La San-Felice, Tome 08. Dumas Alexandre

La San-Felice, Tome 08 - Dumas Alexandre


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danger que courait Salvato, chargeait, à la tête de ses hussards, pour le secourir ou le délivrer.

      Les hussards tenaient toute la largeur du pont. Après avoir failli être poignardé par les baïonnettes sanfédistes, Salvato allait être écrasé sous les pieds des chevaux patriotes.

      Dégagé de ceux qui l'entouraient par l'approche de Nicolino, mais risquant, comme nous l'avons dit, d'être foulé aux pieds, il enjamba le pont et sauta par-dessus.

      Le pont était dégagé, l'ennemi repoussé; l'effet moral de la mort de Writz était combattu par un avantage matériel. Salvato traversa le Sebeto et se retrouva au milieu des rangs des républicains.

      On avait porté Writz à l'ambulance, Salvato y courut. S'il lui restait assez de force pour signer, il signerait; tant qu'un souffle de vie palpitait encore dans la poitrine du général en chef, ses ordres devaient être exécutés.

      Writz n'était pas mort, il n'était qu'évanoui.

      Salvato récrivit l'ordre qui avait échappé avec la plume à la main mourante du général, se mit en quête de son cheval, qu'il retrouva, et, en recommandant une défense acharnée, il repartit à fond de train pour aller trouver Bassetti à Capodichino.

      En moins d'un quart d'heure, il y était.

      Bassetti y maintenait la défense, avec moins de peine que là où était le cardinal.

      Salvato put donc le tirer à part, lui faire signer par duplicata l'ordre pour Schipani, afin que, si l'un des deux ne parvenait pas à sa destination, l'autre y parvînt.

      Il lui raconta ce qui venait de se passer au pont de la Madeleine et ne le quitta qu'après lui avoir fait faire serment de défendre Capodichino jusqu'à la dernière extrémité et de concourir au mouvement du lendemain.

      Salvato, pour revenir au Château-Neuf, devait traverser toute la ville. A la strada Floria, il vit un immense rassemblement qui lui barrait la rue.

      Ce rassemblement était causé par un moine monté sur un âne, et portant une grande bannière.

      Cette bannière représentait le cardinal Ruffo, à genoux devant saint Antoine de Padoue, tenant dans ses mains des rouleaux de cordes qu'il présentait au cardinal.

      Le moine, de grande taille déjà, grâce à sa monture, dominait toute la foule, à laquelle il expliquait ce que représentait la bannière.

      Saint Antoine était apparu en rêve au cardinal Ruffo, et lui avait dit, en lui montrant des cordes, que, pour la nuit du 13 au 14 juin, c'est-à-dire pour la nuit suivante, les patriotes avaient fait le complot de pendre tous les lazzaroni, ne laissant la vie qu'aux enfants pour les élever dans l'athéisme, et que, dans ce but, une distribution de cordes avait été faite par le directoire aux jacobins.

      Par bonheur, saint Antoine, dont la fête tombait le 14, n'avait pas voulu qu'un tel attentat s'accomplît le jour de sa fête, et avait, comme le constatait la bannière que déroulait le moine en la faisant voltiger, obtenu du Seigneur la permission de prévenir ses fidèles bourboniens du danger qu'ils couraient.

      Le moine invitait les lazzaroni à fouiller les maisons des patriotes et à pendre tous ceux dans les maisons desquels on trouverait des cordes.

      Depuis deux heures, le moine, qui remontait du Vieux-Marché vers le palais Borbonico, faisait, de cent pas en cent pas, une halte, et, au milieu des cris, des vociférations, des menaces de plus de cinq cents lazzaroni, répétait une proclamation semblable. Salvato, ne sachant point la portée que pouvait avoir la harangue du capucin, que nos lecteurs ont déjà reconnu, sans doute, pour fra Pacifico, le quel, en reparaissant dans les bas quartiers de Naples y avait retrouvé sa vieille popularité avec recrudescence de popularité nouvelle, – Salvato, disons-nous, allait passer outre, lorsqu'il vit venir, par la rue San-Giovanni à Carbonara, une troupe de ces misérables portant au bout d'une baïonnette une tête couronnée de cordes.

      Celui qui la portait était un homme de quarante à quarante-cinq ans, hideux à voir, couvert qu'il était de sang, la tête qu'il portait au bout de la baïonnette étant fraîchement coupée et dégouttant sur lui. A sa laideur naturelle, à sa barbe rousse comme celle de Judas, à ses cheveux roidis et collés à ses tempes par la pluie sanglante, il faut joindre une large balafre lui coupant la figure en diagonale et lui crevant l'oeil gauche.

      Derrière lui venaient d'autres hommes portant des cuisses et des bras.

      Ces hideux trophées de chair s'avançaient au milieu des cris de «Vive le roi! vive la religion!»

      Salvato s'informa de ce que signifiait la sinistre procession et apprit qu'à la suite de la proclamation de fra Pacifico, des cordes ayant été trouvées dans la cave d'un boucher, le pauvre diable, au milieu des cris «Voilà les lacets qui devaient nous pendre!» avait été égorgé à petits coups, puis dépecé en morceaux. Son torse, déchiré en vingt parties, avait été pendu aux crochets de la boutique, tandis que sa tête, couronnée de cordes, était, avec ses bras et ses cuisses, portée par la ville.

      Il se nommait Cristoforo; c'était le même qui avait procuré à Michele une pièce de monnaie russe.

      Quant à son assassin, que Salvato ne reconnut point au visage, mais qu'il reconnut au nom, c'était ce même beccaïo qui l'avait attaqué, lui sixième, sous les ordres de Pasquale de Simone, dans la nuit du 22 au 23 septembre, et à qui il avait fendu l'oeil d'un coup de sabre.

      A cette explication, que lui donna un bourgeois qui, ayant entendu tout ce bruit, s'était hasardé sur le pas de sa porte, Salvato n'y put tenir. Il mit le sabre à la main et s'élança sur cette bande de cannibales.

      Le premier mouvement des lazzaroni fut de prendre la fuite; mais, voyant qu'ils étaient cent et que Salvato était seul, la honte les gagna, et ils revinrent menaçants sur le jeune officier. Trois ou quatre coups de sabre bien appliqués écartèrent les plus hardis, et Salvato se serait encore tiré de cette mauvaise affaire si les cris des blessés et surtout les vociférations du beccaïo n'eussent donné l'éveil à la troupe qui accompagnait fra Pacifico, et qui, en l'accompagnant, fouillait les maisons désignées.

      Une trentaine d'hommes se détachèrent et vinrent prêter main-forte à la bande du beccaïo.

      Alors, on vit ce spectacle singulier d'un seul homme se défendant contre soixante, par bonheur, mal armés, et faisant bondir son cheval au milieu d'eux comme si son cheval eût eu des ailes. Dix fois, une voie lui fut ouverte et il eût pu fuir, soit par la strada de l'Orticello, soit par la grotta della Marsa, soit par le vico dei Ruffi; mais il semblait ne pas vouloir quitter la partie, évidemment si mauvaise pour lui, tant qu'il n'aurait pas atteint et puni le misérable chef de cette bande d'assassins. Mais, plus libre que lui de ses mouvements, parce qu'il était au milieu de la foule, le beccaïo lui échappait sans cesse, glissant, pour ainsi dire, entre ses mains comme l'anguille entre les mains du pêcheur. Tout à coup, Salvato se souvint des pistolets qu'il avait dans ses fontes. Il passa son sabre dans sa main gauche, tira son pistolet de sa fonte et l'arma. Par malheur, pour viser sûrement, il fut obligé d'arrêter son cheval. Au moment où Salvato touchait du doigt la gâchette, son cheval s'affaissa tout à coup sous lui; un lazzarone, qui s'était glissé entre les jambes de l'animal, lui avait coupé le jarret.

      Le coup de pistolet partit en l'air.

      Cette fois, Salvato n'eut pas le temps de se relever ni de chercher son autre pistolet dans son autre fonte: dix lazzaroni se ruèrent sur lui, cinquante couteaux le menacèrent.

      Mais un homme se jeta au milieu de ceux qui allaient le poignarder, en criant:

      –Vivant! vivant!

      Le beccaïo, en voyant l'acharnement de Salvato à le poursuivre, l'avait reconnu et avait compris qu'il était reconnu lui-même. Or, il estimait assez le courage du jeune homme pour savoir avec quelle indifférence il recevrait la mort en combattant.

      Ce n'était donc pas cette mort-là qu'il lui réservait.

      –Et pourquoi vivant? répondirent vingt voix.

      –Parce que c'est un Français, parce que c'est l'aide de camp du général Championnet, parce que c'est celui,


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