Actes et Paroles, Volume 1. Victor Hugo
la presse hostile d'escroc et de filou (pick-pocket), en rit dans ses lettres. Un jour, un celebre ministre anglais; eclabousse a la tribune de la meme facon, donna une chiquenaude a sa manche, et dit: Cela se brosse. Il avait raison. Les haines, les noirceurs, les mensonges, boue aujourd'hui, poussiere demain.
Ne repondons pas a la colere par la colere.
Ne soyons pas severes pour des cecites.
"Ils ne savent ce qu'ils font", a dit quelqu'un sur le calvaire. "Ils ne savent ce qu'ils disent", n'est pas moins melancolique ni moins vrai. Le crieur ignore son cri. L'insulteur est-il responsable de l'insulte? A peine.
Pour etre responsable il faut etre intelligent.
Les chefs comprenaient jusqu'a un certain point les actions qu'ils commettaient; les autres, non. La main est responsable, la fronde l'est peu, la pierre ne l'est pas.
Fureurs, injustices, calomnies, soit.
Oublions ces brouhaha.
VIII
Et puis, car il faut tout dire, c'est si bon la bonne foi, dans les collisions d'assemblee rappelees ici, l'orateur n'a-t-il rien a se reprocher? Ne lui est-il jamais arrive de se laisser conduire par le mouvement de la parole au dela de sa pensee? Avouons-le, c'est dans la parole qu'il y a du hasard. On ne sait quel trepied est mele a la tribune, ce lieu sonore est un lieu mysterieux, on y sent l'effluve inconnu, le vaste esprit de tout un peuple vous enveloppe et s'infiltre dans votre esprit, la colere des irrites vous gagne, l'injustice des injustes vous penetre, vous sentez monter en vous la grande indignation sombre, la parole va et vient de la conviction fixe et sereine a la revolte plus ou moins mesuree contre l'incident inattendu. De la des oscillations redoutables. On se laisse entrainer, ce qui est un danger, et emporter, ce qui est un tort. On fait des fautes de tribune. L'orateur qui se confesse ici n'y a point echappe.
En dehors des discours purement de replique et de combat, tous les discours de tribune qu'on trouvera dans ce livre ont ete ce qu'on appelle improvises. Expliquons-nous sur l'improvisation. L'improvisation, dans les graves questions politiques, implique la premeditation, provisam rem, dit Horace. La premeditation fait que, lorsqu'on parle, les mots ne viennent pas malgre eux; la longue incubation de l'idee facilite l'eclosion immediate de l'expression. L'improvisation n'est pas autre chose que l'ouverture subite et a volonte de ce reservoir, le cerveau, mais il faut que le reservoir soit plein. De la plenitude de la pensee resulte l'abondance de la parole. Au fond, ce que vous improvisez semble nouveau a l'auditoire, mais est ancien chez vous. Celui-la parle bien qui depense la meditation d'un jour, d'une semaine, d'un mois, de toute sa vie parfois, en une parole d'une heure. Les mots arrivent aisement surtout a l'orateur qui est ecrivain, qui a l'habitude de leur commander et d'etre servi par eux, et qui, lorsqu'il les sonne, les fait venir. L'improvisation, c'est la veine piquee, l'idee jaillit. Mais cette facilite meme est un peril. Toute rapidite est dangereuse. Vous avez chance et vous courez risque de mettre la main sur l'exageration et de la lancer a vos ennemis. Le premier mot venu est quelquefois un projectile. De la l'excellence des discours ecrits.
Les assemblees y reviendront peut-etre.
Est-ce qu'on peut etre orateur avec un discours ecrit? On a fait cette question. Elle est etrange. Tous les discours de Demosthene et de Ciceron sont des discours ecrits. Ce discours sent l'huile, disait le zoile quelconque de Demosthene. Royer-Collard, ce pedant charmant, ce grand esprit etroit, etait un orateur; il n'a prononce que des discours ecrits; il arrivait, et posait son cahier sur la tribune. Les trois quarts des harangues de Mirabeau sont des harangues ecrites, qui parfois meme, et nous le blamons de ceci, ne sont pas de Mirabeau; il debitait a la tribune, comme de lui, tel discours qui etait de Talleyrand, tel discours qui etait de Malouet, tel discours qui etait de je ne sais plus quel suisse dont le nom nous echappe. Danton ecrivait souvent ses discours; on en a retrouve des pages, toutes de sa main, dans son logis de la cour du Commerce. Quant a Robespierre, sur dix harangues, neuf sont ecrites. Dans les nuits qui precedaient son apparition a la tribune, il ecrivait ce qu'il devait dire, lentement, correctement, sur sa petite table de sapin, avec un Racine ouvert sous les yeux.
L'improvisation a un avantage, elle saisit l'auditoire; elle saisit aussi l'orateur, c'est la son inconvenient; Elle le pousse a ces exces de polemique oratoire qui sont comme le pugilat de la tribune. Celui qui parle ici, reserve faite de la meditation prealable, n'a prononce dans les assemblees que des discours improvises. De la des violences de paroles, de la des fautes. Il s'en accuse.
IX
Ces hommes des anciennes majorites ont fait tout le mal qu'ils ont pu. Voulaient-ils faire le mal? Non; ils trompaient, mais ils se trompaient, c'est la leur circonstance attenuante. Ils croyaient avoir la verite, et ils mentaient au service de la verite. Leur pitie pour la societe etait impitoyable pour le peuple. De la tant de lois et tant d'actes aveuglement feroces. Ces hommes, plutot cohue que senat, assez innocents au fond, criaient pele-mele sur leurs bancs, ayant des ressorts qui les faisaient mouvoir, huant ou applaudissant selon le fil tire, proscrivant au besoin, pantins pouvant mordre. Ils avaient pour chefs les meilleurs d'entre eux, c'est-a-dire les pires. Celui-ci, ancien liberal rallie aux servitudes, demandait qu'il n'y eut plus qu'un seul journal, le Moniteur, ce qui faisait dire a son voisin l'eveque Parisis: Et encore! Cet autre, pesamment leger, academicien de l'espece qui parle bien et ecrit mal. Cet autre, habit noir, cravate blanche, cordon rouge, gros souliers, president, procureur, tout ce qu'on veut, qui eut pu etre Ciceron s'il n'avait ete Guy-Patin, jadis avocat spirituel, le dernier des laches. Cet autre, homme de simarre et grand juge de l'empire a trente ans, remarquable maintenant par son chapeau gris et son pantalon de nankin, senile dans sa jeunesse, juvenile dans sa vieillesse, ayant commence comme Lamoignon et finissant comme Brummel. Cet autre, ancien heros deforme, interrupteur injurieux, vaillant soldat devenu clerical trembleur, general devant Abd-el-Kader, caporal derriere Nonotte et Patouillet, se donnant, lui si brave, la peine d'etre bravache, et ridicule par ou il eut du etre admire, ayant reussi a faire de sa tres reelle renommee militaire un epouvantail postiche, lion qui coupe sa criniere et s'en fait une perruque. Cet autre, faux orateur, ne sachant que lapider avec des grossieretes, et n'ayant de ce qui etait dans la bouche de Demosthene que les cailloux. Celui-ci, deja nomme, d'ou etait sortie l'odieuse parole Expedition de Rome a l'interieur, vanite du premier ordre, parlant du nez par elegance, jargonnant, le lorgnon a l'oeil, une petite eloquence impertinente, homme de bonne compagnie un peu poissard, melant la halle a l'hotel de Rambouillet, jesuite longtemps echappe dans la demagogie, abhorrant le czar en Pologne et voulant le knout a Paris, poussant le peuple a l'eglise et a l'abattoir, berger de l'espece bourreau. Cet autre, insulteur aussi, et non moins zele serviteur de Rome, intrigant du bon Dieu, chef paisible des choses souterraines, figure sinistre et douce avec le sourire de la rage. Cet autre … – Mais je m'arrete. A quoi bon ce denombrement? Et caetera, dit l'histoire. Tous ces masques sont deja des inconnus. Laissons tranquille l'oubli reprenant ce qui est a lui. Laissons la nuit tomber sur les hommes de nuit. Le vent du soir emporte de l'ombre, laissons-le faire. En quoi cela nous regarde-t-il, un effacement de silhouette a l'horizon?
Passons.
Oui, soyons indulgents. S'il y a eu pour plusieurs d'entre nous quelque labeur et quelque epreuve, une tempete plus ou moins longue, quelques jets d'ecume sur l'ecueil, un peu de ruine, un peu d'exil, qu'importe si la fin est bonne pour toi, France, pour toi, peuple! qu'importe l'augmentation de souffrance de quelques-uns s'il y a diminution de souffrance pour tous! La proscription est dure, la calomnie est noire, la vie loin de la patrie est une insomnie lugubre, mais qu'importe si l'humanite grandit et se delivre! qu'importe nos douleurs si les questions avancent, si les problemes se simplifient, si les solutions murissent, si a travers la claire-voie des impostures et des illusions on apercoit de plus en plus distinctement la verite! qu'importe dix-neuf ans de froide bise a l'etranger, qu'importe l'absence mal recue au retour, si devant l'ennemi Paris charmant devient Paris sublime, si la majeste de la grande nation s'accroit par le malheur, si la France mutilee laisse couler par ses plaies de la vie pour le monde entier! qu'importe si les ongles repoussent a cette mutilee, et si l'heure de la restitution arrive! qu'importe si, dans un prochain avenir, deja distinct et visible, chaque nationalite reprend sa figure naturelle, la Russie jusqu'a l'Inde, l'Allemagne jusqu'au Danube, l'Italie jusqu'aux Alpes, la France jusqu'au Rhin, l'Espagne ayant Gibraltar, et Cuba ayant Cuba; rectifications