Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau

Le crime d'Orcival - Emile Gaboriau


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nuit tombait, un brouillard léger comme la fumée d’un feu de paille se balançait au-dessus de la Seine.

      – Il faut rentrer, dit tout à coup le père Plantat, aller voir où le docteur en est de l’autopsie.

      Et lentement, l’agent de police et lui regagnèrent la maison.

      Sur le perron, se tenait le juge d’instruction qui s’apprêtait à aller à leur rencontre. Il tenait sous son bras sa grande serviette de chagrin violet, timbrée à ses initiales, et avait repris son léger pardessus d’Orléans noir.

      Il avait l’air satisfait.

      – Je vais vous laisser le maître, monsieur le juge de paix, dit-il au père Plantat, il est indispensable, si je veux voir ce soir monsieur le procureur impérial, que je parte à l’instant. Déjà, ce matin, lorsque vous m’avez envoyé chercher, il était absent.

      Le père Plantat s’inclina.

      – Je vous serai fort obligé, continua M. Domini, de surveiller la fin de l’opération. Le docteur Gendron n’en a plus, vient-il de me dire, que pour quelques minutes, et j’aurai ses notes demain matin. Je compte sur votre bonne obligeance, pour mettre les scellés partout où besoin est, et aussi pour constituer des gardiens. Je me propose d’envoyer un architecte relever le plan exact de la maison et du jardin.

      – Puis, remarqua le vieux juge de paix, il faudra, sans doute un supplément d’instruction?

      – Je ne le pense pas, fit le juge d’instruction, d’un ton de certitude.

      Puis s’adressant à M. Lecoq.

      – Eh bien, monsieur l’agent, demanda-t-il, avez-vous fait quelque découverte nouvelle?

      – J’ai relevé plusieurs faits importants, répondit M. Lecoq, mais je ne puis me prononcer avant d’avoir encore vu là-haut au jour. Je demanderai donc à monsieur le juge d’instruction la permission de ne lui présenter mon rapport que demain, dans l’après-midi. Je crois pouvoir répondre, d’ailleurs, que si embrouillée que soit cette affaire…

      M. Domini ne le laissa pas achever.

      – Mais, interrompit-il, je ne vois rien d’embrouillé dans cette affaire; tout me paraît, au contraire, fort clair.

      – Cependant, objecta M. Lecoq, je pensais…

      – Je regrette vraiment, poursuivit le juge d’instruction, qu’on vous ait appelé avec trop de précipitation et sans grande nécessité. J’ai maintenant, contre les deux hommes que j’ai fait arrêter, les charges les plus concluantes.

      Le père Plantat et M. Lecoq échangèrent un long regard, trahissant leur surprise profonde.

      – Quoi! ne put s’empêcher de dire le vieux juge de paix, vous auriez, monsieur, recueilli des indices nouveaux!

      – Mieux que des indices, je crois, répondit M. Domini avec un plissement de lèvres de fâcheux augure; La Ripaille, que j’ai interrogé une seconde fois, commence à se troubler. Il a perdu tout à fait son arrogance. J’ai réussi à le faire se couper à plusieurs reprises et il a fini par m’avouer qu’il a vu les assassins.

      – Les assassins! exclama le père Plantat, il a dit les assassins?

      – Il a vu au moins l’un d’entre eux. Il persiste me jurer qu’il ne l’a pas reconnu. Voilà où nous en sommes. Mais les ténèbres de la prison ont des terreurs salutaires. Demain, après une nuit d’insomnie, mon homme, j’en suis persuadé, sera bien autrement explicite.

      – Mais Guespin, interrogea anxieusement le vieux juge, avez-vous de nouveau questionné Guespin.

      – Oh! fit M. Domini, pour ce qui est de celui-là, tout est dit.

      – Il a avoué? demanda M. Lecoq stupéfié.

      Le juge d’instruction se tourna à demi vers l’homme de la police, comme s’il eût trouvé mauvais qu’il osât le questionner.

      – Guespin n’a rien avoué, répondit-il néanmoins, mais sa cause n’en est pas meilleure. Nos bateliers sont revenus. Ils n’ont pas encore retrouvé le cadavre de M. de Trémorel qu’ils supposent avoir été entraîné par le courant. Mais, ils ont repêché d’abord au bout du parc, dans les roseaux, l’autre pantoufle du comte; puis, au milieu de la Seine, sous le pont, remarquez bien ce détail, sous le pont, une veste de drap grossier qui porte encore des traces de sang.

      – Et cette veste est à Guespin? demandèrent ensemble le vieux juge de paix et l’agent de la Sûreté.

      – Précisément. Elle a été reconnue par tous les gens du château et Guespin a avoué sans difficulté qu’elle lui appartient. Mais ce n’est pas tout…

      M. Domini s’arrêta comme pour reprendre haleine, en réalité pour faire languir un peu le père Plantat. Par suite de leurs divergences d’opinions, il avait cru reconnaître en lui une certaine hostilité sourde, et – la faiblesse humaine ne perdant jamais ses droits – il n’était pas fâché de triompher un peu.

      – Ce n’est pas tout, poursuivit-il; cette veste avait à la poche droite une large déchirure et un morceau de l’étoffe avait été arraché. Ce lambeau de la veste de Guespin, savez-vous ce qu’il était devenu?..

      – Ah! murmura le père Plantat, c’est lui que nous avons retrouvé dans la main de la comtesse.

      – Vous l’avez dit, monsieur le juge de paix. Que pensez-vous, je vous prie, de cette preuve de culpabilité du prévenu?

      Le père Plantat semblait consterné; les bras lui tombaient.

      Quant à M. Lecoq qui, devant le juge d’instruction, avait repris sévèrement son attitude de mercier retiré, il fut à ce point surpris qu’il faillit s’étrangler avec un morceau de pâte.

      – Mille diables! disait-il, tout en toussant, réparation d’honneur, voilà qui est fort.

      Il eut un sourire niais, et ajouta, plus bas et pour le seul père Plantat:

      – Très fort! quoique du même tonneau et prévu par nos calculs. La comtesse tenait entre ses doigts crispés un lambeau de drap, donc il a dû être placé là intentionnellement par les meurtriers.

      M. Domini n’avait pas relevé l’exclamation, il n’entendit pas la réflexion de M. Lecoq. Il tendit la main au père Plantat et lui donna rendez-vous pour le lendemain, au palais.

      Puis il sortit, emmenant son greffier.

      Guespin et le vieux La Ripaille, les menottes aux mains, avaient été quelques minutes plus tôt dirigés sur la prison de Corbeil, sous la conduite des gendarmes d’Orcival.

      VIII

      Dans la salle de billard du château de Valfeuillu, le docteur Gendron venait d’achever sa funèbre besogne.

      Il avait retiré son vaste habit noir à larges manches, à basques immenses, à boutonnière ornée du ruban rouge de la Légion d’honneur, véritable habit de savant, et il avait retroussé, bien au-dessus du coude, les manches de sa chemise de forte toile.

      Près de lui, sur une petite table destinée à recevoir les rafraîchissements, étaient épars les instruments dont il s’était servi, des bistouris et plusieurs sondes d’argent.

      Il avait dû, pour les investigations, dépouiller le cadavre, et il l’avait ensuite recouvert d’un grand drap blanc qui dessinait vaguement les formes du corps et dépassait, d’un côté, les bandes du billard.

      La nuit était venue et une grosse lampe, à globe de cristal dépoli, éclairait cette scène sinistre.

      Penché au-dessus d’un immense seau d’eau, le docteur finissait de se laver les mains, lorsque entrèrent le vieux juge de paix et l’agent de la Sûreté. Au bruit de la porte, M. Gendron se redressa vivement:

      – Ah! c’est vous, Plantat, dit-il – d’une voix dont l’altération était parfaitement


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