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      Victor Hugo, son oeuvre poétique

      LA VIE DE VICTOR HUGO

      Victor Hugo naquit à Besançon le septième jour de ventôse an X de la République, date qui correspond au 26 février de l'année 1802. Il faut donc restreindre un peu le sens de la formule qu'il a employée le premier, et qu'après lui on a tant répétée pour indiquer l'époque de sa naissance: «Ce siècle avait deux ans!» Si la date est donnée par le poète d'une manière un peu trop vague, le commentaire dont il l'a accompagnée mérite d'être retenu pour sa précision pleine de couleur et d'éclat.

      … Rome remplaçait Sparte;

      Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,

      Et du premier consul déjà, par maint endroit,

      Le front de l'empereur brisait le masque étroit.

      Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,

      Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole,

      Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois

      Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix,

      Si débile, qu'il fut, ainsi qu'une chimère,

      Abandonné de tous, excepté de sa mère,

      Et que son cou, ployé comme un frêle roseau,

      Fit faire en même temps sa bière et son berceau.

      Cet enfant que la vie effaçait de son livre,

      Et qui n'avait pas même un lendemain à vivre,

      C'est moi.

      Ce nouveau-né, dont la tête frappa par sa lourdeur disproportionnée avec le corps très frêle, était le troisième fils d'un chef de bataillon de la 20e demi-brigade, Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo, d'origine Lorraine; la mère, Sophie-Françoise Trébuchet, était fille d'un capitaine-armateur du port de Nantes. Le poète a résumé lui-même ses origines dans un vers bien souvent cité:

      Mon père vieux soldat, ma mère Vendéenne.

      Victor Hugo a parlé de son père et de sa mère avec une piété très éloquente. Après avoir rappelé ses soins maternels qui protégèrent son existence «en naissant condamnée,» et fortifièrent par un miracle d'amour sa première enfance, triste, troublée, vouée aux larmes, il laisse échapper ce cri touchant:

      Oh! l'amour d'une mère! amour que nul n'oublie!

      Pain merveilleux qu'un Dieu partage et multiplie!

      Table toujours servie au paternel foyer!

      Chacun en a sa part, et tous l'ont tout entier!

      Il a aussi payé à la mémoire de son père un large tribut d'hommages. Il l'a rendu immortel le jour où il a écrit en tête d'un de ses volumes de vers cette dédicace qui est toute une biographie à la façon des états de services gravés par les anciens Romains sur leurs tombeaux:

JOSEPH-LÉOPOLD-SIGISBERTCOMTE HUGO,LIEUTENANT-GÉNÉRAL DES ARMÉES DU ROINÉ EN 1774,VOLONTAIRE EN 1791,COLONEL EN 1803,GÉNÉRAL DE BRIGADE EN 1809,GOUVERNEUR DE PROVINCE EN 1810,LIEUTENANT-GÉNÉRAL EN 1825,MORT EN 1828,Non inscrit sur l'Arc de l'Etoile,Son fils respectueux,V. H

      L'Arc de Triomphe, ce monument élevé aux héros des guerres de la République et de l'Empire, peut périr; le souvenir du général comte Hugo survivra dans l'œuvre impérissable du poète.

      Ce serait une lacune, dans une étude biographique sur Victor Hugo, que de ne pas marquer en quelques traits cette physionomie très vigoureuse de son père. Le grand poète, dont le patriotisme éclatera dans tant d'écrits, depuis l'Ode à la colonne jusqu'au livre de l'Année terrible, est le rejeton d'une souche vraiment héroïque. Son père, Léopold Hugo, s'engagea comme volontaire à l'âge de 14 ans. Les quatre frères de Léopold Hugo allèrent comme lui aux armées; deux furent tués aux lignes de Wissembourg. Un autre frère, Louis, celui que dans la famille on appelait «Louis XVII», parce que, sur dix-huit enfants, il était le dix-septième, fut blessé. C'est cet oncle Louis que le poète nous présentera dans un de ses derniers ouvrages, et dans la bouche duquel il placera le merveilleux récit intitulé le Cimetière d'Eylau.

      Léopold Hugo, attaché à l'état-major dès 1791, se lia d'amitié avec Desaix et Kléber; il se signala en Vendée par des traits d'héroïsme et de générosité dont le souvenir a inspiré bien des pages du dernier romande Victor Hugo, Quatre-vingt-treize. Il suivit la fortune d'un de ses amis, Lahorie, chef d'état-major de Moreau, prit part à plusieurs combats, et, à l'aide d'une poutre jetée sur un pont rompu, passa le premier le Danube au milieu d'un feu terrible de mitraille. Cet exploit lui valut l'épaulette de chef de bataillon sur le lieu même du combat.

      Après avoir commandé à Lunéville et tenu garnison à Besançon, où naquit son troisième fils, Léopold Hugo partit avec les siens pour l'île d'Elbe et pour la Corse. A la date de ce départ, Victor Hugo était âgé de six semaines. Le commandant Hugo, appelé à l'armée d'Italie, renvoya sa famille à Paris. Il la rappela auprès de lui, dès que la faveur de Joseph, roi de Naples, l'eut élevé au grade de colonel du régiment de Royal-Corse et de gouverneur d'Avellino. Victor Hugo vit donc l'Italie dans l'automne de 1807. Son père rejoignit le roi Joseph en Espagne, et une seconde fois la mère et les trois enfants rentrèrent à Paris. Ils en repartirent pour aller retrouver le chef de famille devenu général, gouverneur de Guadalaxara, et comte de l'Empire. Dans son premier recueil de vers, le poète rappelait ainsi ses voyages d'enfance:

      Je visitai cette île, en noirs débris féconde,

      Plus tard premier degré d'une chute profonde;

      Le haut Cenis, dont l'aigle aime les rocs lointains,

      Entendit, de son antre où l'avalanche gronde,

      Ses vieux glaçons crier sous mes pas enfantins.

      Vers l'Adige et l'Arno je vins des bords du Rhône.

      Je vis de l'occident l'auguste Babylone,

      Rome, toujours vivante au fond de ses tombeaux,

      Reine du monde encor sur un débris de trône,

      Avec une pourpre en lambeaux;

      Puis Turin, puis Florence aux plaisirs toujours prête,

      Naple, aux bords embaumés, où le printemps s'arrête

      Et que Vésuve en feu couvre d'un dais brûlant,

      Comme un guerrier jaloux qui, témoin d'une fête,

      Jette au milieu des fleurs son panache sanglant…

      L'Espagne me montrait ses couvents, ses bastilles;

      Burgos, sa cathédrale aux gothiques aiguilles;

      Irun, ses toits de bois; Vittoria, ses tours;

      Et toi, Valladolid, tes palais de familles,

      Fiers de laisser rouiller des chaînes dans leurs cours.

      Mes souvenirs germaient dans mon âme échauffée;

      J'allais, chantant des vers d'une voix étouffée;

      Et ma mère, en secret observant tous mes pas,

      Pleurait et souriait, disant: C'est une fée

      Qui lui parle, et qu'on ne voit pas!

      De tous ces voyages, c'est celui d'Espagne qui laissa dans l'esprit de l'enfant la plus forte impression. Les premiers noms qu'il entendit s'emparèrent de son imagination, et plus tard le poète les retrouvera naturellement sous sa plume. Ainsi le carrosse qui portait la famille Hugo, et qu'escortèrent, tout le chemin, les gardes du trésor de l'armée, c'est-à-dire deux mille hommes et quatre canons, fit halte à Ernani, et plus loin à Torquemada. Ces deux noms de villes fourniront à Victor Hugo les titres de deux de ses drames.

      De même les souvenirs du séjour à Madrid suggéreront un jour au romancier, à l'auteur dramatique, ce personnage


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