Michel Strogoff. Adolphe d' Ennery

Michel Strogoff - Adolphe d' Ennery


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Blount, oui!.. Vous correspondez avec votre journal, moi avec ma cousine Madeleine! C'est plus galant! Or, elle aime à être informée vite et bien, ma cousine! J'ai donc cru devoir lui marquer que, pendant cette fête, une sorte de nuage avait obscurci le front du gouverneur!..

      BLOUNT.

      Il avait une front rayonnante, au contraire!

      JOLLIVET, riant. Et vous l'avez fait rayonner dans les colonnes du Morning-Post?

      BLOUNT. Ce que je télégraphie intéresse mon journal et moi, seulement, mister Jollivet.

      JOLLIVET. Votre journal et vous seulement, monsieur Blount. Eh bien, mais c'est avouer alors que cela n'intéresse guère vos lecteurs!

      BLOUNT, furieux.

      Mister Jollivet!

      JOLLIVET souriant.

      Monsieur Blount!

      BLOUNT.

      Vous moquez toujours de moi, et je permettais pas, entendez-vous…

      Je permettais pas!

      JOLLIVET.

      Mais non… mais non!..

      SCENE III

       LES MEMES, LE GENERAL, LE GOUVERNEUR, OFFICIERS, INVITES.

      LE GOUVERNEUR. Bravo! Bravo! Ces Tsiganes sont vraiment pleines d'originalité et méritent leur réputation! (Aux reporters.) Ah! messieurs, vous étiez à votre poste pour les entendre!

      JOLLIVET.

      Elles sont charmantes, monsieur le gouverneur!.. C'est ce que me disait à l'instant mon excellent confrère et ami, M.

      Blount.

      BLOUNT.

      Confrère, oui… Ami, non.

      LE GOUVERNEUR, riant.

      Il y a là quelques jolies filles qui feront fortune!.. (Il passe vers la gauche, après avoir pris le bras du général

      Kissoff.)

      JOLLIVET. Dites donc, monsieur Blount, il a l'air bien joyeux, M. le gouverneur! Il faut qu'il soit terriblement inquiet!.. Qu'en pensez-vous, monsieur Blount?..

      BLOUNT, sèchement. Ce que je pensai ne regardait pas vous! (Ils se séparent et se mêlent aux divers groupes.)

      LE GOUVERNEUR, au général.

      Parle-t-on du soulèvement tartare, général?

      LE GENERAL. Oui, et peut-être plus qu'il ne conviendrait! Je ne serais pas étonné qu'au sortir du bal, ces deux reporters n'allassent exercer leur métier de chroniqueurs de l'autre côté de la frontière.

      LE GOUVERNEUR. Ils connaissent, sans aucun doute, cette grave nouvelle d'un soulèvement qui jette une moitié de l'Asie sur l'autre! – Le fil fonctionne toujours entre Moscou et Irkoutsk?

      LE GENERAL. Oui! Votre Excellence peut le réquisitionner pour le compte du gouvernement et l'interdire au public.

      LE GOUVERNEUR. C'est inutile. L'important était que le Grand-Duc, en ce moment à Irkoutsk, fût averti. Il sait que Féofar-Khan, l'émir de Bouckhara, a soulevé les populations tartares, qu'à sa voix, elles ont envahi la Sibérie; mais il sait aussi, par notre dernier télégramme, que nos troupes des provinces du nord sont maintenant parties pour le secourir. Il sait le jour exact où cette armée arrivera en vue d'Irkoutsk, et où il devra faire une sortie générale pour écraser les Tartares!..

      LE GENERAL.

      Nos troupes auront facilement raison de ces hordes sauvages!

      LE GOUVERNEUR. Ce qui m'étonne, c'est que ce Féofar ait pu concevoir le plan de ce soulèvement et le mettre à exécution. Lorsqu'il a tenté une première fois d'envahir nos provinces sibériennes, il avait, pour le seconder, ce général Ivan Ogareff, qui, maintenant, expie sa trahison dans la citadelle de Polstock; mais, cette fois, le khan de Tartarie, livré à ses propres inspirations, n'a plus Ogareff auprès de lui… et je ne puis m'expliquer…

      SCENE IV

       LES MEMES, IVAN, SANGARRE, TSIGANES.

      Ivan est sorti du salon et s'est rapproché du gouverneur. Sangarre et ses Tsiganes sont restées au fond. – Les reporters et les officiers causent avec elles.

      IVAN, déguisé en vieux bohémien et parlant du ton le plus

      humble.

      Monsieur le gouverneur… monseigneur…

      LE GOUVERNEUR.

      Qu'est-ce?.. Ah! c'est toi, vieux bohémien! Que me veux-tu?

      IVAN. Je viens demander à Votre Excellence si elle est satisfaite des Tsiganes, auxquelles on a bien voulu réserver une place dans le programme de cette fête?

      LE GOUVERNEUR. Enchanté… et j'aime à croire que, de ton côté, tu n'auras pas à te plaindre!.. Bien rafraîchis, bien payés?..

      IVAN.

      Oui, monseigneur, oui!.. Aussi, je ne voulais pas prendre congé de Votre Excellence, sans l'avoir humblement remerciée!

      Sangarre se joint à moi!..

      LE GOUVERNEUR.

      Sangarre?.. Ah! cette belle fille que j'aperçois là?

      IVAN, faisant signe à Sangarre de s'approcher. Oui… Sangarre est la véritable directrice de ces Tsiganes, Excellence!.. A elle revient la meilleure part des compliments que vous avez dédaigné leur adresser! (Sangarre reste fièrement campée sans mot dire.)

      LE GOUVERNEUR.

      Elle ne parle pas le russe?

      IVAN. Hélas! non, monseigneur. Aussi, moi, le vieux bohémien, je suis leur factotum, j'organise les concerts, je traite pour les fêtes. Sans moi, la petite troupe serait souvent embarrassée. C'est même à ce propos que je venais solliciter une faveur de Votre Excellence…

      LE GOUVERNEUR.

      De quoi s'agit-il?..

      IVAN.

      C'est demain que finissent les fêtes en l'honneur du czar.

      Nous n'avons donc plus rien à faire ici, et notre intention est de repasser la frontière.

      LE GOUVERNEUR.

      Ah! vous voulez retourner en Sibérie?

      IVAN. C'est un peu notre pays… Excellence. Or, la frontière va être encombrée par tous ces marchands d'origine asiatique, qui retournent dans leurs provinces. On sera arrêté à chaque instant aux postes de police, et…

      LE GOUVERNEUR.

      Eh bien! n'as-tu pas un passeport en règle?

      IVAN. Sans doute, monseigneur; mais, Votre excellence le sait mieux que moi, un passeport en règle, ça n'existe guère en Russie. Il y manque toujours quelque petite chose!.. tandis que si Votre excellence, qui a daigné se montrer satisfaite de nous, voulait bien m'en donner un… spécial, revêtu de sa signature… avec ce précieux talisman, nul obstacle à redouter… et… je pourrais partir en avant, afin de préparer les étapes de notre troupe!

      LE GOUVERNEUR. Soit! Toi et les tiens, vous êtes de braves gens qui avez fait grand plaisir au Palais Neuf, et je ne refuse pas de vous être agréable.

      IVAN.

      Je baise humblement les mains de Votre Excellence.

      LE GOUVERNEUR.

      Et quand comptes-tu quitter Moscou?

      IVAN. Moi?.. demain… au lever du soleil, monseigneur, avant que les portes de la ville ne soient encombrées par les milliers d'étrangers qui vont partir.

      LE GOUVERNEUR. Eh bien! dis à cette belle fille, ta compagne, que rien ne retardera ton voyage, ni le sien. Je vais d'abord faire préparer ton passeport, et celui-là… sera bien en règle. (Le gouverneur sort par la gauche. Le général remonte vers les groupes d'invités.)

      SCENE


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