La clique dorée. Emile Gaboriau

La clique dorée - Emile Gaboriau


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vous-même un bouquet de violettes d'un sou…

      Cependant mistress Brian s'était installée près de sa nièce; sir Tom monta, et ce fut ensuite le tour du M. de la Ville-Handry. Enfin le valet de pied ferma la portière…

      Alors miss Sarah se penchant vers Daniel:

      – J'espère, monsieur, lui dit-elle, que j'aurai le plaisir de vous recevoir… Le cher comte vous dira mon adresse et mes jours… Moi, d'abord, en ma qualité d'Américaine, j'adore les marins et je veux…

      Le reste se perdit dans le bruit des roues.

      La voiture qui emportait miss Sarah Brandon et le comte de la Ville-Handry était loin déjà, que Daniel demeurait encore à la même place, sur le bord du trottoir, immobile, étourdi, assommé…

      Tous ces événements étranges, tombant en quelques heures, coup sur coup, dans sa vie si calme, le bouleversaient à ce point qu'il en était à se demander s'il n'était pas le jouet d'un odieux cauchemar…

      Hélas, non!.. Cette Sarah Brandon, qui venait de passer telle qu'une vision éblouissante, elle existait réellement, et là, sur les dalles humides du trottoir, une poignée de roses effeuillées attestait encore la puissance de ses séductions et la folie du comte de la Ville-Handry.

      – Ah!.. nous sommes perdus! s'écria Daniel, si haut que plusieurs passants s'arrêtèrent, espérant peut-être un de ces drames de la rue qui alimentent les faits divers.

      Leur attente fut déçue.

      S'apercevant de l'attention dont il était l'objet, Daniel haussa les épaules, et brusquement s'éloigna dans la direction du boulevard.

      Il avait bien promis à Mlle Henriette de lui apprendre, le soir même, s'il était possible, ce qu'il aurait découvert, mais il était trop tard pour se présenter à l'hôtel de la Ville-Handry: minuit sonnait.

      – J'irai demain, pensa-t-il.

      Et tout en longeant les boulevards, éclairés encore et peuplés de promeneurs, il appliquait tout ce qu'il avait de volonté et d'intelligence à examiner bien en face et froidement la situation.

      Tout d'abord, il s'était persuadé qu'il aurait affaire à quelqu'une de ces vulgaires exploiteuses, en quête d'une retraite pour leurs vieux jours, qui tendent leurs piéges grossiers aux vieillards et aux adolescents, qui font «chanter» les familles, la menace d'un mariage honteux sur la gorge, et dont on se débarrasse moyennant une grosse somme, quand la préfecture de police n'y peut rien.

      Alors, il avait quelque espoir.

      Mais voici que tout à coup se dressait devant lui une de ces redoutables aventurières de la «haute vie,» qui ont su ménager, sinon sauver les apparences, et dont la position est assez équivoque pour leur donner l'attrait de tout ce qui est mystérieux et étrange.

      Comment lutter contre une telle femme, et avec quelles armes!.. Comment l'atteindre et où la frapper?

      N'était-ce pas folie que de songer seulement à lui faire lâcher la proie magnifique prise dans ses filets, Dieu sait par quels moyens! qu'elle devait considérer comme sienne désormais, et dont par avance elle se délectait?

      – Mon Dieu!.. murmurait Daniel, envoyez-moi une idée…

      Mais l'idée ne venait pas, et c'est en vain qu'il mettait à la torture son esprit frappé de stérilité.

      Arrivé chez lui, cependant, il se coucha comme d'ordinaire, mais la conscience de son malheur devait le tenir éveillé.

      A neuf heures du matin, n'ayant pas fermé l'œil et brisé de cette fatigue atroce de l'insomnie, il allait se lever quand on sonna à la porte.

      Il se jeta vivement à bas de son lit, s'habilla en deux temps et courut ouvrir.

      C'était M. de Brévan qui venait chercher des nouvelles de la présentation de la veille, et dont le premier mot fut:

      – Eh bien?

      – Hélas! répondit Daniel, le plus sage serait de se résigner…

      – Diable! vous êtes prompt à jeter le manche après la cognée…

      – Que feriez-vous donc, vous, à ma place? Cette femme est belle à troubler la raison… le comte est fasciné.

      Et avant que Maxime pût répliquer, simplement et brièvement, Daniel lui dit son amour pour Mlle de la Ville-Handry, quelles espérances on lui avait permis de concevoir, et comment avec ces espérances s'évanouissait le bonheur de sa vie…

      – Car il n'est plus d'illusions possibles, Maxime, ajoutait-il avec l'accent du plus sombre découragement. Ce qui m'attend, je le prévois, je le sens, je le sais. Henriette, obstinément et quand même, fera tout pour empêcher le mariage de son père, et jusqu'au dernier moment elle luttera. Est-il de mon devoir de la soutenir? Oui. Réussirons-nous? Non. Mais nous nous serons fait une ennemie mortelle de miss Sarah. Et le lendemain du jour où, malgré nous, elle sera devenue la comtesse de la Ville-Handry, sa première pensée sera de se venger et de nous séparer à jamais, Henriette et moi.

      Si peu accessible à l'émotion que dût être M. de Brévan, le désespoir de celui qu'il appelait son ami le troubla visiblement.

      – Bref, mon pauvre Daniel, fit-il, vous en êtes à ce point où on ne sait plus ce qu'on fait. Raison de plus pour écouter les conseils d'un homme de sang-froid. Il faut vous faire présenter chez miss Sarah.

      – Elle m'a invité…

      – Bon, cela. N'hésitez pas, allez-y.

      – Qu'y faire?

      – Peu de chose… Vous ferez un doigt de cour à Sarah, vous serez aux petits soins pour mistress Brian, vous tenterez la conquête de l'honorable Thomas Elgin. Enfin, et surtout, vous écouterez de toutes vos oreilles, vous regarderez de tous vos yeux…

      – J'avoue que je ne comprends pas bien.

      – Quoi!.. Vous ne comprenez pas que la situation de ces audacieux aventuriers, si assurée qu'elle paraisse, ne tient peut-être qu'à un fil?.. Que faut-il pour le trancher, ce fil?.. Une occasion… Et quand on a tout à attendre et à espérer de l'occasion, on la guette…

      Daniel ne semblait pas convaincu.

      – Miss Sarah, ajouta-t-il, me parlera de son mariage.

      – Assurément.

      – Que répondrai-je?

      – Rien… ni oui, ni non… vous sourirez, vous vous déroberez, vous gagnerez du temps…

      Il fut interrompu par le portier de Daniel – c'était son domestique aussi – qui entrait, tenant une carte à la main.

      – Monsieur, dit-il, c'est un monsieur qui est en bas dans une voiture, et qui m'envoie savoir s'il ne vous dérange pas…

      – Le nom de ce monsieur?..

      – Le comte de la Ville-Handry, voici sa carte.

      – Vite, s'écria Daniel, vite, courez le prier de monter…

      M. de Brévan s'était levé vivement, il avait déjà son chapeau sur la tête, et dès que le concierge fut sorti:

      – Je file, dit-il à Daniel.

      – Pourquoi?

      – Parce qu'il ne faut pas que le comte me trouve ici… Vous seriez forcé de me présenter, il retiendrait peut-être mon nom et s'il apprenait à Sarah que je suis votre ami, tout serait fini…

      Il sortait en effet, lorsqu'on entendit remuer la clef de la porte d'entrée.

      – Le comte, fit-il, je suis pris.

      Mais Daniel, ouvrant rapidement sa chambre, l'y poussa et referma la porte.

      Il était temps, le comte entrait.

      VI

      M. de la Ville-Handry avait dû se lever matin. Bien qu'il ne fût pas encore dix heures, il resplendissait, fardé de frais qu'il était,


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