La San-Felice, Tome 08. Dumas Alexandre

La San-Felice, Tome 08 - Dumas Alexandre


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voyait sur la mer, s'allongeant de Torre-del-Annonciata au pont de la Madeleine, toute la petite flottille de l'amiral Caracciolo, que dominaient les deux vaisseaux ennemis, la Minerve, commandée par le comte de Thurn, et le Sea-Horse, commandé par le capitaine Ball, que nous avons vu accompagner Nelson à cette fameuse soirée où chaque dame de la cour avait fait son vers, et où tous ces vers réunis avaient composé l'acrostiche de CAROLINA.

      Les premiers coups de fusil qui se firent entendre, la première fumée que l'on vit s'élever, fut en avant du petit fort du Granatello.

      Soit que Tchudy et Sciarpa n'eussent point reçu les ordres du cardinal, soit qu'ils eussent mis de la lenteur à les exécuter, Panedigrano et ses mille forçats se trouvèrent seuls au rendez-vous, et n'en marchèrent pas moins hardiment vers le fort. Il est vrai qu'en les voyant s'avancer, les deux frégates commencèrent, pour les soutenir, leur feu contre le Granatello.

      Salvato demanda cinq cents hommes de bonne volonté, se rua à la baïonnette sur cette trombe de brigands, les enfonça, les dispersa, leur tua une centaine d'hommes et rentra au fort avec quelques-uns des siens seulement hors de combat; encore avaient-ils été atteints par les projectiles lancés des deux bâtiments.

      En arrivant à Somma, le cardinal fut averti de cet échec.

      Mais de Cesare avait été plus heureux. Il avait ponctuellement suivi les ordres du cardinal; seulement, apprenant que le château de Portici était mal gardé et que la population était pour le cardinal, il attaqua Portici et se rendit maître du château. Ce poste était plus important que celui de Resina, fermant mieux la route.

      Il fit parvenir la nouvelle de son succès au cardinal en lui demandant de nouveaux ordres.

      Le cardinal lui ordonna de se fortifier du mieux qu'il lui serait possible, pour couper toute retraite à Schipani, et lui envoya mille hommes pour l'y aider.

      C'était ce que craignait Salvato. Du haut du petit fort du Granatello, il avait vu une troupe considérable, contournant la base du Vésuve, s'avancer vers Portici; il avait entendu des coups de fusil, et, après une courte lutte, la mousquetade avait cessé.

      Il était clair pour lui que la route de Naples était coupée, et il insistait fortement pour que Schipani, sans perdre un instant, marchât vers Naples, forçât l'obstacle et revînt avec ses quinze cents ou deux mille hommes, protégés par le fort de Vigliana, défendre les approches du pont de la Madeleine.

      Mais, mal renseigné, Schipani s'obstinait à voir arriver l'ennemi par la route de Sorrente.

      Une vive canonnade, qui se faisait entendre du côté du pont de la Madeleine, indiquait que le cardinal attaquait Naples de ce côté.

      Si Naples tenait quarante-huit heures, et si les républicains faisaient un suprême effort, on pouvait tirer parti de la position où s'était mis le cardinal, et, au lieu que ce fût Schipani qui fût coupé, c'était le cardinal qui se trouvait entre deux feux.

      Seulement, il fallait qu'un homme de courage, de volonté et d'intelligence, capable de surmonter tous les obstacles, retournât à Naples et pesât sur la délibération des chefs.

      La position était embarrassante. Comme Dante, Salvato pouvait dire: «Si je reste, qui ira? Si je vais, qui restera?»

      Il se décida à partir, recommandant à Schipani de ne pas sortir de ses retranchements qu'il n'eût reçu de Naples un ordre positif qui lui indiquât ce qu'il avait à faire.

      Puis, toujours suivi du fidèle Michele, qui lui faisait observer qu'inutile en rase campagne, il pourrait être fort utile dans les rues de Naples, il sauta dans une barque, se dirigea droit sur la flottille de Caracciolo, se fit reconnaître de l'amiral, auquel il communiqua son plan et qui l'approuva, passa à travers la flottille, qui couvrait la mer d'une nappe de feu et le rivage d'une pluie de boulets et de grenades, rama droit sur le Château-Neuf, et aborda dans l'anse du môle.

      Il n'y avait pas un instant à perdre, ni d'un côté ni de l'autre. Salvato et Michele s'embrassèrent. Michele courut au Marché-Vieux et Salvato au Château-Neuf, où se tenait le conseil.

      Esclave de son devoir, il monta droit à la chambre où il savait trouver le directoire et exposa son plan aux directeurs, qui l'approuvèrent.

      Mais on connaissait Schipani pour une tête de fer. On savait qu'il ne recevrait d'ordres que de Writz ou de Bassetti, ses deux chefs. On renvoya Salvato à Writz, qui combattait au pont de la Madeleine.

      Salvato s'arrêta un instant chez Luisa, qu'il trouva mourante et à laquelle il rendit la vie comme un rayon de soleil rend la chaleur. Il lui promit de la revoir avant de retourner au combat, et, s'élançant sur un cheval neuf qu'il avait ordonné pendant ce temps, il suivit au grand galop le quai qui conduit au pont de la Madeleine.

      C'était le fort du combat. Le petit fleuve du Sebeto séparait les combattants. Deux cents hommes jetés dans l'immense bâtiment des Granili faisaient feu par toutes les fenêtres.

      Le cardinal était là, bien reconnaissable à son manteau de pourpre, donnant ses ordres au milieu du feu et affirmant dans l'esprit de ses hommes qu'il était invulnérable aux balles qui sifflaient à ses oreilles, et que les grenades qui venaient éclater entre les jambes de son cheval ne pouvaient rien sur lui.

      Aussi, fiers de mourir sous les yeux d'un pareil chef; sûrs, en mourant, de voir s'ouvrir à deux battants pour eux les portes du paradis, les sanfédistes, toujours repoussés, revenaient-ils sans cesse à la charge avec une nouvelle ardeur.

      Du côté des patriotes, le général Writz était aussi facile à voir que, du côté des sanfédistes, le cardinal. A cheval comme lui, il parcourait les rangs, excitant les républicains à la défense comme le cardinal, lui, excitait à l'attaque.

      Salvato le vit de loin et piqua droit à lui. Le jeune général semblait être tellement habitué au bruit des balles, qu'il n'y faisait pas plus attention qu'au sifflement du vent.

      Si pressés que fussent les rangs des républicains, ils s'écartèrent devant lui: on reconnaissait un officier supérieur, alors même que l'on ne reconnaissait pas Salvato.

      Les deux généraux se joignirent au milieu du feu.

      Salvato exposa à Writz le but de sa course. Il tenait l'ordre tout prêt: il le fit lire à Writz, qui l'approuva. Seulement, la signature manquait.

      Salvato sauta à bas de son cheval, qu'il donna à tenir à l'un de ses Calabrais, qu'il reconnut dans la mêlée, et alla dans une maison voisine, qui servait d'ambulance, chercher une plume toute trempée d'encre.

      Puis il revint à Writz et lui remit la plume.

      Writz s'apprêta à signer l'ordre sur l'arçon de sa selle.

      Profitant de ce moment d'immobilité, un capitaine sanfédiste prit aux mains d'un Calabrais son fusil, ajusta le général et fit feu.

      Salvato entendit un bruit mat suivi d'un soupir. Writz se pencha de son côté et tomba dans ses bras.

      Aussitôt, ce cri retentit:

      –Le général est mort! le général est mort!

      –Blessé! blessé seulement! cria à son tour Salvato, et nous allons le venger!

      Et, sautant sur le cheval de Writz:

      –Chargeons cette canaille, dit-il, et vous la verrez se disperser comme de la poussière au vent.

      Et, sans s'inquiéter s'il était suivi, il s'élança sur le pont de la Madeleine, accompagné de trois ou quatre cavaliers seulement.

      Une décharge d'une vingtaine de coups de fusil tua deux de ses hommes et cassa la cuisse à son cheval, qui s'abattit sous lui.

      Il tomba, mais, avec son sang-froid ordinaire, les jambes écartées pour ne pas être engagé sous sa monture, et les deux mains sur ses fontes, qui étaient heureusement garnies de leurs pistolets.

      Les sanfédistes se ruèrent sur lui. Deux coups de pistolet tuèrent deux hommes; puis, de son sabre, qu'il tenait entre ses dents et qu'il y reprit après avoir jeté loin de lui ses pistolets


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