Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau

Le crime d'Orcival - Emile Gaboriau


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à son maître.

      Ce maître, hélas! était consterné. Ainsi qu’il nous arrive à tous, quand nous ne savons au juste quel malheur va nous atteindre, il tremblait d’interroger. Il restait là, anéanti, ne bougeant; se lamentant au lieu de courir.

      Le père Plantat profita de ce temps d’arrêt pour questionner le domestique, et avec un tel regard que le drôle n’osa pas tergiverser.

      – Comment, demanda-t-il, une lettre de Mlle Laurence, elle n’est donc pas ici?

      – Non, monsieur, elle est partie il y a eu hier huit jours pour aller passer un mois chez une des sœurs de Madame.

      – Et comment va Mme Courtois?

      – Mieux, monsieur, seulement elle pousse des cris à faire pitié.

      L’infortuné maire s’était redressé sous le coup. Il saisit son domestique par le bras.

      – Mais viens donc, malheureux, lui cria-t-il, viens donc!..

      Et ils sortirent en courant.

      – Pauvre homme! fit le juge d’instruction, sa fille est peut-être morte.

      Le père Plantat hocha tristement la tête.

      – Si ce n’était que cela, dit-il.

      Et il ajouta:

      – Rappelez-vous, monsieur, les allusions de La Ripaille.

      VII

      Le juge d’instruction, le père Plantat et le docteur échangèrent un regard plein d’anxiété.

      Quel malheur frappait M. Courtois, cet homme si parfaitement estimable et si excellent en dépit de ses défauts? Était-ce donc décidément une journée maudite!

      – Si La Ripaille s’en est tenu aux allusions, dit M. Lecoq, j’ai entendu raconter, moi qui ne suis ici que depuis quelques heures, deux histoires très circonstanciées. Il paraît que cette demoiselle Laurence…

      Le père Plantat interrompit brusquement l’agent de la Sûreté.

      – Calomnies, s’écria-t-il, calomnies odieuses! Le petit monde qui jalouse les riches ne se gêne pas pour les déchirer à belles dents, faute de mieux. L’ignorez-vous donc? Est-ce qu’il n’en a pas toujours été ainsi! Le bourgeois, dans les petites villes surtout, vit, sans s’en douter, comme dans une cage de verre. Nuit et jour les yeux de lynx de l’envie braqués sur lui l’observent, l’épient, surprennent celles de ses démarches qu’il croit les plus secrètes pour s’en armer contre lui. Il va, content et fier, ses affaires prospèrent, il a l’estime et l’amitié de ceux de sa condition, et pendant ce temps, il est vilipendé dans les classes inférieures, traîné dans la boue, sali par les plus injurieuses suppositions. Est-ce que l’envie respecte quelque chose!

      – Si Mlle Laurence a été calomniée, fit en souriant le docteur Gendron, au moins a-t-elle trouvé un bon avocat pour défendre sa cause.

      Le vieux juge de paix, l’homme de bronze, comme dit M. Courtois, rougit imperceptiblement, un peu embarrassé de sa vivacité.

      – Il est des causes, reprit-il doucement, qui se défendent seules. Mlle Courtois est une de ces jeunes filles qui ont droit à tous les respects. Mais il est de ces abominations qu’aucune législation ne saurait atteindre, et qui me révoltent. Il faut songer, messieurs, que notre réputation, l’honneur de nos femmes et de nos filles, sont à la merci du premier gredin doué d’assez d’imagination pour inventer une abomination. On ne le croira peut-être pas, peu importe, on répétera sa calomnie, on la propagera. Qu’y faire? Pouvons-nous savoir ce qui se dit contre nous, en bas, dans l’ombre; le saurons-nous jamais?

      – Eh! répliqua le docteur Gendron, que nous importe? Il n’est pour moi qu’une voix respectable, celle de la conscience. Quant à ce qu’on appelle l’opinion publique, comme c’est en réalité la somme des opinions particulières de milliers d’imbéciles et de méchants, je m’en moque comme de l’an quarante.

      La discussion se serait peut-être prolongée, sans le juge d’instruction qui, ayant tiré sa montre, fit un geste de dépit.

      – Nous causons, dit-il, nous parlons et l’heure marche. Il faut nous hâter. Partageons-nous, au moins, la besogne qui reste.

      Le ton impérieux de M. Domini glaça sur les lèvres de M. Lecoq quelques réflexions dont il attendait le placement.

      Il fut alors convenu que, pendant que le docteur Gendron procéderait à l’autopsie, le juge d’instruction rédigerait son projet de rapport.

      Le père Plantat restait chargé de surveiller la suite des investigations de l’homme de la préfecture de police.

      Dès que l’agent de la Sûreté se trouva seul avec le vieux juge de paix:

      – Enfin, dit-il, en respirant longuement, comme s’il eut été soulagé d’une lourde oppression, enfin, nous allons pouvoir marcher maintenant.

      Et comme le père Plantat souriait un peu, il goba un carré de pâte et ajouta:

      – Arriver quand une instruction est commencée, est déplorable, monsieur le juge de paix, tout à fait déplorable. Les gens qui vous ont précédé ont eu le temps de se faire un système, et si vous ne l’adoptez pas d’emblée, c’est le diable!

      On entendit dans l’escalier la voix de M. Domini appelant son greffier qui, arrivé un peu après lui, était resté au rez-de-chaussée.

      – Tenez, monsieur, ajouta l’agent, voici monsieur le juge d’instruction qui se croit en face d’une affaire toute simple, tandis que moi, moi M. Lecoq, l’égal au moins de ce drôle de Gévrol, moi l’élève chéri du père Tabaret – il ôta respectueusement son chapeau – je n’y vois pas encore clair.

      Il s’arrêta, récapitulant, sans doute, le résultat de ses perquisitions et reprit:

      – Non, vrai, je suis dérouté, je m’y perds presque. Je devine bien sous tout ceci quelque chose, mais quoi? quoi?

      La figure du père Plantat restait calme, mais son œil étincelait.

      – Peut-être avez-vous raison, approuva-t-il d’un air détaché, peut-être en effet y a-t-il quelque chose.

      L’agent de la Sûreté le regarda, il ne bougea pas. Il continuait à offrir la physionomie la plus indifférente du monde, tout en relevant quelques notes sur son carnet.

      Il y eut un assez long silence, et M. Lecoq en profita pour confier au portrait les réflexions qui lui battaient la cervelle.

      «Vois-tu bien, chère mignonne, disait-il, ce digne monsieur m’a l’air d’un vieux finaud dont il faut surveiller attentivement les faits et gestes. Il ne partage pas, il s’en faut, les opinions du juge d’instruction, il a une idée qu’il n’ose nous dire et nous la trouverons. Il est malin, ce juge de paix de campagne. Du premier coup il nous a devinés, malgré nos jolis cheveux blonds. Tant qu’il a pu croire que, nous égarant, nous prendrions les brisées de M. Domini, il nous a suivis, nous appuyant, nous montrant la voie. Maintenant qu’il sent que nous tenons la piste, il se croise les bras, il se retire. Il veut nous laisser l’honneur de la découverte. Pourquoi? Il est d’ici, a-t-il peur de se faire des ennemis? Non. C’est un de ces hommes qui ne craignent pas grand-chose. Quoi donc? Il recule devant sa pensée. Il a trouvé quelque chose de si surprenant qu’il n’ose s’expliquer.»

      Une subite réflexion changea le cours des confidences de M. Lecoq.

      «Mille diables! pensait-il, et si je me trompais, si ce bonhomme n’était pas fin du tout! s’il n’avait rien découvert, s’il n’obéissait qu’à des inspirations du hasard? On a vu des choses plus surprenantes. J’en ai tant connu, de ces gens, dont les yeux sont comme les pitres des baraques, ils annoncent qu’à l’intérieur on contemple des merveilles; on entre et on ne voit rien, on est volé. Mais moi – il eut un sourire – je vais bien savoir à quoi m’en tenir.»

      Et


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