Vingt ans après. Dumas Alexandre

Vingt ans après - Dumas Alexandre


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par politesse, mais Athos insista pour que d'Artagnan prit possession de sa chambre. Raoul y conduisit l'hôte du logis; et, comme Athos pensa qu'il resterait le plus tard possible près de d'Artagnan pour lui faire dire toutes les vaillantises de leur jeune temps, il vint le chercher lui-même un instant après, et ferma cette bonne soirée par une poignée de main bien amicale et un souhait de bonne nuit au mousquetaire.

      XVII. La diplomatie d'Athos

      D'Artagnan s'était mis au lit bien moins pour dormir que pour être seul et penser à tout ce qu'il avait vu et entendu dans cette soirée.

      Comme il était d'un bon naturel et qu'il avait eu tout d'abord pour Athos un penchant instinctif qui avait fini par devenir une amitié sincère, il fut enchanté de trouver un homme brillant d'intelligence et de force au lieu de cet ivrogne abruti qu'il s'attendait à voir cuver son vin sur quelque fumier; il accepta, sans trop regimber, cette supériorité constante d'Athos sur lui, et, au lieu de ressentir la jalousie et le désappointement qui eussent attristé une nature moins généreuse, il n'éprouva en résumé qu'une joie sincère et loyale qui lui fit concevoir pour sa négociation les plus favorables espérances.

      Cependant il lui semblait qu'il ne retrouvait point Athos franc et clair sur tous les points. Qu'était-ce que ce jeune homme qu'il disait avoir adopté et qui avait avec lui une si grande ressemblance? Qu'étaient-ce que ce retour à la vie du monde et cette sobriété exagérée qu'il avait remarquée à table? Une chose même insignifiante en apparence, cette absence de Grimaud, dont Athos ne pouvait se séparer autrefois et dont le nom même n'avait pas été prononcé malgré les ouvertures faites à ce sujet, tout cela inquiétait d'Artagnan. Il ne possédait donc plus la confiance de son ami, ou bien Athos était attaché à quelque chaîne invisible, ou bien encore prévenu d'avance contre la visite qu'il lui faisait.

      Il ne put s'empêcher de songer à Rochefort, à ce qu'il lui avait dit à l'église Notre-Dame. Rochefort aurait-il précédé d'Artagnan chez Athos?

      D'Artagnan n'avait pas de temps à perdre en longues études. Aussi résolut-il d'en venir dès le lendemain à une explication. Ce peu de fortune d'Athos si habilement déguisé annonçait l'envie de paraître et trahissait un reste d'ambition facile à réveiller. La vigueur d'esprit et la netteté d'idées d'Athos en faisaient un homme plus prompt qu'un autre à s'émouvoir. Il entrerait dans les plans du ministre avec d'autant plus d'ardeur, que son activité naturelle serait doublée d'une dose de nécessité.

      Ces idées maintenaient d'Artagnan éveillé malgré sa fatigue; il dressait ses plans d'attaque, et quoiqu'il sût qu'Athos était un rude adversaire, il fixa l'action au lendemain après le déjeuner.

      Cependant il se dit aussi, d'un autre côté, que sur un terrain si nouveau il fallait s'avancer avec prudence, étudier pendant plusieurs jours les connaissances d'Athos, suivre ses nouvelles habitudes et s'en rendre compte, essayer de tirer du naïf jeune homme, soit en faisant des armes avec lui, soit en courant quelque gibier, les renseignements intermédiaires qui lui manquaient pour joindre l'Athos d'autrefois à l'Athos d'aujourd'hui; et cela devait être facile, car le précepteur devait avoir déteint sur le coeur et l'esprit de son élève. Mais d'Artagnan lui-même qui était un garçon d'une grande finesse, comprit sur-le-champ quelles chances il donnerait contre lui au cas où une indiscrétion ou une maladresse laisserait à découvert ses manoeuvres à l'oeil exercé d'Athos.

      Puis, faut-il le dire, d'Artagnan, tout prêt à user de ruse contre la finesse d'Aramis ou la vanité de Porthos, d'Artagnan avait honte de biaiser avec Athos, l'homme franc, le coeur loyal. Il lui semblait qu'en le reconnaissant leur maître en diplomatie, Aramis et Porthos l'en estimeraient davantage, tandis qu'au contraire Athos l'en estimerait moins.

      – Ah! pourquoi Grimaud, le silencieux Grimaud, n'est-il pas ici? disait d'Artagnan; il y a bien des choses dans son silence que j'aurais comprises, Grimaud avait un silence si éloquent!

      Cependant toutes les rumeurs s'étaient éteintes successivement dans la maison; d'Artagnan avait entendu se fermer les portes et les volets; puis, après s'être répondu quelque temps les uns aux autres dans la campagne, les chiens s'étaient tus à leur tour; enfin, un rossignol perdu dans un massif d'arbres avait quelque temps égrené au milieu de la nuit ses gammes harmonieuses et s'était endormi; il ne se faisait plus dans le château qu'un bruit de pas égal et monotone au-dessous de sa chambre; il supposait que c'était la chambre d'Athos.

      – Il se promène et réfléchit, pensa d'Artagnan, mais à quoi? C'est ce qu'il est impossible de savoir. On pouvait deviner le reste, mais non pas cela.

      Enfin, Athos se mit au lit sans doute, car ce dernier bruit s'éteignit.

      Le silence et la fatigue unis ensemble vainquirent d'Artagnan; il ferma les yeux à son tour, et presque aussitôt le sommeil le prit.

      D'Artagnan n'était pas dormeur. À peine l'aube eut-elle doré ses rideaux, qu'il sauta en bas de son lit et ouvrit les fenêtres. Il lui sembla alors voir à travers la jalousie quelqu'un qui rôdait dans la cour en évitant de faire du bruit. Selon son habitude de ne rien laisser passer à sa portée sans s'assurer de ce que c'était, d'Artagnan regarda attentivement sans faire aucun bruit, et reconnut le justaucorps grenat et les cheveux bruns de Raoul.

      Le jeune homme, car c'était bien lui, ouvrit la porte de l'écurie, en tira le cheval bai qu'il avait déjà monté la veille, le sella et brida lui-même avec autant de promptitude et de dextérité qu'eût pu le faire le plus habile écuyer, puis il fit sortir l'animal par l'allée droite du potager, ouvrit une petite porte latérale qui donnait sur un sentier, tira son cheval dehors, la referma derrière lui, et alors, par-dessus la crête du mur, d'Artagnan le vit passer comme une flèche en se courbant sous les branches pendantes et fleuries des érables et des acacias.

      D'Artagnan avait remarqué la veille que le sentier devait conduire à Blois.

      – Eh, eh! dit le Gascon, voici un gaillard qui fait déjà des siennes, et qui ne me paraît point partager les haines d'Athos contre le beau sexe: il ne va pas chasser, car il n'a ni armes ni chiens; il ne remplit pas un message, car il se cache. De qui se cache-t-il?.. est-ce de moi ou de son père?.. car je suis sûr que le comte est son père… Parbleu! quant à cela je le saurai, car j'en parlerai tout net à Athos.

      Le jour grandissait; tous ces bruits que d'Artagnan avait entendus s'éteindre successivement la veille se réveillaient, l'un après l'autre: l'oiseau dans les branches, le chien dans l'étable, les moutons dans les champs; les bateaux amarrés sur la Loire paraissaient eux-mêmes s'animer, se détachant du rivage et se laissant aller au fil de l'eau. D'Artagnan resta ainsi à sa fenêtre pour ne réveiller personne, puis lorsqu'il eut entendu les portes et les volets du château s'ouvrir, il donna un dernier pli à ses cheveux, un dernier tour à sa moustache, brossa par habitude les rebords de son feutre avec la manche de son pourpoint, et descendit. Il avait à peine franchi la dernière marche du perron, qu'il aperçut Athos baissé vers terre et dans l'attitude d'un homme qui cherche un écu dans le sable.

      – Eh! bonjour, cher hôte, dit d'Artagnan.

      – Bonjour, cher ami. La nuit a-t-elle été bonne?

      – Excellente, Athos, comme votre lit, comme votre souper d'hier soir qui devait me conduire au sommeil, comme, votre accueil quand vous m'avez revu. Mais que regardiez-vous donc là si attentivement? Seriez-vous devenu amateur de tulipes par hasard?

      – Mon cher ami, il ne faudrait pas pour cela vous moquer de moi. À la campagne, les goûts changent fort, et on arrive à aimer, sans y faire attention, toutes ces belles choses que le regard de Dieu fait sortir du fond de la terre et que l'on méprise fort dans les villes. Je regardais tout bonnement des iris que j'avais déposés près de ce réservoir et qui ont été écrasés ce matin. Ces jardiniers sont les gens les plus maladroits du monde. En ramenant le cheval après lui avoir fait tirer de l'eau, ils l'auront laissé marcher dans la plate-bande.

      D'Artagnan se prit à sourire.

      – Ah! dit-il, vous croyez?

      Et il amena son ami le long de l'allée, où bon nombre de pas pareils à celui qui avait écrasé les iris étaient imprimés.

      – Les


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