Vingt ans après. Dumas Alexandre

Vingt ans après - Dumas Alexandre


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ce qui vous étonne le plus, dit Athos en souriant, c'est moi, avouez-le.

      – Je vous l'avoue.

      – Je suis encore jeune, n'est-ce pas, malgré mes quarante-neuf ans, je suis reconnaissable encore?

      – Tout au contraire, dit d'Artagnan tout prêt à outrer la recommandation de franchise que lui avait faite Athos, c'est que vous ne l'êtes plus du tout.

      – Ah! je comprends, dit Athos avec une légère rougeur, tout a une fin, d'Artagnan, la folie comme autre chose.

      – Puis il s'est fait un changement dans votre fortune, ce me semble. Vous êtes admirablement logé; cette maison est à vous, je présume.

      – Oui; c'est ce petit bien, vous savez, mon ami, dont je vous ai dit que j'avais hésité quand j'ai quitté le service.

      – Vous avez parc, chevaux, équipages.

      Athos sourit.

      – Le parc a vingt arpents, mon ami, dit-il; vingt arpents sur lesquels sont pris les potagers et les communs. Mes chevaux sont au nombre de deux; bien entendu que je ne compte pas le courtaud de mon valet. Mes équipages se réduisent à quatre chiens de bois, à deux lévriers et à un chien d'arrêt. Encore tout ce luxe de meute, ajouta Athos en souriant, n'est-il pas pour moi.

      – Oui, je comprends, dit d'Artagnan, c'est pour le jeune homme, pour Raoul.

      Et d'Artagnan regarda Athos avec un sourire involontaire.

      – Vous avez deviné, mon ami! dit Athos.

      – Et ce jeune homme est votre commensal, votre filleul, votre parent peut-être? Ah! que vous êtes changé, mon cher Athos!

      – Ce jeune homme, répondit Athos avec calme, ce jeune homme, d'Artagnan, est un orphelin que sa mère avait abandonné chez un pauvre curé de campagne; je l'ai nourri, élevé.

      – Et il doit vous être bien attaché?

      – Je crois qu'il m'aime comme si j'étais son père.

      – Bien reconnaissant surtout?

      – Oh! quant à la reconnaissance, dit Athos, elle est réciproque, je lui dois autant qu'il me doit; et je ne le lui dis pas, à lui, mais je le dis à vous, d'Artagnan, je suis encore son obligé.

      – Comment cela? dit le mousquetaire étonné.

      – Eh! mon Dieu, oui! c'est lui qui a causé en moi le changement que vous voyez: je me desséchais comme un pauvre arbre isolé qui ne tient en rien sur la terre, il n'y avait qu'une affection profonde qui pût me faire reprendre racine dans la vie. Une maîtresse? j'étais trop vieux. Des amis? je ne vous avais plus là. Eh bien! cet enfant m'a fait retrouver tout ce que j'avais perdu; je n'avais plus le courage de vivre pour moi, j'ai vécu pour lui. Les leçons sont beaucoup pour un enfant, l'exemple vaut mieux. Je lui ai donné l'exemple, d'Artagnan. Les vices que j'avais, je m'en suis corrigé; les vertus que je n'avais pas, j'ai feint de les avoir. Aussi, je ne crois pas m'abuser, d'Artagnan, mais Raoul est destiné à être un gentilhomme aussi complet qu'il est donné à notre âge appauvri d'en fournir encore.

      D'Artagnan regardait Athos avec une admiration croissante. Ils se promenaient sous une allée fraîche et ombreuse, à travers laquelle filtraient obliquement quelques rayons de soleil couchant. Un de ces rayons dorés illuminait le visage d'Athos, et ses yeux semblaient rendre à leur tour ce feu tiède et calme du soir qu'ils recevaient.

      L'idée de milady vint se présenter à l'esprit de d'Artagnan.

      – Et vous êtes heureux? dit-il à son ami.

      L'oeil vigilant d'Athos pénétra jusqu'au fond du coeur de d'Artagnan, et sembla y lire sa pensée.

      – Aussi heureux qu'il est permis à une créature de Dieu de l'être sur la terre. Mais achevez votre pensée, d'Artagnan, car vous ne me l'avez pas dite tout entière.

      – Vous êtes terrible, Athos, et l'on ne vous peut rien cacher, dit d'Artagnan. Eh bien! oui, je voulais vous demander si vous n'avez pas quelquefois des mouvements inattendus de terreur qui ressemblent…

      – À des remords? continua Athos. J'achève votre phrase, mon ami. Oui et non: je n'ai pas de remords, parce que cette femme, je le crois, méritait la peine qu'elle a subie; je n'ai pas de remords, parce que, si nous l'eussions laissée vivre, elle eût sans aucun doute continué son oeuvre de destruction; mais cela ne veut pas dire, ami, que j'aie cette conviction que nous avions le droit de faire ce que nous avons fait. Peut-être tout sang versé veut-il une expiation. Elle a accompli la sienne; peut-être à notre tour nous reste-t-il à accomplir la nôtre.

      – Je l'ai quelquefois pensé comme vous, Athos, dit d'Artagnan.

      – Elle avait un fils, cette femme?

      – Oui.

      – En avez-vous quelquefois entendu parler?

      – Jamais.

      – Il doit avoir vingt-trois ans, murmura Athos; je pense souvent à ce jeune homme, d'Artagnan.

      – C'est étrange! et moi qui l'avais oublié!

      Athos sourit mélancoliquement.

      – Et lord de Winter, en avez-vous quelque nouvelle?

      – Je sais qu'il était en grande faveur près du roi Charles Ier.

      – Il aura suivi sa fortune, qui est mauvaise en ce moment. Tenez, d'Artagnan, continua Athos, cela revient à ce que je vous ai dit tout à l'heure. Lui, il a laissé couler le sang de Strafford; le sang appelle le sang. Et la reine?

      – Quelle reine?

      – Madame Henriette d'Angleterre, la fille de Henri IV.

      – Elle est au Louvre, comme vous savez.

      – Oui, où elle manque de tout, n'est-ce pas? Pendant les grands froids de cet hiver, sa fille malade, m'a-t-on dit, était forcée, faute de bois, de rester couchée. Comprenez-vous cela? dit Athos en haussant les épaules. La fille de Henri IV grelottant faute d'un fagot! Pourquoi n'est-elle pas venue demander l'hospitalité au premier venu de nous au lieu de la demander au Mazarin! elle n'eût manqué de rien.

      – La connaissez-vous donc, Athos?

      – Non, mais ma mère l'a vue enfant. Vous ai-je jamais dit que ma mère avait été dame d'honneur de Marie de Médicis?

      – Jamais. Vous ne dites pas de ces choses-là, vous, Athos.

      – Ah! mon Dieu si, vous le voyez, reprit Athos; mais encore faut- il que l'occasion s'en présente.

      – Porthos ne l'attendrait pas si patiemment, dit d'Artagnan avec un sourire.

      – Chacun sa nature, mon cher d'Artagnan. Porthos a, malgré un peu de vanité, des qualités excellentes. L'avez-vous revu?

      – Je le quitte il y a cinq jours, dit d'Artagnan.

      Et alors il raconta, avec la verve de son humeur gasconne, toutes les magnificences de Porthos en son château de Pierrefonds; et, tout en criblant son ami, il lança deux ou trois flèches à l'adresse de cet excellent M. Mouston.

      – J'admire, répliqua Athos en souriant de cette gaieté qui lui rappelait leurs bons jours, que nous ayons autrefois formé au hasard une société d'hommes encore si bien liés les uns aux autres, malgré vingt ans de séparation. L'amitié jette des racines bien profondes dans les coeurs honnêtes, d'Artagnan; croyez-moi, il n'y a que les méchants qui nient l'amitié, parce qu'ils ne la comprennent pas. Et Aramis?

      – Je l'ai vu aussi, dit d'Artagnan, mais il m'a paru froid.

      – Ah! vous avez vu Aramis, reprit Athos en regardant d'Artagnan avec son oeil investigateur. Mais c'est un véritable pèlerinage, cher ami, que vous faites au temple de l'Amitié, comme diraient les poètes.

      – Mais oui, dit d'Artagnan embarrassé.

      – Aramis,


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