Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau

Le crime d'Orcival - Emile Gaboriau


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les aiguilles de la pendule. Successivement elle sonna la demie de onze heures, puis minuit, puis minuit et demi, et une heure.

      Tout en se livrant à cette occupation, il grommelait:

      – Apprentis, brigands d’occasion! On est malin, à ce qu’on croit, mais on ne pense pas à tout. On donne un coup de pouce aux aiguilles, mais on ne pense pas à mettre la sonnerie d’accord. Survient alors un bonhomme de la Sûreté, un vieux singe qui connaît les grimaces et la mèche est éventée.

      M. Domini et le père Plantat gardaient le silence. M. Lecoq revint vers eux.

      – Monsieur le juge, dit-il, peut-être maintenant certain que le coup a été fait avant dix heures et demie.

      – À moins, observa le père Plantat, que la sonnerie ne soit détraquée, ce qui arrive quelquefois.

      – Ce qui arrive souvent, appuya M. Courtois, à telle enseigne, que la pendule de mon salon est dans cet état depuis je ne sais combien de temps.

      M. Lecoq réfléchissait.

      – Il se peut, reprit-il, que monsieur le juge de paix ait raison. J’ai pour moi la probabilité, mais la probabilité ne suffit pas au début d’une affaire, il faut la certitude. Il nous reste, par bonheur un moyen de vérification, nous avons le lit, je parie qu’il est défait.

      Et s’adressant au maire:

      – J’aurais besoin, monsieur, d’un domestique, pour me donner un coup de main.

      – Inutile, dit le père Plantat, je vais vous aider, moi, ce sera plus vite fait.

      Aussitôt, à eux deux, ils enlevèrent le ciel de lit et le déposèrent à terre, enlevant du même coup les rideaux.

      – Hein? fit M. Lecoq, avais-je raison?

      – C’est vrai, dit M. Domini un peu surpris, le lit est défait.

      – Défait, oui, répondit l’agent de la Sûreté, mais on ne s’y est pas couché.

      – Cependant, voulut objecter M. Courtois.

      – Je suis sûr de ce que j’avance, interrompit l’homme de la police. On a ouvert ce lit, c’est vrai, on s’est peut-être roulé dessus, on a chiffonné les oreillers, froissé les couvertures, fripé les draps, mais on n’a pu lui donner pour un œil exercé l’apparence d’un lit dans lequel deux personnes ont dormi. Défaire un lit est aussi difficile, plus difficile peut-être que de le refaire. Pour le refaire, il n’est pas indispensable de retirer draps et couvertures et de retourner les matelas. Pour le défaire, il faut absolument se coucher dedans et y avoir chaud. Un lit est un de ces témoins terribles qui ne trompent jamais et contre lesquels on ne peut s’inscrire en faux. On ne s’est pas couché dans celui-ci…

      – Je sais bien, remarqua le père Plantat, que la comtesse était habillée, mais le comte pouvait s’être couché le premier.

      Le juge d’instruction, le médecin et le maire s’étaient approchés.

      – Non, monsieur, répondit M. Lecoq, et je puis vous le prouver. La démonstration est facile d’ailleurs, et après l’avoir entendue, un enfant de dix ans ne se laisserait pas prendre à un désordre factice tel que celui-ci.

      Il ramena doucement les couvertures et le drap du dessus au milieu du lit, tout en poursuivant:

      – Ces oreillers sont très froissés tous deux, n’est-ce pas? Mais voyez en dessous le traversin, il est intact, vous n’y retrouvez aucun de ces plis que laissent le poids de la tête et le mouvement des bras. Ce n’est pas tout: regardez le lit à partir du milieu jusqu’à l’extrémité. Comme les couvertures ont été bordées avec soin, les deux draps se touchent bien partout. Glissez la main comme moi – et il glissait un de ses bras – et vous sentirez une résistance qui n’existerait pas si des jambes s’étaient allongées à cet endroit. Or, M. de Trémorel était de taille à occuper le lit dans toute sa longueur.

      Si claire était la démonstration de M. Lecoq, si palpables étaient ses preuves qu’il n’y avait pas à douter.

      – Ce n’est rien encore, continuait-il, passons au second matelas. On songe rarement au second matelas, quand pour des raisons quelconques on défait un lit ou qu’on cherche à en réparer le désordre. Examinez celui-ci.

      Il souleva le premier matelas et on vit en effet que la toile de l’autre était parfaitement tendue, on n’y découvrait aucun affaissement.

      – Ah! le second matelas, murmura M. Lecoq.

      Et son nez pétilla, pour ainsi dire, au souvenir sans doute de quelque bonne histoire.

      – Il me paraît prouvé, murmura le juge d’instruction, que M. de Trémorel n’était pas couché.

      – De plus, ajouta le docteur Gendron, si on l’eût assassiné dans son lit, ses vêtements seraient restés sur quelque meuble.

      – Sans compter, fit négligemment M. Lecoq, qu’on retrouverait sur les draps une goutte au moins de sang. Décidément, ces malfaiteurs-là ne sont pas forts.

      Depuis un moment, les yeux du père Plantat cherchaient ceux du juge d’instruction. Lorsque leurs regards, à la fin, se rencontrèrent:

      – Ce qui me paraît surprenant, à moi, dit le vieux juge de paix, donnant, par l’accentuation, une valeur particulière à chaque mot, c’est qu’on soit parvenu à tuer chez lui, autrement que pendant son sommeil, un homme jeune et vigoureux comme l’était le comte Hector.

      – Et dans une maison pleine d’armes, appuya le docteur Gendron; car le cabinet du comte est entièrement tapissé de fusils, de couteaux de chasse! C’est un véritable arsenal.

      – Hélas! soupira le bon M. Courtois, nous connaissons de pires catastrophes. L’audace des malfaiteurs croît en raison des convoitises de bien-être, de dépenses, de luxe, des classes inférieures dans les grands centres. Il n’est pas de semaine où les journaux…

      Il dut s’arrêter non sans un vif mécontentement; on ne l’écoutait pas. On écoutait le père Plantat qu’il n’avait jamais vu si bavard, et qui poursuivait:

      – Le bouleversement de la maison vous paraît insensé, eh bien, je suis surpris qu’il ne soit pas plus affreux encore. Je suis, autant dire, un vieillard, je n’ai plus l’énergie physique d’un homme de trente-cinq ans, et pourtant, il me semble que si des assassins pénétraient chez moi, lorsque je suis encore debout, ils n’auraient pas raison de moi. Je ne sais ce que je ferais, je serais tué probablement, mais certainement je réussirais à donner l’éveil. Je me défendrais, je crierais, j’ouvrirais les fenêtres, je mettrais le feu à la maison.

      Qu’eussiez-vous dit, justiciables d’Orcival, s’il vous eût été donné de voir l’animation, l’emportement de votre impassible juge de paix!

      – Ajoutons, insista le docteur, qu’éveillé il est difficile d’être surpris. Toujours quelque bruit insolite prévient. C’est une porte qui crie en tournant sur ses gonds, c’est une des marches de l’escalier qui craque. Si habile que soit un meurtrier, il ne foudroie pas sa victime.

      – Il se peut, insinua M. Courtois, qu’on se soit servi d’arme à feu. Cela s’est vu. Vous êtes bien tranquillement assis dans votre chambre; on est en été, vos fenêtres sont ouvertes, vous causez avec votre femme tout en prenant une tasse de thé; au dehors, les malfaiteurs se font la courte échelle; l’un deux arrive à la hauteur de l’appui de la fenêtre, il vous ajuste à son aise, il presse la détente, le coup part…

      – Et, continua le docteur, tout le voisinage réveillé accourt.

      – Permettez, permettez, riposta M. Courtois, à la ville, dans une cité populeuse, oui. Là, au milieu d’un vaste parc, non. Songez, docteur, à l’isolement de cette habitation. La plus voisine des maisons habitées est celle de Mme la comtesse de Lanascol, et encore est-elle distante de plus de cinq cents mètres, et par-dessus le marché, environnée de grands arbres qui interceptent le son et


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