Victor Hugo, son oeuvre poétique. Dupuy Ernest

Victor Hugo, son oeuvre poétique - Dupuy Ernest


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n'est que le portrait plus ou moins grossi, enlaidi, burlesquement idéalisé, d'un valet du collège. En effet, pendant que l'aîné des trois frères, Abel, entrait à la cour du roi Joseph en qualité de page, les deux autres, Eugène et Victor, étaient placés au collège des Nobles, rue Ortoleza. Tous les élèves de cette maison étaient princes, comtes ou marquis; ils étaient servis par «un nain bossu, à figure écarlate, à cheveux tors, en veste de laine rouge, culotte de peluche bleue, bas jaunes et souliers couleur de rouille.» L'effet de terreur que cet être, effrayant de laideur, produisit sur l'imagination exaltée du jeune Victor Hugo, se traduira plus tard comme on le sait. Sans doute aussi le contraste entre l'élégance de toute cette jeunesse titrée, richissime, et les disgrâces de ce misérable, frappa l'enfant déjà observateur, et il faut faire remonter apparemment jusqu'à cette impression d'enfance le goût de ces oppositions violentes, de ces effets d'ombre et de jour que l'auteur de la préface de Cromwell présentera comme la parfaite expression de la vérité et de la vie.

      L'année 1812 vit pâlir l'étoile impériale, et les affaires d'Espagne prirent une tournure si fâcheuse que la famille Hugo dut reprendre rapidement le chemin de Paris. Elle rentra dans cette maison des Feuillantines, qu'elle avait déjà habitée quelque temps entre le voyage d'Italie et le séjour en Espagne, et qui a tant contribué, par son caractère de solitude mystérieuse, à l'éducation morale et poétique de Hugo. Le poète s'est montré reconnaissant pour ces lieux, où, comme un maître très auguste, la nature lui parla.

      Dans l'admirable pièce, devenue presque populaire, qui est intitulée: Ce qui se passait aux Feuillantines vers 1813, Victor Hugo a raconté comment «un pédant» fut sur le point de l'arracher à cette maison pleine de charme pour le faire entrer au collège, et comment la mère, inquiète, ébranlée un moment par les raisons que faisait valoir l'homme grave, se laissa pourtant aller à la douceur de retenir près d'elle ses enfants, et de les laisser grandir au milieu des arbres, des fleurs, sous la libre étendue du ciel.

      Tremblante, elle tenait cette lourde balance,

      Et croyait bien la voir par moments en silence

      Pencher vers le collège, hélas! en opposant

      Mon bonheur à venir à mon bonheur présent.

      Elle songeait ainsi sans sommeil et sans trêve.

      C'était l'été; vers l'heure où la lune se lève,

      Par un de ces beaux soirs qui ressemblent au jour

      Avec moins de clarté, mais avec plus d'amour,

      Dans son parc, où jouaient le rayon et la brise,

      Elle errait, toujours triste et toujours indécise,

      Questionnant tout bas l'eau, le ciel, la forêt,

      Ecoutant au hasard les voix qu'elle entendrait.

      C'est dans ces moments-là que le jardin paisible,

      La broussaille où remue un insecte invisible,

      Le scarabée ami des feuilles, le lézard

      Courant au clair de lune au fond du vieux puisard,

      La faïence à fleur bleue où vit la plante grasse,

      Le dôme oriental du sombre Val-de-Grâce,

      Le cloître du couvent, brisé, mais doux encor;

      Les marronniers, la verte allée aux boutons-d'or,

      La statue où sans bruit se meut l'ombre des branches,

      Les pâles liserons, les pâquerettes blanches,

      Les cent fleurs du buisson, de l'arbre, du roseau,

      Qui rendent en parfums ses chansons à l'oiseau,

      Se mirent dans la mare ou se cachent dans l'herbe,

      Ou qui, de l'ébénier chargeant le front superbe,

      Au bord des clairs étangs se mêlant au bouleau,

      Tremblent en grappes d'or dans les moires de l'eau,

      Et le ciel scintillant derrière les ramées,

      Et les toits répandant de charmantes fumées,

      C'est dans ces moments-là, comme je vous le dis,

      Que tout ce beau jardin, radieux paradis,

      Tous ces vieux murs croulants, toutes ces jeunes roses,

      Tous ces objets pensifs, toutes ces douces choses,

      Parlèrent à ma mère avec l'onde et le vent,

      Et lui dirent tout bas: – «Laisse-nous cet enfant!

      Laisse-nous cet enfant, pauvre mère troublée!

      Cette prunelle ardente, ingénue, étoilée,

      Cette tête au front pur qu'aucun deuil ne voila,

      Cette âme neuve encor, mère, laisse-nous-la!

      Ne va pas la jeter au hasard dans la foule.

      La foule est un torrent qui brise ce qu'il roule,

      Ainsi que les oiseaux, les enfants ont leurs peurs.

      Laisse à notre air limpide, à nos moites vapeurs,

      A nos soupirs, légers comme l'aile d'un songe,

      Cette bouche où jamais n'a passé le mensonge,

      Ce sourire naïf que sa candeur défend!

      O mère au cœur profond, laisse-nous cet enfant!

      Nous ne lui donnerons que de bonnes pensées;

      Nous changerons en jour ses lueurs commencées;

      Dieu deviendra visible à ses yeux enchantés;

      Car nous sommes les fleurs, les rameaux, les clartés,

      Nous sommes la nature et la source éternelle

      Où toute soif s'épanche, où se lave toute aile;

      Et les bois et les champs, du sage seul compris,

      Font l'éducation de tous les grands esprits!

      Laisse croître l'enfant parmi nos bruits sublimes.

      Nous le pénétrerons de ces parfums intimes,

      Nés du souffle céleste épars dans tout beau lieu,

      Qui font sortir de l'homme et monter jusqu'à Dieu,

      Comme le chant d'un luth, comme l'encens d'un vase

      L'espérance, l'amour, la prière et l'extase!

      Nous pencherons ses yeux vers l'ombre d'ici-bas,

      Vers le secret de tout entr'ouvert sous ses pas.

      D'enfant nous le ferons homme, et d'homme poète.

      Pour former de ses sens la corolle inquiète,

      C'est nous qu'il faut choisir; et nous lui montrerons

      Comment, de l'aube au soir, du chêne aux moucherons,

      Emplissant tout, reflets, couleurs, brumes, haleines,

      La vie aux mille aspects rit dans les vertes plaines.

      Nous te le rendrons simple et des cieux ébloui;

      Et nous ferons germer de toutes parts en lui

      Pour l'homme, triste effet perdu sous tant de causes,

      Cette pitié qui naît du spectacle des choses!

      Ainsi parlaient, à l'heure où la ville se tait,

      L'astre, la plante et l'arbre, – et ma mère écoutait.

      Pendant que les enfants et la mère jouissaient de cette heureuse sécurité, le père s'illustrait par la défense énergique de Thionville. Mais la guerre marchait vers son lugubre dénouement. L'invasion vint jeter sur les jeux du jardin une ombre de tristesse inoubliable. La famille Hugo dut loger dans la maison des Feuillantines un officier prussien et quarante soldats.

      L'Empire tombé, le


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