Victor Hugo, son oeuvre poétique. Dupuy Ernest

Victor Hugo, son oeuvre poétique - Dupuy Ernest


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cadet dont le génie éblouissant éclipsera bientôt le talent de l'aîné.

      Eugène et Victor furent placés à l'institution Cordier-Decotte. Victor y révéla bientôt ses aptitudes. Il écrivit sur ses cahiers d'écolier une foule d'essais poétiques, et d'abord une épopée sur la chevalerie. Le héros était Roland, auquel le poète reviendra et qu'il honorera plus d'une fois de son admiration émue dans la première et dans la seconde Légende des siècles. Au milieu de traductions, de contes, d'épîtres, de madrigaux, d'énigmes, d'acrostiches, émergeait quelque plan de poème plus ambitieux, le Déluge, quelque titre de comédie, d'opéra-comique: A quelque chose hasard est bon. C'était l'époque où plus d'un écolier brillant rimait sa tragédie sur les bancs du collège: le jeune Hugo fit une Artamène, une Athélie ou les Scandinaves, et il semblait préluder à ses futures ambitions de réformateur du théâtre en ébauchant un mélodrame à intermèdes, Inès de Castro. Tous ces essais n'offraient qu'un mélange assez confus de souvenirs personnels et de lambeaux de lectures: Victor Hugo a donné leur véritable importance à ces premiers bégaiements de sa muse, en écrivant sur un de ces cahiers ce titre spirituel: «Les bêtises que je faisais avant ma naissance.»

      Cette vocation littéraire fut contrariée par la volonté paternelle. Le général Hugo voulait faire de son fils un polytechnicien; et l'écolier, ses études littéraires achevées, suivit les cours de sciences du lycée Louis-le-Grand. Mais il avait déjà cette volonté de fer qui plus tard fera de lui l'exilé irréconciliable. A la date du 10 juillet 1816, il écrivait sur une page du livre où il notait ses impressions de chaque jour: «Je veux être Chateaubriand ou rien.»

      En 1817, il envoya au concours annuel pour le prix de poésie décerné par l'Académie française trois cents vers sur le sujet: «Le bonheur que procure l'étude dans toutes les situations de la vie.» Il y faisait allusion à son âge, et avouait ses «trois lustres» ou ses quinze ans avec une modestie orgueilleuse dont la légende a singulièrement exagéré l'effet. On a raconté que les juges du concours, se croyant mystifiés, auraient puni l'auteur de la pièce en lui infligeant une simple mention, au lieu du prix qu'il méritait. Le rapport du secrétaire perpétuel a été consulté par M. Edmond Biré, un des biographes de Hugo les plus préoccupés de diminuer sa gloire; le document fait justice de l'anecdote. Mais la rectification ne rend pas l'insuccès de Hugo moins piquant. Il est plaisant de savoir que le plus grand lyrique de tous les âges a été classé dans un concours après Lebrun, Delavigne, Loyson, Saintine, une princesse de Salm-Dyck et un chevalier de Langeac. A dater de ce jour, le jeune poète trouva dans quelques académiciens, tels que Campenon, M. de Neufchâteau, des protecteurs qu'il faut nommer, car cet appui, dont il aurait pu se passer, les honore.

      Introduit par son frère Abel dans un groupe de gens de lettres, jeunes pour la plupart, et préoccupés de rajeunir la poésie, le roman, l'histoire, Victor Hugo conquit aussitôt une place à part dans ce petit cénacle. On avait projeté de faire en collaboration un volume de nouvelles: le nouveau-venu s'engagea à écrire la sienne en quinze jours, et, au jour dit, il apporta son premier roman, Bug-Jargal.

      A la même époque, il envoyait au concours poétique des Jeux Floraux trois pièces lyriques qu'on retrouve dans son premier recueil des Odes: les Vierges de Verdun, le Rétablissement de la statue de Henri IV, Moïse sur le Nil. Un triple succès lui valut le titre de «maître ès arts,» et c'est à l'occasion de ces débuts que Chateaubriand ou tout autre écrivain appliqua au jeune poète la dénomination «d'enfant sublime»1.

      Au lieu de reprendre sa préparation pour l'entrée à l'École polytechnique, Victor Hugo, sollicité par le besoin d'écrire, fonda un journal, le Conservateur littéraire. Tout en suivant les cours de l'Ecole de droit, il groupa autour de lui plusieurs auteurs déjà connus, dont un ou deux pouvaient se dire illustres: c'étaient Emile Deschamps, Alexandre Soumet, Alfred de Vigny, Lamennais, Alphonse de Lamartine. Cette activité qu'il déployait au dehors cachait bien des agitations intimes. Le jeune écrivain voulait épouser la jeune fille qui devint sa femme un peu plus tard, Adèle Foucher. Il était sans fortune; le général Hugo, irrité de voir son fils renoncer à la carrière qu'il avait choisie pour lui, avait pensé le réduire ou le châtier en lui supprimant sa pension; pendant un an, comme le Marius des Misérables, l'étudiant vécut avec sept cents francs pour toutes ressources. Sa fierté naturelle s'augmentait de l'humeur ombrageuse qui est si souvent le résultat de ces situations précaires; pour un incident futile de café, pour un journal arraché de ses mains un peu trop brusquement, Victor Hugo se battit en duel avec un garde du corps, et il fut blessé au bras gauche. Le souvenir de cette aventure servira à l'auteur dramatique et donnera un caractère de vérité et d'intérêt piquant aux détails du duel dans Marion De Lorme.

      Victor Hugo n'était plus absolument un inconnu; toutefois il n'aurait pas réussi à publier son premier livre, faute d'argent pour en payer l'impression au libraire, si son frère Abel n'eût fait les frais de la publication. Le livre parut sous le titre Odes et poésies diverses. Le roi Louis XVIII, qui se piquait d'aimer les lettres, lut l'ouvrage, et retrouva le nom de l'auteur au bas d'une lettre interceptée, où Victor Hugo offrait un asile à un conspirateur. Il se borna, pour toute marque de sévérité, à donner au poète une pension de mille francs sur sa cassette. Cette faveur décida du mariage tant souhaité (octobre 1822). La joie des noces fut brusquement attristée par un terrible événement. Eugène Hugo, le frère du marié, fut pris d'un accès de folie au milieu de la fête. Le poète, qui avait vu le deuil entrer chez lui par la même porte que le bonheur et presque à la même heure, était fondé à écrire, cinq ans plus tard, que le drame, s'il veut être une image exacte de la vie, ne peut pas séparer le rire des larmes.

      L'année 1825 fut marquée par l'apparition de Han d'Islande. Ce roman valut à son auteur une nouvelle pension de 2,000 fr. et le fit entrer dans l'intimité d'un homme de lettres dans le salon duquel se rassemblaient des musiciens, des peintres, des sculpteurs, des écrivains déjà célèbres. C'est chez le «bon» Charles Nodier que Victor Hugo se lia d'amitié avec David d'Angers, le statuaire, et avec les peintres Charlet, Louis Boulanger, Eugène Deveria. Cette même année, le jeune poète était fait chevalier de la Légion d'honneur, et son père se réconciliait avec lui, en lui attachant la croix sur la poitrine. Cette réconciliation eut lieu à Blois, où Victor Hugo s'était rendu en toute hâte, et le souvenir de ce voyage se fixera, quelques années après, dans des vers charmants du recueil des Feuilles d'automne.

      Louis, quand vous irez, dans un de vos voyages,

      Voir Bordeaux, Pau, Bayonne et ses charmants rivages,

      Toulouse la Romaine, où, dans des jours meilleurs,

      J'ai cueilli tout enfant la poésie en fleurs,

      Passez par Blois. – Et là, bien volontiers sans doute,

      Laissez dans le logis vos compagnons de route,

      Et tandis qu'ils joueront, riront ou dormiront,

      Vous, avec vos pensers qui haussent votre front,

      Montez à travers Blois cet escalier de rues

      Que n'inonde jamais la Loire au temps des crues;

      Laissez là le château, quoique sombre et puissant,

      Quoiqu'il ait à la face une tache de sang;

      Admirez, en passant, cette tour octogone

      Qui fait à ses huit pans hurler une gorgone;

      Mais passez. – Et sorti de la ville, au midi,

      Cherchez un tertre vert, circulaire, arrondi,

      Que surmonte un grand arbre, un noyer, ce me semble,

      Comme au cimier d'un casque une plume qui tremble.

      Vous le reconnaîtrez, ami, car, tout rêvant,

      Vous l'aurez vu de loin sans doute en arrivant.

      Sur le tertre monté, que la plaine bleuâtre,

      Que la ville étagée en long amphithéâtre,

      Que l'église, ou


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<p>1</p>

Le mot, attribué à Chateaubriand, est probablement d'Alexandre Soumet.