Acté. Dumas Alexandre
sur lui. Mais Jason n'a qu'à jeter au milieu d'eux le caillou que lui a donné Médée, pour que ces hommes tournent leurs armes les uns contre les autres et, occupés de s'entretuer le laissent pénétrer jusqu'à la troisième enceinte, au milieu de laquelle s'élève l'arbre au tronc d'argent, au feuillage d'émeraude, et aux fruits de rubis, aux branches duquel pend la toison d'or, dépouille du bélier Phryxus. Mais un dernier ennemi reste plus terrible et plus difficile à vaincre qu'aucun de ceux qu'a déjà combattus Jason: c'est un dragon gigantesque, aux ailes démesurées, couvert d'écailles de diamant, qui le rendent aussi invulnérable que celui qui l'attaque: aussi avec ce dernier antagoniste les armes sont-elles différentes; c'est une coupe d'or pleine de lait que Jason pose à terre, et où le monstre vient boire un breuvage soporifique qui amène un sommeil profond, pendant lequel l'aventureux fils d'Éson enlève la toison d'or. Alors Lucius reprend la lyre ionienne, car Médée attend le vainqueur, et il faut que Jason trouve des paroles d'amour assez puissantes pour déterminer sa maîtresse à quitter père et patrie, et à le suivre sur les flots. La lutte est longue et douloureuse, mais enfin l'amour l'emporte: Médée, tremblante et demi-nue, quitte son vieux père pendant son sommeil; mais, arrivée aux portes du palais, une dernière fois elle veut revoir encore celui qui lui a donné le jour: elle retourne, le pied timide, la respiration suspendue, elle entre dans la chambre du vieillard, s'approche du lit, se penche sur son front, pose un baiser d'adieu éternel sur ses cheveux blancs, jette un cri sanglotant que le vieillard prend pour la voix d'un songe, et revient se jeter dans les bras de son amant, qui l'attend au port et qui l'emporte évanouie dans ce vaisseau merveilleux construit par Minerve elle-même sur les chantiers d'Iolchos, et sous la quille duquel les flots se courbent obéissants; si bien qu'en revenant à elle, Médée voit les rives paternelles décroître à l'horizon, et quitte l'Asie pour l'Europe, le père pour l'époux, le passé pour l'avenir.
Cette seconde partie du poème avait été chantée avec tant de passion et d'entraînement par Lucius, que toutes les femmes écoutaient avec une émotion puissante: Acté surtout, comme Médée, prise du frisson ardent de l'amour, l'œil fixe, la bouche sans voix, la poitrine sans haleine, croyait écouter sa propre histoire, assister à sa vie dont un art magique lui représentait le passé et l'avenir. Aussi au moment où Médée pose ses lèvres sur les cheveux blancs d'Aetès et laisse échapper de son cœur brisé le dernier sanglot de l'amour filial à l'agonie, Acté se serra contre Amyclès, et, pâlissante et éperdue, elle appuya sa tête sur l'épaule du vieillard. Quand à Lucius, son triomphe était complet: à la première interruption du poème, il avait été applaudi avec fureur; cette fois c'étaient des cris et des trépignements, et lui seul put faire taire, en reprenant la troisième partie de son drame, les clameurs d'enthousiasme que lui-même avait excitées.
Cette fois encore il changea de lyre, car ce n'était plus l'amour virginal ou voluptueux qu'il avait à peindre; ce n'était plus le triomphe de l'amant et du guerrier, c'étaient l'ingratitude de l'homme, les transports jaloux de la femme: c'était l'amour furieux, délirant, frénétique; l'amour vengeur et homicide, et alors le mode dorien seul pouvait exprimer toutes ses souffrances et toutes ses fureurs.
Médée vogue sur le vaisseau magique, elle aborde en Phéacie, touche à Iolchos pour payer une dette filiale au père de Jason, en le rajeunissant; puis elle aborde à Corinthe, où son amant l'abandonne pour épouser Creuse, fille du roi d'Épire. C'est alors que la femme jalouse remplace la maîtresse dévouée. Elle enduit une robe d'un poison dévorant, et l'envoie à la fiancée qui s'en enveloppe sans défiance; puis, pendant qu'elle expire au milieu des tortures et aux yeux de Jason infidèle, frénétique et désespérée, pour que la mère ne conserve aucun souvenir de l'amante, elle égorge elle-même ses deux fils et disparaît sur un char traîné par des dragons volants.
À cet endroit du poème, qui flattait l'orgueil des Corinthiens en rejetant, comme l'avait déjà fait Euripide, l'assassinat des enfants sur leur mère, les applaudissements et les bravos firent place à des cris et à des trépignements, au milieu desquels éclatait la voix bruyante des castagnettes, instruments destinés à exprimer au théâtre le dernier degré d'enthousiasme. Alors ce ne fut plus seulement la couronne d'olivier préparée par le proconsul qui fut décernée au chanteur merveilleux, ce fut une pluie de fleurs et de guirlandes que les femmes arrachaient de leur tête, et jetaient frénétiquement sur le théâtre. Un instant on eût pu craindre que Lucius ne fût étouffé sous les couronnes, comme l'avait été Tarpeïa sous les boucliers sabins; d'autant plus qu'immobile et en apparence insensible à ce triomphe inouï, il cherchait des yeux, au milieu de ces femmes, celle-là surtout aux yeux de laquelle il était jaloux de triompher. Enfin, il l'aperçut à demi morte aux bras du vieillard, et, seule au milieu de ces belles Corinthiennes, ayant encore sur la tête sa parure de fleurs. Alors il la regarda avec des yeux si tendres, il étendit vers elle des bras si suppliants, qu'Acté porta sa main à sa couronne, la détacha de son front, mais manquant de force pour l'envoyer jusqu'à son amant, la laissa tomber au milieu de l'orchestre, et se jeta en pleurant dans les bras de son père.
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