Quentin Durward. Вальтер Скотт

Quentin Durward - Вальтер Скотт


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l'arquebuse, placés aux extrémités de cette longue terrasse bien nivelée, annoncent la présence du souverain féodal; sa garde d'honneur le précède et le suit avec la hallebarde haute, l'air martial et imposant, comme si l'ennemi était en présence; tous semblent animés de la même âme que leur noble chef, mesurant leurs pas sur les siens, marchant quand il marche, s'arrêtant quand il s'arrête, observant même ses légères irrégularités de marche et ses haltes d'un instant, occasionnées par ses réflexions; tous exécutant avec une précision militaire les évolutions requises devant et derrière celui qui semble le centre et le ressort de leurs rangs, comme le cœur donne la vie et l'énergie au corps humain. Si vous riez d'une promenade si peu conforme à la liberté frivole des mœurs modernes, ajouta le marquis en me regardant comme s'il eût voulu lire dans le fond de mes pensées, pourriez-vous vous décider à détruire cette autre terrasse que foula aux pieds la séduisante marquise de Sévigné, et au souvenir de laquelle s'unissent tant de souvenirs éveillés par de nombreux passages de ses lettres délicieuses?

      Un peu fatigué de la longue tirade du marquis, dont le but était certainement de faire valoir les beautés naturelles de sa propre terrasse, qui, malgré son état de dilapidation, n'avait pas besoin d'une recommandation si solennelle, j'informai mon ami que je venais de recevoir d'Angleterre le journal d'un voyage fait dans le midi de la France par un jeune étudiant d'Oxford, mon ami, poète, dessinateur, et fort instruit, dans lequel il donne une description intéressante et animée du château de Grignan, demeure de la fille chérie de madame de Sévigné, et où elle résidait elle-même fréquemment. J'ajoutai que quiconque lirait cette relation, et ne serait qu'à quarante milles de cet endroit, ne pourrait se dispenser d'y faire un pèlerinage. Le marquis sourit, parut très-content, me demanda le titre de cet ouvrage, et écrivit sous ma dictée: Itinéraire d'un voyage fait en Provence et sur les bords du Rhône, en 1819, par John Hughes, maître ès-arts du collège Oriel, à Oxford. Il ajouta qu'il ne pouvait maintenant acheter des livres pour le château, mais qu'il en recommanderait l'achat au libraire chez lequel il était abonné dans la ville voisine. – Mais, ajouta-t-il, voici le curé qui arrive pour couper court à notre discussion, et je vois La Jeunesse tourner autour du vieux portique, sur la terrasse, pour aller sonner la cloche du dîner, cérémonie assez inutile pour appeler trois personnes; mais je crois que le brave vieillard mourrait de chagrin si je lui disais de s'en dispenser. Ne faites pas attention à lui en ce moment, attendu qu'il désire s'acquitter incognito du service des départemens inférieurs; quand il aura sonné la cloche, il paraîtra dans tout son éclat en qualité de majordome.

      Tandis que le marquis parlait ainsi, nous avancions vers la partie orientale du château, seule partie de cet édifice qui fût encore habitable.

      – La bande-noire, me dit-il, en dévastant le reste du château pour en prendre le plomb, le bois et les autres matériaux, m'a rendu un service sans le vouloir; celui de le réduire à des dimensions plus convenables à la fortune du propriétaire actuel. La chenille a encore trouvé de quoi placer sa chrysalide dans la feuille: peu lui importe quels sont les insectes qui ont dévoré le reste du buisson.

      À ces mots nous arrivâmes à la porte. La Jeunesse nous y attendait avec un air respectueux et empressé, et sa figure, quoique sillonnée de mille rides, était prête à répondre par un sourire à chaque mot que son maître lui adressait avec bonté; ses lèvres laissaient voir alors deux rangs entiers de dents blanches qui avaient résisté à l'âge et aux maladies. Ses bas de soie bien propres, si souvent lavés qu'ils en avaient pris une teinte jaunâtre, sa queue nouée avec une rosette, les deux boucles de cheveux blancs qui accompagnaient ses joues maigres, son habit couleur de perle, sans collet; le solitaire qu'il avait au doigt, son jabot, ses manchettes, et son chapeau à bras, tout annonçait que La Jeunesse avait regardé l'arrivée d'un convive au château comme un événement extraordinaire et qui exigeait qu'il déployât lui-même toute la magnificence et tout l'éclat de son service.

      En considérant ce bizarre mais fidèle serviteur du marquis, des préjugés duquel il héritait sans doute comme de ses vieux habits, je ne pus m'empêcher de reconnaître la ressemblance qui existait, ainsi que l'avait dit son maître, entre lui et mon Caleb, le fidèle écuyer du maître de Ravenswood. Mais un Français, un vrai Jean-fait-tout par nature, peut seul se charger d'une multitude de fonctions et y suffire avec plus d'aisance et de souplesse qu'on ne pourrait l'attendre de la lenteur imperturbable d'un Écossais. Supérieur à Caleb par la dextérité, sinon par le zèle, La Jeunesse semblait se multiplier suivant l'occasion, et il s'acquittait de ses divers emplois avec tant d'exactitude et de célérité, qu'un domestique de plus aurait été complètement superflu.

      Le dîner surtout fut exquis. La soupe, quoique maigre, épithète que les Anglais emploient avec dérision[18], avait un goût délicieux, et la matelote de brochet et d'anguille me réconcilia, quoique Écossais, avec ce dernier poisson. Il y avait même un petit bouilli pour l'hérétique, et la viande était cuite si à propos, qu'elle conservait tout son jus et était aussi tendre que délicate. Deux autres petits plats non moins bien apprêtés servaient d'accompagnement au potage; mais ce que le vieux maître d'hôtel regardait comme le nec plus ultra de son savoir-faire, et qu'il plaça sur la table d'un air satisfait de lui-même et en me regardant avec un sourire, comme pour jouir de ma surprise, ce fut un énorme plat d'épinards, ne formant pas une surface plane comme ceux qui sortent des mains sans expérience de nos cuisiniers anglais[19], mais offrant à l'œil des coteaux et des vallées où l'on découvrait un noble cerf poursuivi par une meute de chiens et par des cavaliers portant des cors, des fouets, et armés de couteaux de chasse; cerf, chiens, chasseurs, tout était fait de pain artistement taillé, puis grillé et frit dans du beurre. Jouissant des éloges que je ne manquai pas de donner à ce chef-d'œuvre, le vieux La Jeunesse avoua qu'il lui avait coûté près de deux jours de travail pour le porter à sa perfection; et voulant en donner l'honneur à qui de droit, il ajouta qu'une conception aussi brillante ne lui appartenait pas en entier; que Monseigneur avait eu la bonté de lui donner quelques idées fort heureuses, et avait même daigné l'aider à les mettre à exécution, en taillant de ses propres mains quelques-unes des principales figures.

      Le marquis rougit un peu de cet éclaircissement, dont il aurait probablement dispensé volontiers son majordome; mais il avoua qu'il avait voulu me surprendre en me mettant sous les yeux une scène tirée d'un poème qui avait eu du succès dans mon pays, milady Lac[20]. Je lui répondis qu'un cortège si splendide retraçait une grande chasse de Louis XIV, plutôt que celle d'un pauvre roi d'écosse, et que le paysage en épinards ressemblait à la forêt de Fontainebleau, plutôt qu'aux montagnes sauvages de Callender. Il me fit une gracieuse inclination de tête en réponse à ce compliment, et reconnut que le souvenir de l'ancienne cour de France, quand elle était dans toute sa splendeur, pouvait bien avoir égaré son imagination. La conversation tomba bientôt sur d'autres objets.

      Le dessert était excellent. Le fromage, les fruits, les olives, les cerneaux et le délicieux vin blanc étaient impayables chacun dans son genre: aussi le bon marquis remarqua, avec un air de satisfaction sincère, que son convive y faisait honneur très-cordialement.

      – Après tout, me dit-il, et cependant ce n'est qu'avouer une faiblesse presque ridicule, je ne puis m'empêcher d'être charmé de pouvoir encore offrir à un étranger une sorte d'hospitalité qui lui semble agréable. Croyez-moi, ce n'est pas tout-à-fait par orgueil que nous autres, pauvres revenans, nous menons une vie si retirée, et voyons si peu de monde. Il est vrai qu'on n'en voit que trop parmi nous qui errent dans les châteaux de leurs pères, et qu'on prendrait plutôt pour les esprits des anciens propriétaires que pour des êtres vivans rétablis dans leurs possessions. Cependant c'est pour vous-mêmes, plutôt que pour épargner notre susceptibilité, que nous ne recherchons pas la société des voyageurs de votre pays. Nous nous sommes mis dans l'idée que votre nation opulente tient particulièrement au faste et à la grande chère; que vous aimez à avoir toutes vos aises, toutes les jouissances possibles; or, les moyens qui nous restent pour vous bien accueillir sont généralement si limités, que nous sentons que toute dépense et toute ostentation nous sont interdites.


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<p>18</p>

La soupe des Anglais (et ils n'en mangent pas tous les jours) est un consommé très-épicé qui brûlerait un gosier Français. On conçoit, quand on en a goûté, que nos soupes leur paraissent du bouillon de grenouilles. Nos soupes maigres surtout sont un texte éternel de plaisanteries sur le théâtre anglais. – (Note de l'éditeur.)

<p>19</p>

Les épinards en Angleterre, comme en général tous les légumes, sont servis sans être hachés, et simplement bouillis. – (Note de l'éditeur.)

<p>20</p>

La Dame du Lac. Mais il nous semble que l'auteur exagère un peu trop les bévues philologiques de ce bon émigré. – (Note de l'éditeur.)