Actes et Paroles, Volume 1. Victor Hugo

Actes et Paroles, Volume 1 - Victor Hugo


Скачать книгу
necessaires a l'immense amitie future des nations! C'est tout cela que nous avons voulu. Nous l'aurons.

      Il y a des saisons sociales, il y a pour la civilisation des traversees climateriques, qu'importe notre fatigue dans l'ouragan! et qu'est-ce que cela fait que nous ayons ete malheureux si c'est pour le bien, si decidement le genre humain passe de son decembre a son avril, si l'hiver des despotismes et des guerres est fini, s'il ne nous neige plus de superstitions et de prejuges sur la tete, et si, apres toutes les nuees evanouies, feodalites, monarchies, empires, tyrannies, batailles et carnages, nous voyons enfin poindre a l'horizon rose cet eblouissant floreal des peuples, la paix universelle!

      X

      Dans tout ce que nous disons ici, nous n'avons qu'une pretention, affirmer l'avenir dans la mesure du possible.

      Prevoir ressemble quelquefois a errer; le vrai trop lointain fait sourire.

      Dire qu'un oeuf a des ailes, cela semble absurde, et cela est pourtant veritable.

      L'effort du penseur, c'est de mediter utilement.

      Il y a la meditation perdue qui est reverie, et la meditation feconde qui est incubation. Le vrai penseur couve.

      C'est de cette incubation que sortent, a des heures voulues, les diverses formes du progres destinees a s'envoler dans le grand possible humain, dans la realite, dans la vie.

      Arrivera-t-on a l'extremite du progres?

      Non.

      Il ne faut pas rendre la mort inutile. L'homme ne sera complet qu'apres la vie.

      Approcher toujours, n'arriver jamais; telle est la loi. La civilisation est une asymptote.

      Toutes les formes du progres sont la Revolution.

      La Revolution, c'est la ce que nous faisons, c'est la ce que nous pensons, c'est la ce que nous parlons, c'est la ce que nous avons dans la bouche, dans la poitrine, dans l'ame,

      La Revolution, c'est la respiration nouvelle de l'humanite.

      La Revolution, c'est hier, c'est aujourd'hui, et c'est demain.

      De la, disons-le, la necessite et l'impossibilite d'en faire l'histoire.

      Pourquoi?

      Parce qu'il est indispensable de raconter hier et parce qu'il est impossible de raconter demain.

      On ne peut que le deduire et le preparer. C'est ce que nous tachons de faire.

      Insistons, cela n'est jamais inutile, sur cette immensite de la Revolution.

      XI

      La Revolution tente tous les puissants esprits, et c'est a qui s'en approchera, les uns, comme Lamartine, pour la peindre, les autres, comme Michelet, pour l'expliquer, les autres, comme Quinet, pour la juger, les autres, comme Louis Blanc, pour la feconder.

      Aucun fait humain n'a eu de plus magnifiques narrateurs, et pourtant cette histoire sera toujours offerte aux historiens comme a faire.

      Pourquoi? Parce que toutes les histoires sont l'histoire du passe, et que, repetons-le, l'histoire de la Revolution est l'histoire de l'avenir. La Revolution a conquis en avant, elle a decouvert et annonce le grand Chanaan de l'humanite, il y a dans ce qu'elle nous a apporte encore plus de terre promise que de terrain gagne, et a mesure qu'une de ces conquetes faites d'avance entrera dans le domaine humain, a mesure qu'une de ces promesses se realisera, un nouvel aspect de la Revolution se revelera, et son histoire sera renouvelee. Les histoires actuelles n'en seront pas moins definitives, chacune a son point de vue, les historiens contemporains domineront meme l'historien futur, comme Moise domine Cuvier, mais leurs travaux se mettront en perspective et feront partie de l'ensemble complet. Quand cet ensemble sera-t-il complet? Quand le phenomene sera termine, c'est-a-dire quand la revolution de France sera devenue, comme nous l'avons indique dans les premieres pages de cet ecrit, d'abord revolution d'Europe, puis revolution de l'homme; quand l'utopie se sera consolidee en progres, quand l'ebauche aura abouti au chef-d'oeuvre; quand a la coalition fratricide des rois aura succede la federation fraternelle des peuples, et a la guerre contre tous, la paix pour tous. Impossible, a moins d'y ajouter le reve, de completer des aujourd'hui ce qui ne se completera que demain, et d'achever l'histoire d'un fait inacheve, surtout quand ce fait contient une telle vegetation d'evenements futurs. Entre l'histoire et l'historien la disproportion est trop grande.

      Rien de plus colossal. Le total echappe. Regardez ce qui est deja derriere nous. La Terreur est un cratere, la Convention est un sommet. Tout l'avenir est en fermentation dans ces profondeurs. Le peintre est effare par l'inattendu des escarpements. Les lignes trop vastes depassent l'horizon. Le regard humain a des limites, le procede divin n'en a pas. Dans ce tableau a faire vous vous borneriez a un seul personnage, prenez qui vous voudrez, que vous y sentiriez l'infini. D'autres horizons sont moins demesures. Ainsi, par exemple, a un moment donne de l'histoire, il y a d'un cote Tibere et de l'autre Jesus. Mais le jour ou Tibere et Jesus font leur jonction dans un homme et s'amalgament dans un etre formidable ensanglantant la terre et sauvant le monde, l'historien romain lui-meme aurait un frisson, et Robespierre deconcerterait Tacite. Par moments on craint de finir par etre force d'admettre une sorte de loi morale mixte qui semble se degager de tout cet inconnu. Aucune des dimensions du phenomene ne s'ajuste a la notre. La hauteur est inouie et se derobe a l'observation. Si grand que soit l'historien, cette enormite le deborde. La Revolution francaise racontee par un homme, c'est un volcan explique par une fourmi.

      XII

      Que conclure? Une seule chose. En presence de cet ouragan enorme, pas encore fini, entr'aidons-nous les uns les autres.

      Nous ne sommes pas assez hors de danger pour ne point nous tendre la main.

      O mes freres, reconcilions-nous.

      Prenons la route immense de l'apaisement. On s'est assez hai. Treve. Oui, tendons-nous tous la main. Que les grands aient pitie des petits, et que les petits fassent grace aux grands. Quand donc comprendra-t-on que nous sommes sur le meme navire, et que le naufrage est indivisible? Cette mer qui nous menace est assez grande pour tous, il y a de l'abime pour vous comme pour moi. Je l'ai dit deja ailleurs, et je le repete. Sauver les autres, c'est se sauver soi-meme. La solidarite est terrible, mais la fraternite est douce. L'une engendre l'autre. O mes freres, soyons freres!

      Voulons-nous terminer notre malheur? renoncons a notre colere.

      Reconcilions-nous. Vous verrez comme ce sourire sera beau.

      Envoyons aux exils lointains la flotte lumineuse du retour, restituons les maris aux femmes, les travailleurs aux ateliers, les familles aux foyers, restituons-nous a nous-memes ceux qui ont ete nos ennemis. Est-ce qu'il n'est pas enfin temps de s'aimer? Voulez-vous qu'on ne recommence pas? finissez. Finir, c'est absoudre. En sevissant, on perpetue. Qui tue son ennemi fait vivre la haine. Il n'y a qu'une facon d'achever les vaincus, leur pardonner. Les guerres civiles s'ouvrent par toutes les portes et se ferment par une seule, la clemence. La plus efficace des repressions, c'est l'amnistie. O femmes qui pleurez, je voudrais vous rendre vos enfants.

      Ah! je songe aux exiles. J'ai par moments le coeur serre. Je songe au mal du pays. J'en ai eu ma part peut-etre. Sait-on de quelle nuit tombante se compose la nostalgie? Je me figure la sombre ame d'un pauvre enfant de vingt ans qui sait a peine ce que la societe lui veut, qui subit pour ou ne sait quoi, pour un article de journal, pour une page fievreuse ecrite dans la folie, ce supplice demesure, l'exil eternel, et qui, apres une journee de bagne, le crepuscule venu, s'assied sur la falaise severe, accable sous l'enormite de la guerre civile et sous la serenite des etoiles! Chose horrible, le soir et l'ocean a cinq mille lieues de sa mere!

      Ah! pardonnons!

      Ce cri de nos ames n'est pas seulement tendre, il est raisonnable. La douceur n'est pas seulement la douceur, elle est l'habilete. Pourquoi condamner l'avenir au grossissement des vengeances gonflees de pleurs et a la sinistre repercussion des rancunes! Allez dans les bois, ecoutez les echos, et songez aux represailles; cette voix obscure et lointaine qui vous repond, c'est votre haine qui revient contre vous. Prenez garde, l'avenir est bon debiteur, et votre colere, il vous la rendra. Regardez les berceaux, ne leur noircissez pas la vie qui les attend. Si nous n'avons pas pitie des enfants, des autres, ayons pitie de nos enfants. Apaisement!


Скачать книгу