lui faisait passer par- dessus la sécheresse de la lettre:

      «P. – S. – Passez chez le trésorier du roi, à Blois: dites-lui votre nom et montrez-lui cette lettre: vous toucherez deux cents pistoles.»

      – Décidément, dit d'Artagnan, j'aime cette prose, et le cardinal écrit mieux que je ne croyais. Allons, Planchet, allons rendre visite à monsieur le trésorier du roi, et puis piquons.

      – Vers Paris, monsieur.

      – Vers Paris.

      Et tous deux partirent au plus grand trot de leurs montures.

      XVIII. M. de Beaufort

      Voici ce qui était arrivé et quelles étaient les causes qui nécessitaient le retour de d'Artagnan à Paris.

      Un soir que Mazarin, selon son habitude, se rendait chez la reine à l'heure où tout le monde s'en était retiré, et qu'en passant près de la salle des gardes, dont une porte donnait sur ses antichambres, il avait entendu parler haut dans cette chambre, il avait voulu savoir de quel sujet s'entretenaient les soldats, s'était


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