Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau

Le crime d'Orcival - Emile Gaboriau


Скачать книгу
faites de moi ce que vous voudrez, je ne prononcerai plus un mot.

      La résolution de Guespin, résolution qu’affirmait son regard, ne surprit nullement le juge d’instruction.

      – Vous réfléchirez, dit-il simplement, seulement lorsque vous aurez réfléchi je n’aurai plus en vos paroles la confiance que j’y aurais en ce moment. Il se peut – et le juge scanda ses mots comme pour leur donner une valeur plus forte et faire luire aux yeux du prévenu un espoir de pardon – , il se peut que vous n’ayez eu à ce crime qu’une part indirecte, en ce cas…

      – Ni indirecte, ni directe, interrompit Guespin, et il ajouta avec violence: Malheur! être innocent et ne pouvoir se défendre!

      – Puisqu’il en est ainsi, reprit M. Domini, il doit vous être indifférent d’être mis en présence du corps de Mme de Trémorel?

      C’est sans broncher que le prévenu accueillit cette menace.

      On le conduisit à la salle où on avait déposé la comtesse. Là, il examina le cadavre d’un œil froid et calme. Il dit seulement:

      – Elle est plus heureuse que moi; elle est morte, elle ne souffre plus, et moi qui ne suis pas coupable, on m’accuse de l’avoir tuée.

      M. Domini tenta encore un effort.

      – Voyons, Guespin, dit-il, si d’une manière quelconque vous avez eu connaissance de ce crime, je vous en conjure, dites-le moi. Si vous connaissez les meurtriers, nommez-les moi. Tâchez de mériter quelque indulgence par votre franchise et votre repentir.

      Guespin eut le geste résigné des malheureux qui ont pris leur parti.

      – Par tout ce qu’il y a de plus saint au monde, répondit-il, je suis innocent. Et pourtant, je vois bien que si on ne trouve pas les coupables, c’en est fait de moi.

      Les convictions de M. Domini se formaient et s’affermissaient peu à peu. Une instruction n’est pas une œuvre aussi difficile qu’on pourrait se l’imaginer. Le difficile, le point capital est de saisir au début, dans un écheveau souvent fort embrouillé, le maître bout de fil, celui qui doit mener à la vérité à travers le dédale de ruses, de réticences, de mensonges du coupable.

      Ce fil précieux, M. Domini était certain de le tenir. Ayant un des assassins, il savait bien qu’il aurait les autres. Nos prisons où on mange de bonne soupe, où les lits ont un bon matelas délient les langues tout aussi bien que les chevalets et les brodequins du Moyen Âge.

      Le juge d’instruction remit Guespin au brigadier de gendarmerie, avec l’ordre, de ne pas le perdre de vue. Il envoya ensuite chercher le vieux La Ripaille.

      Ce bonhomme n’était pas de ceux qui se troublent. Tant de fois il avait eu maille à partir avec la justice qu’un interrogatoire de plus le touchait médiocrement. Le père Plantat remarqua qu’il semblait bien plus contrarié qu’inquiet.

      – Cet homme est fort mal noté dans ma commune, souffla le maire au juge d’instruction.

      La Ripaille entendit la réflexion et sourit.

      Interrogé par le juge d’instruction, il raconta d’une façon très nette et très claire, fort exacte en même temps, la scène du matin, sa résistance, l’insistance de son fils. Il expliqua les prudentes raisons de leur mensonge. Là encore le chapitre des antécédents reparut.

      – Je vaux mieux que ma réputation, allez, affirma La Ripaille, et il y a bien des gens qui ne peuvent pas en dire autant. J’en connais d’aucun, j’en connais d’aucunes surtout – il regardait M. Courtois – qui, si je voulais babiller!.. On voit bien des choses quand on court la nuit… Enfin, suffit.

      On essaya de le faire s’expliquer sur ses allusions.

      En vain. Lorsqu’on lui demanda où et comment il avait passé la nuit, il répondit que, sorti à dix heures du cabaret, il était allé poser quelques collets dans les bois de Mauprévoir et que, vers une heure du matin, il était rentré se coucher.

      – À preuve, ajouta-t-il, qu’ils doivent y être encore et que peut-être il y a du gibier de pris.

      – Trouveriez-vous un témoin pour affirmer que vous êtes rentré à une heure? demanda le maire qui pensait à la pendule arrêtée sur trois heures vingt minutes.

      – Je n’en sais, ma foi, rien, répondit insoucieusement le vieux maraudeur, il est même bien possible que mon fils ne se soit pas réveillé quand je me suis couché.

      Et comme le juge d’instruction réfléchissait:

      – Je devine bien, lui dit-il, que vous allez me mettre en prison jusqu’à ce qu’on ait trouvé les coupables. Si nous étions en hiver, je ne me plaindrais pas trop; on est bien en prison, et il y fait chaud. Mais juste au moment de la chasse, c’est contrariant. Enfin, ce sera une bonne leçon pour Philippe; ça lui apprendra ce qu’il en coûte pour rendre service aux bourgeois.

      – Assez! interrompit sévèrement M. Domini. Connaissez-vous Guespin?

      Ce nom éteignit brusquement la verve narquoise de La Ripaille; ses petits yeux gris exprimèrent une singulière inquiétude.

      – Certainement, répondit-il d’un ton très embarrassé, nous avons d’aucunes fois fait une partie de cartes, vous comprenez, en sirotant un gloria.

      L’inquiétude du bonhomme frappa beaucoup les quatre auditeurs. Le père Plantat particulièrement laissa voir une surprise profonde.

      Le vieux maraudeur était bien trop fin pour ne pas s’apercevoir de l’effet produit.

      – Ma foi! tant pis! s’exclama-t-il, je vais tout vous dire, chacun pour soi; n’est-ce pas? si Guespin a fait le coup, ce n’est pas ça qui le rendra plus noir, et moi je n’en serai pas bien plus mal vu. Je connais ce garçon parce qu’il m’a donné à vendre des fraises et des raisins de la serre du comte, je suppose qu’il les volait, et ce n’est peut-être pas très bien, nous partagions l’argent que j’en retirais.

      Le père Plantat ne put retenir un: «Ah!» de satisfaction qui devait vouloir dire: «À la bonne heure! je savais bien!»

      Lorsqu’il avait dit qu’on le mettrait en prison, La Ripaille ne s’était pas trompé. Le juge d’instruction maintint son arrestation.

      C’était au tour de Philippe.

      Le pauvre garçon était dans un état à faire pitié: il pleurait à chaudes larmes.

      – M’accuser d’un si grand crime, moi! répétait-il.

      Interrogé, il dit purement et simplement la vérité, s’excusant toutefois d’avoir osé pénétrer dans le parc en franchissant le fossé.

      Lorsqu’on lui demanda à quelle heure son père était rentré, il répondit qu’il n’en savait rien; il s’était couché vers neuf heures et n’avait fait qu’un somme jusqu’au matin.

      Il connaissait Guespin pour l’avoir vu venir chez eux à diverses reprises. Il n’ignorait pas que son père faisait des affaires avec le jardinier de M. de Trémorel, mais il ignorait quelles affaires. Il n’avait pas d’ailleurs parlé à Guespin quatre fois en tout. Le juge d’instruction ordonna la mise en liberté de Philippe, non qu’il fût absolument convaincu de son innocence, mais parce que si un crime a été commis par plusieurs complices, il est bon de laisser dehors un de ceux qu’on tient; on le surveille et il fait prendre les autres.

      Cependant le cadavre du comte ne se retrouvait toujours pas. On avait vainement battu le parc avec un soin extrême, visité les taillis, fouillé les moindres massifs.

      – On l’aura jeté à l’eau, insinua le maire.

      Ce fut l’avis de M. Domini. Des pêcheurs furent mandés et reçurent l’ordre de sonder la Seine, en commençant leurs recherches un peu au-dessus de l’endroit où on avait retrouvé le corps de la comtesse. Il était alors près de trois heures. Le père Plantat fit remarquer que personne, très probablement, n’avait rien mangé de la journée.


Скачать книгу