Quentin Durward. Вальтер Скотт
chanson.
L'ÉDUCATION qu'avait reçue Quentin Durward n'était pas de nature à faire germer dans le cœur de doux sentimens, ni même à y graver des principes bien purs de morale. On lui avait appris, à lui comme à tous les Durward, que la chasse était le seul amusement qui lui convînt, et la guerre leur unique occupation sérieuse; le grand devoir de toute leur vie était de souffrir avec fermeté, et de chercher à rendre au centuple les maux que pouvaient leur faire leurs ennemis féodaux, qui avaient enfin presque exterminé leur race: et cependant il se mêlait à ces haines héréditaires un esprit de chevalerie grossière, et même de courtoisie, qui en adoucissait la rigueur; de sorte que la vengeance, seule justice qui fût connue, ne s'exerçait pas sans quelque égard pour l'humanité et la générosité. D'une autre part, les leçons du bon vieux moine, que le jeune Durward avait peut-être écoutées, dans l'adversité et pendant une longue maladie, avec plus de profit qu'il ne l'eût fait s'il eût été heureux et bien portant, lui avaient donné des idées plus justes sur les devoirs qu'impose l'humanité: aussi, si l'on fait attention à l'ignorance générale qui régnait alors, aux préjugés qu'on avait conçus en faveur de l'état militaire, et à la manière dont il avait été élevé, le jeune Quentin était à même de comprendre les devoirs moraux qui convenaient à sa situation dans le monde, avec plus de justesse qu'on ne le faisait généralement alors.
Ce fut avec embarras et désappointement qu'il réfléchit sur son entrevue avec son oncle. Il avait conçu de grandes espérances; car quoiqu'il ne fût pas question à cette époque de communications épistolaires, un pèlerin, un commerçant aventureux, ou un soldat estropié, prononçaient quelquefois le nom de Lesly à Glen-Houlakin, et vantaient tous, d'un commun accord, son courage indomptable et les succès qu'il avait obtenus dans diverses expéditions dont son maître l'avait chargé. L'imagination du jeune Quentin avait complété l'esquisse à sa manière: les exploits de son oncle, auxquels la relation ne faisait probablement rien perdre, lui représentaient cet aventurier semblable aux champions et aux chevaliers errans chantés par les ménestrels, gagnant des couronnes et des filles de roi à la pointe de l'épée et de la lance. Il était maintenant forcé de le placer à un degré beaucoup plus bas sur l'échelle de la chevalerie; et cependant, aveuglé par le respect qu'il avait pour ses parens et pour ceux dont l'âge était au-dessus du sien, soutenu par les préventions favorables qu'il avait conçues sur son compte, dépourvu d'expérience, et passionnément attaché à la mémoire de sa mère, il ne voyait pas sous son véritable jour le caractère du seul frère de cette mère chérie, soldat mercenaire comme il y en avait tant, ne valant ni beaucoup plus ni beaucoup moins que la plupart des gens de la même profession, dont la présence ajoutait encore aux maux qui déchiraient la France.
Sans être cruel de gaieté de cœur, le Balafré avait contracté, par habitude, beaucoup d'indifférence pour la vie et les souffrances des hommes. Il était profondément ignorant, avide de butin, peu scrupuleux sur les moyens d'en faire, et en dépensant le produit avec prodigalité pour satisfaire ses passions. L'habitude de donner une attention exclusive à ses besoins et à ses intérêts, avait fait de lui un des êtres les plus égoïstes de l'univers; de sorte qu'il était rarement en état, comme le lecteur peut l'avoir remarqué, d'aller bien loin sur aucun sujet, sans considérer en quoi il pouvait lui être applicable, ou, comme on le dit, sans en faire sa propre cause, mais par un sentiment bien, différent de ceux qu'inspire un désintéressement généreux. Il faut ajouter encore que le cercle étroit de ses devoirs et de ses plaisirs avait circonscrit peu à peu ses pensées, ses désirs et ses espérances, et calmé jusqu'à un certain point cette soif ardente d'honneur, ce désir de se distinguer par les armes, qui l'avaient autrefois animé.
En un mot, le Balafré était un soldat actif, endurci, égoïste, à esprit étroit, infatigable et hardi dans l'exécution de ses devoirs; mais ne connaissant presque rien au-delà, si ce n'est l'observance des pratiques d'une dévotion superstitieuse, à laquelle il faisait diversion de temps en temps en vidant quelques bouteilles avec le frère Boniface son camarade et son confesseur. Si son génie avait eu une portée plus étendue, il aurait probablement obtenu quelque grade important; car le roi, qui connaissait individuellement chaque soldat de sa garde, avait beaucoup de confiance dans le courage et dans la fidélité du Balafré. D'ailleurs, l'Écossais avait eu assez de bon sens ou d'adresse pour pénétrer l'humeur de ce monarque, et pour trouver les moyens, de la flatter; mais ses talens étaient d'un genre trop borné pour qu'il put être appelé à un rang plus élevé; et quoique Louis lui accordât souvent un sourire et quelques faveurs, le Balafré n'en resta pas moins simple archer dans la garde écossaise.
Sans avoir parfaitement défini quel était le caractère de son oncle, Quentin n'en fut pas moins choqué de l'indifférence avec laquelle il avait appris la destruction de toute la famille de son beau-frère, et il fut surpris qu'un si proche parent ne lui eût pas offert l'aide de sa bourse, qu'il aurait été dans la nécessité de lui demander directement, sans la générosité de maître Pierre. Il ne rendait pourtant pas justice à son oncle, en supposant que l'avarice était la cause de ce manque d'attention. N'ayant pas lui-même besoin d'argent en ce moment, il n'était pas venu à l'esprit du Balafré que son neveu put en être dépourvu; autrement, il regardait un si proche parent comme faisant tellement partie de lui-même, qu'il aurait fait pour son neveu vivant ce qu'il avait tâché de faire pour les âmes de sa sœur et de ses autres parens décédés. Mais quel que fut le motif de cette négligence, elle n'était pas plus satisfaisante pour Durward, et il regretta plus d'une fois de ne pas avoir pris du service dans l'armée du duc de Bourgogne, avant sa querelle avec le forestier.
– Quoi que je fusse devenu, pensait-il, j'aurais toujours pu me consoler par la réflexion que j'avais en mon oncle un ami sûr en cas d'événemens fâcheux; mais à présent je l'ai vu, et malheureusement pour lui j'ai trouvé plus de secours dans un marchand étranger que dans le frère de ma propre mère, mon compatriote, et noble cavalier. On croirait que le coup de sabre qui l'a privé de tous les agrémens de la figure lui a fait perdre en même temps tout le sang Écossais qui coulait dans ses veines. Durward fut fâché de n'avoir pas trouvé l'occasion de parler de maître Pierre au Balafré, pour tâcher d'apprendre quelque chose de plus sur ce personnage mystérieux: mais son oncle lui avait fait des questions si rapides et si multipliées, et la cloche de Saint-Martin de Tours avait terminé leur conférence si subitement, qu'il n'avait pas eu le temps d'y songer. Il se rappelait que ce vieillard paraissait revêche et morose, qu'il semblait aimer à lâcher des sarcasmes; mais il était généreux et libéral dans sa conduite, et un tel étranger, pensa-t-il, vaut mieux qu'un parent insensible.
– Que dit notre vieux proverbe Écossais? ajoutait-il encore: Mieux vaut bon étranger que parent étranger. Je découvrirai cet homme: la tâche ne doit pas être bien difficile, s'il est aussi riche que mon hôte le prétend. Au moins, il me donnera de bons avis sur ce que je dois faire; et s'il voyage en pays étranger, comme le font bien des marchands, je ne sais pas si l'on ne peut pas trouver des aventures à son service tout aussi-bien que dans les gardes du roi Louis.
Tandis que cette pensée se présentait à l'esprit de Quentin, une voix secrète, partant du fond du cœur, dans lequel il se passe tant de choses à notre insu, ou du moins sans que nous voulions nous les avouer, lui disait bien bas que peut-être l'habitante de la tourelle, la dame au luth et au voile, serait du voyage auquel il songeait.
En ce moment le jeune Quentin rencontra deux hommes à physionomie grave, probablement habitans de la ville de Tours. ôtant son bonnet avec le respect qu'un jeune homme doit à la vieillesse, il les pria de lui indiquer la maison de maître Pierre.
– La maison de qui, mon fils? dît l'un des passans.
– De maître Pierre, répondit Durward, le riche marchand de soie qui a fait planter tous ces mûriers.
– Jeune homme, dit celui qui était le plus près de lui, vous avez commencé bien jeune un sot métier.
– Et vous devriez savoir mieux adresser vos sornettes, ajouta l'autre. Ce n'est pas ainsi que des bouffons, des vagabonds étrangers, doivent parler au syndic de Tours.
Quentin fut tellement surpris que deux hommes qui avaient l'air décent se trouvassent offensés