Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1. Baron Gaspard Gourgaud

Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1 - Baron Gaspard Gourgaud


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de personnes, il s'avança sur le perron, reçut les compliments des officiers, les harangua, et leur dit qu'il comptait sur eux tous pour sauver la France. En même temps, il leur fit connaître que le conseil des anciens, autorisé par la constitution, venait de le revêtir du commandement de toutes les troupes; qu'il s'agissait de prendre de grandes mesures, pour tirer la patrie de la position affreuse où elle se trouvait; qu'il comptait sur leurs bras et leur volonté; qu'il allait monter à cheval, pour se rendre aux Tuileries. L'enthousiasme fût extrême: tous les officiers tirèrent leurs épées, et promirent assistance et fidélité. Alors Napoléon se tourna vers Lefèvre, lui demandant s'il voulait rester près de lui, ou retourner près du directoire. Lefèvre, fortement ému, ne balança pas. Napoléon monta aussitôt à cheval, et se mit à la tête des généraux et officiers, et des 1,500 chevaux auxquels il avait fait faire halte sur le boulevard, au coin de la rue du Mont-Blanc. Il donna ordre aux adjudants de la garde nationale de retourner dans leurs quartiers, d'y faire battre la générale, de faire connaître le décret qu'ils venaient d'entendre, et d'annoncer qu'on ne devait plus reconnaître que les ordres émanés de lui.

      § X

      Il se rendit à la barre du conseil des anciens, environné de ce brillant cortège. Il dit: «Vous êtes la sagesse de la nation, c'est à vous d'indiquer dans cette circonstance les mesures qui peuvent sauver la patrie: je viens, environné de tous les généraux, vous promettre l'appui de tous leurs bras. Je nomme le général Lefèvre mon lieutenant.

      «Je remplirai fidèlement la mission que vous m'avez confiée: qu'on ne cherche pas dans le passé des exemples sur ce qui se passe. Rien dans l'histoire ne ressemble à la fin du XVIIIe siècle; rien dans le XVIIIe siècle ne ressemble au moment actuel.»

      Toutes les troupes étaient réunies aux Tuileries; il en passa la revue aux acclamations unanimes des citoyens et des soldats. Il donna le commandement des troupes chargées de la garde du corps-législatif, au général Lannes; et au général Murat, le commandement de celles envoyées à Saint-Cloud.

      Il chargea le général Moreau de garder le Luxembourg; et, pour cet effet, il mit sous ses ordres 500 hommes du 86e régiment. Mais, au moment de partir, ces troupes refusèrent d'obéir, elles n'avaient pas de confiance en Moreau, qui, disaient-elles, n'était pas patriote. Napoléon fut obligé de les haranguer, en les assurant que Moreau marcherait droit. Moreau avait acquis cette réputation depuis sa conduite en fructidor.

      Le bruit se répandit bientôt dans toute la capitale, que Napoléon était aux Tuileries, et que ce n'était qu'à lui seul qu'il fallait obéir. Le peuple y courut en foule: les uns, mus par la simple curiosité de voir un général si renommé, les autres, par élan patriotique et par zèle, pour lui offrir leur assistance. La proclamation suivante fut affichée partout.

      «Citoyens, le conseil des anciens, dépositaire de la sagesse nationale, vient de rendre un décret; il y est autorisé par les articles 102 et 103 de l'acte constitutionnel: il me charge de prendre des mesures pour la sûreté de la représentation nationale. Sa translation est nécessaire et momentanée; le corps-législatif se trouvera à même de tirer la république du danger imminent où la désorganisation de toutes les parties de l'administration nous conduit. Il a besoin, dans cette circonstance essentielle, de l'union et de la confiance. Ralliez-vous autour de lui: c'est le seul moyen d'asseoir la république sur les bases de la liberté civile, du bonheur intérieur, de la victoire, et de la paix.»

      Il dit aux soldats:

      «Soldats, le décret extraordinaire du conseil des anciens, est conforme aux articles 102 et 103 de l'acte constitutionnel. Il m'a remis le commandement de la ville et de l'armée. Je l'ai accepté pour seconder les mesures qu'il va prendre et qui sont tout entières en faveur du peuple. La république est mal gouvernée depuis deux ans; vous avez espéré que mon retour mettrait un terme à tant de maux. Vous l'avez célébré avec une union qui m'impose des obligations que je remplis; vous remplirez les vôtres, et vous seconderez votre général avec l'énergie, la fermeté, et la confiance que j'ai toujours eue en vous. La liberté, la victoire et la paix, replaceront la république française au rang qu'elle occupait en Europe, et que l'ineptie et la trahison ont pu seules lui faire perdre.»

      En ce moment, Napoléon envoya un aide-de-camp à la garde du directoire, pour lui communiquer le décret, et lui prescrire de ne recevoir d'ordre que de lui. La garde sonna à cheval; le chef consulta ses soldats, ils répondirent par des cris de joie. A l'instant même venait d'arriver un ordre du directoire, contraire à celui de Napoléon; mais les soldats n'obéissant qu'au sien, se mirent en marche pour le joindre. Siéyes et Roger-Ducos s'étaient déja rendus dès le matin aux Tuileries. On dit que Barras, en voyant Siéyes monter à cheval, se moqua de la gaucherie du nouvel écuyer. Il était loin de se douter où ils allaient. Peu après, instruit du décret, il se réunit avec Gohier et Moulins; ils apprirent alors que toutes les troupes environnaient Napoléon; ils virent même leur garde les abandonner. Dès-lors Moulins se rendit aux Tuileries, et donna sa démission, comme l'avaient déja fait Siéyes et Roger-Ducos. Bottot, secrétaire de Barras, se rendit près de Napoléon, qui lui témoigna toute son indignation sur les dilapidations qui avaient perdu la république, et insista pour que Barras donnât sa démission. Talleyrand fut chez ce directeur, et la rapporta. Barras se rendit à Gros-Bois, accompagné d'une garde d'honneur de dragons. Dès ce moment, le directoire se trouva dissous, et Napoléon seul chargé du pouvoir exécutif de la république.

      Cependant le conseil des cinq-cents s'était assemblé sous la présidence de Lucien. La constitution était précise, le décret du conseil des anciens était dans ses attributions: il n'y avait rien à objecter. Les membres du conseil, en traversant les rues de Paris et les Tuileries, avaient appris les évènements qui se passaient; ils avaient été témoins de l'enthousiasme public. Ils étaient dans l'étonnement et la stupeur de tout le mouvement qu'ils voyaient. Ils se conformèrent à la nécessité, et ajournèrent la séance pour le lendemain 19, à Saint-Cloud.

      – Bernadotte avait épousé la belle-sœur de Joseph Bonaparte. Il avait été deux mois au ministère de la guerre, et ensuite renvoyé par Siéyes: il n'y faisait que des fautes.

      C'était un des membres les plus chauds de la société du manège dont les opinions politiques étaient alors fort exaltées et réprouvées par tous les gens de bien. Joseph l'avait mené le matin chez Napoléon, mais, lorsqu'il vit ce dont il s'agissait, il s'esquiva, et alla instruire ses amis du manège de ce qui se passait.

      Jourdan et Augereau vinrent trouver Napoléon aux Tuileries, lorsqu'il passait la revue des troupes: il leur conseilla de ne pas retourner à Saint-Cloud à la séance du lendemain, de rester tranquilles, de ne pas compromettre les services qu'ils avaient rendus à la patrie; car aucun effort ne pouvait s'opposer au mouvement qui était commencé. Augereau l'assura de son devouement et du desir qu'il avait de marcher sous ses ordres. Il ajouta même: «Eh quoi! général, est-ce que vous ne comptez pas toujours sur votre petit Augereau?»

      Cambacérès, ministre de la justice; Fouché, ministre de la police, et tous les autres ministres furent aux Tuileries, et reconnurent la nouvelle autorité. Fouché fit de grandes protestations d'attachement et de dévouement; extrêmement opposé à Siéyes, il n'avait pas été dans le secret de la journée. Il avait ordonné de fermer les barrières, d'arrêter le départ des courriers et des diligences: «Eh, bon dieu! lui dit le général, pourquoi toutes ces précautions? nous marchons avec la nation et par sa seule force; qu'aucun citoyen ne soit inquiété, et que le triomphe de l'opinion n'ait rien de commun avec ces journées faites par une minorité factieuse.»

      Les membres de la majorité des cinq-cents, de la minorité des anciens, et les coryphées du manège, passèrent toute la journée et la nuit en conciliabules.

      A sept heures du soir, Napoléon tint un conseil aux Tuileries. Siéyes proposait d'arrêter les quarante principaux meneurs opposants. Cet avis était sage; mais Napoléon croyait avoir trop de force, pour employer tant de prudence. «J'ai juré ce matin, dit-il, de protéger la représentation nationale; je ne veux point ce soir violer mon serment: je ne crains pas de si faibles ennemis.» Tout le monde se rangea au conseil de Siéyes; mais rien ne put vaincre cette obstination


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