Vingt ans après. Dumas Alexandre

Vingt ans après - Dumas Alexandre


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justement parce que j'y avais été pour le service du feu cardinal, que je ne pouvais y retourner pour celui de la reine. J'avais été à Bruxelles dans une circonstance terrible. C'était lors de la conspiration de Chalais. J'y avais été pour surprendre la correspondance de Chalais avec l'archiduc, et déjà à cette époque, lorsque je fus reconnu, je faillis y être mis en pièces. Comment vouliez-vous que j'y retournasse! je perdais la reine au lieu de la servir.

      – Eh bien, vous comprenez, voici comment les meilleures intentions sont mal interprétées, mon cher monsieur de Rochefort. La reine n'a vu dans votre refus qu'un refus pur et simple; elle avait eu fort à se plaindre de vous sous le feu cardinal, Sa Majesté la reine! Rochefort sourit avec mépris.

      – C'était justement parce que j'avais bien servi M. le cardinal de Richelieu contre la reine, que, lui mort, vous deviez comprendre, Monseigneur, que je vous servirais bien contre tout le monde.

      – Moi, monsieur de Rochefort, dit Mazarin, moi, je ne suis pas comme M. de Richelieu, qui visait à la toute-puissance; je suis un simple ministre qui n'a pas besoin de serviteurs étant celui de la reine. Or, Sa Majesté est très susceptible; elle aura su votre refus, elle l'aura pris pour une déclaration de guerre, et elle m'aura, sachant combien vous êtes un homme supérieur et par conséquent dangereux, mon cher monsieur de Rochefort, elle m'aura ordonné de m'assurer de vous. Voilà comment vous vous trouvez à la Bastille.

      Eh bien, Monseigneur, il me semble, dit Rochefort, que si c'est par erreur que je me trouve à la Bastille…

      – Oui, oui, reprit Mazarin, certainement tout cela peut s'arranger; vous êtes homme à comprendre certaines affaires, vous, et, une fois ces affaires comprises, à les bien pousser.

      – C'était l'avis de M. le cardinal de Richelieu, et mon admiration pour ce grand homme s'augmente encore de ce que vous voulez bien me dire que c'est aussi le vôtre.

      – C'est vrai, reprit Mazarin, M. le cardinal avait beaucoup de politique, c'est ce qui faisait sa grande supériorité sur moi, qui suis un homme tout simple et sans détours; c'est ce qui me nuit, j'ai une franchise toute française.

      Rochefort se pinça les lèvres pour ne pas sourire.

      – Je viens donc au but. J'ai besoin de bons amis, de serviteurs fidèles; quand je dis j'ai besoin, je veux dire: la reine a besoin. Je ne fais rien que par les ordres de la reine, moi, entendez-vous bien? ce n'est pas comme M. le cardinal de Richelieu, qui faisait tout à son caprice. Aussi, je ne serai jamais un grand homme comme lui; mais en échange, je suis un bon homme, monsieur de Rochefort, et j'espère que je vous le prouverai.

      Rochefort connaissait cette voix soyeuse, dans laquelle glissait de temps en temps un sifflement qui ressemblait à celui de la vipère.

      – Je suis tout prêt à vous croire, Monseigneur, dit-il, quoique, pour ma part, j'aie eu peu de preuves de cette bonhomie dont parle Votre Éminence N'oubliez pas, Monseigneur, reprit Rochefort voyant le mouvement qu'essayait de réprimer le ministre, n'oubliez pas que depuis cinq ans je suis à la Bastille, et que rien ne fausse les idées comme de voir les choses à travers les grilles d'une prison.

      – Ah! monsieur de Rochefort, je vous ai déjà dit que je n'y étais pour rien dans votre prison. La reine… (colère de femme et de princesse, que voulez-vous! mais cela passe comme cela vient, et après on n'y pense plus)…

      – Je conçois, Monseigneur, qu'elle n'y pense plus, elle qui a passé cinq ans au Palais-Royal, au milieu des fêtes et des courtisans; mais, moi, qui les ai passés à la Bastille…

      – Eh! mon Dieu, mon cher monsieur de Rochefort, croyez-vous que le Palais-Royal soit un séjour bien gai? Non pas, allez. Nous y avons eu, nous aussi, nos grands tracas, je vous assure. Mais, tenez, ne parlons plus de tout cela. Moi, je joue cartes sur table, comme toujours. Voyons, êtes-vous des nôtres, monsieur de Rochefort?

      – Vous devez comprendre, Monseigneur, que je ne demande pas mieux, mais je ne suis plus au courant de rien, moi. À la Bastille, on ne cause politique qu'avec les soldats et les geôliers, et vous n'avez pas idée, Monseigneur, comme ces gens-là sont peu au courant des choses qui se passent. J'en suis toujours à M. de Bassompierre, moi… Il est toujours un des dix-sept seigneurs?

      – Il est mort, monsieur, et c'est une grande perte. C'était un homme dévoué à la reine, lui, et les hommes dévoués sont rares.

      – Parbleu! je crois bien, dit Rochefort. Quand vous en avez, vous les envoyez à la Bastille.

      – Mais c'est qu'aussi, dit Mazarin, qu'est-ce qui prouve le dévouement?

      – L'action, dit Rochefort.

      – Ah! oui, l'action! reprit le ministre réfléchissant; mais où trouver des hommes d'action?

      Rochefort hocha la tête.

      – Il n'en manque jamais, Monseigneur, seulement vous cherchez mal.

      – Je cherche mal! que voulez-vous dire, mon cher monsieur de Rochefort? Voyons, instruisez-moi. Vous avez dû beaucoup apprendre dans l'intimité de feu Monseigneur le cardinal. Ah! c'était un si grand homme!

      – Monseigneur se fâchera-t-il si je lui fais de la morale?

      – Moi, jamais! Vous le savez bien, on peut tout me dire. Je cherche à me faire aimer, et non à me faire craindre.

      – Eh bien, Monseigneur, il y a dans mon cachot un proverbe écrit sur la muraille, avec la pointe d'un clou.

      – Et quel est ce proverbe? demanda Mazarin.

      – Le voici, Monseigneur: Tel maître…

      – Je le connais: tel valet.

      – Non: tel serviteur. C'est un petit changement que les gens dévoués dont je vous parlais tout à l'heure y ont introduit pour leur satisfaction particulière.

      – Eh bien! que signifie le proverbe?

      – Il signifie que M. de Richelieu a bien su trouver des serviteurs dévoués, et par douzaines.

      – Lui, le point de mire de tous les poignards! lui qui a passé sa vie à parer tous les coups qu'on lui portait!

      – Mais il les a parés, enfin, et pourtant ils étaient rudement portés. C'est que s'il avait de bons ennemis, il avait aussi de bons amis.

      – Mais voilà tout ce que je demande!

      – J'ai connu des gens, continua Rochefort, qui pensa que le moment était venu de tenir parole à d'Artagnan, j'ai connu des gens qui, par leur adresse, ont cent fois mis en défaut la pénétration du cardinal; par leur bravoure, battu ses gardes et ses espions; des gens qui sans argent, sans appui, sans crédit, ont conservé une couronne à une tête couronnée et fait demander grâce au cardinal.

      – Mais ces gens dont vous parlez, dit Mazarin en souriant en lui- même de ce que Rochefort arrivait où il voulait le conduire, ces gens-là n'étaient pas dévoués au cardinal, puisqu'ils luttaient contre lui.

      – Non, car ils eussent été mieux récompensés; mais ils avaient le malheur d'être dévoués à cette même reine pour laquelle tout à l'heure vous demandiez des serviteurs.

      – Mais comment pouvez-vous savoir toutes ces choses?

      – Je sais ces choses parce que ces gens-là étaient mes ennemis à cette époque, parce qu'ils luttaient contre moi, parce que je leur ai fait tout le mal que j'ai pu, parce qu'ils me l'ont rendu de leur mieux, parce que l'un d'eux, à qui j'avais eu plus particulièrement affaire, m'a donné un coup d'épée, voilà sept ans à peu près: c'était le troisième que je recevais de la même main… la fin d'un ancien compte.

      – Ah! fit Mazarin avec une bonhomie admirable, si je connaissais des hommes pareils.

      – Eh! Monseigneur, vous en avez un à votre porte depuis plus de six ans, et que depuis six ans vous n'avez jugé bon à rien.

      – Qui donc?

      – Monsieur d'Artagnan.

      – Ce


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