Le notaire de Chantilly. Gozlan Léon

Le notaire de Chantilly - Gozlan Léon


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ce prêtre du corps, relève de la science. L'enfer nous répond des exactions de l'un; les universités sont la caution de l'autre. Celui-ci a un serment, celui-là un diplôme, le notaire n'a qu'un reçu de son prédécesseur. La vertu fait le prêtre, la science le médecin, l'argent le notaire.

      Poussé aux limites extrêmes, l'abus que peut faire le prêtre de sa puissance, c'est de vous damner.

      La plus excessive domination que le médecin soit entraîné à exercer sous votre toit, c'est de séduire votre femme ou d'épouser votre fille.

      Le notaire n'arrive à son dernier développement d'action morale sur la société que par la ruine de la fortune privée.

      Et qu'on juge des ravages plus grands que le notaire est en position de causer dans la société. Qu'importe que le prêtre, en colère contre le siècle, abaisse devant le front du pécheur la grille du confessionnal; qu'il lui refuse l'absolution; qu'il interdise l'eau du baptême aux enfants, le voile du mariage aux jeunes filles, et l'huile sainte aux mourants? La mairie de l'arrondissement est là: elle baptise, marie et enterre; qu'importe enfin que les prêtres nous chassent du temple comme des vendeurs? nous vendrons à la porte du temple.

      Qu'importent aussi les séductions d'alcôve du médecin? Il a suborné une femme, épousé par surprise une riche héritière; où est le si grand mal? autant lui qu'un autre. En sommes-nous là aujourd'hui? D'ailleurs, pourquoi n'êtes-vous pas le médecin de votre femme? La civilisation nous a appris à nous passer d'une foule de servitudes que subissaient nos grossiers aïeux; nous sommes aussi forts en jurisprudence pour le moins que les avocats; en politique, un roi n'en sait guère plus que nous; mais nous ne savons pas seulement sonder une plaie. Avec la moitié du temps que nous perdons à apprendre à danser, nous deviendrions médecins, – souvent mauvais, sans doute; ceux qui ont des diplômes sont-ils infaillibles?

      La société moderne ne reposant que sur les intérêts et non sur la vertu, le marchand vertueux qui n'a pas d'argent ferme boutique; le négociant vertueux sans argent n'est pas reçu à la Bourse; le citoyen vertueux sans argent ne sera jamais député, maire ou conseiller municipal. Eh bien! n'est-ce pas l'office du notaire de placer, de déplacer, de faire produire cet or, cet argent, ces capitaux, ce tout avec lequel on est tout? Changez les termes; appelez honneur, considération, vertu, la possession de ces capitaux, et le notaire sera le directeur de conscience auquel l'homme s'est livré.

      Le colonel Debray s'était levé: Maurice le précéda pour lui ouvrir la porte de son cabinet, où il allait lui délivrer le reçu de ce plan de campagne de la Vendée, qui lui était confié avec une si haute preuve d'estime.

      Pendant le récit du colonel, Maurice avait à plusieurs reprises adressé des signes à Léonide pour l'engager à passer dans une autre pièce, sa présence étant une haute inconvenance. En femme fière, Léonide eut l'air de ne pas comprendre l'injonction de son mari. Elle affecta même de prêter une attention soutenue à cet entretien que le caractère de la maison lui interdisait. Debray, comme on l'a vu, avait paru d'abord embarrassé de la présence de Léonide; mais il avait fini par penser que Maurice étant au moins aussi intéressé que lui à la discrétion des affaires, il avait sans doute autorisé sa femme à en partager la connaissance avec lui. Toute faible que fût la supposition, elle lui avait suffi pour oser s'expliquer devant Léonide.

      Léonide s'était levée aussi, prête à suivre dans le cabinet Maurice et le colonel Debray, décidée à faire prévaloir jusqu'au bout sa volonté de femme, surtout devant une personne dans l'esprit de laquelle elle eût rougi de paraître fléchir sous son mari. Heureusement pour la dignité du ménage, que, sur ces entrefaites, arriva le frère de Léonide, Victor Reynier: ce fut un prétexte tout trouvé pour Maurice de se débarrasser de la sœur sur le frère.

      V

      – Vous boudez, Léonide, dit Victor Reynier à sa sœur. Le gouvernement domestique se conduirait-il mal?

      – Très-mal.

      – Alors, révoltons-nous, ma sœur.

      – La plaisanterie n'est pas de saison, je vous jure, Victor.

      – Elle n'a jamais rien gâté.

      – Ce pays-ci m'ennuie, m'obsède; j'y mourrai si je n'en sors.

      – Vous vous plairiez sans doute davantage à Paris: il n'y a pas d'habileté à penser ces choses-là. Le spirituel est de vivre en province pour s'y enrichir: nous sommes en chemin.

      – Sera-ce encore bien long, mon frère?

      – Cela dépend de Maurice. Un honnête homme s'enrichit en vingt ans, probité commune; un banquier dans huit ans, s'il a trois malheurs consécutifs; un fripon dans six, s'il ne fait aucune banqueroute; un notaire de Paris fait sa fortune dans cinq ans. Les notaires de province ne sont pas encore classés.

      – Ne trouvez-vous pas que Maurice eût tout aussi bien fait de rester à Paris, exerçant sa charge d'agent de change, que de venir, je ne sais trop dans quel but bien clair d'intérêt, s'enfouir ici dans un tas de paperasses dont il ne sort pas?

      – Non, ma sœur, mille fois non. Changez vite d'opinion là-dessus. C'est d'après mes conseils, vous le savez, que Maurice a vendu sa commission d'agent de change pour acheter son étude. Blâmez-moi le premier; ou plutôt comprenez mieux notre grandeur future. Le titre de notaire est magique en affaires: il résume ce qu'un homme a de supériorité, les lumières, la probité, le bon sens; qualités dont chacun se passe, mais que chacun exige en autrui. On sait dans Paris que Maurice m'éclaire de ses conseils dans les opérations financières que je tente; on le dit presque mon associé. Sa réputation protége la mienne. Hommes d'affaires tous deux, notre solidarité réciproque eût été illusoire; l'un des deux étant notaire, le crédit s'ouvre partout; il vient nous chercher, il est venu. N'est-ce pas là une de mes combinaisons les plus triomphantes? Qu'il se présente un bon mariage et je n'ai plus rien à désirer! Je conviens que notre étoile est brillante, et que j'ai trouvé non-seulement un excellent beau-frère dans Maurice, mais un honnête homme. A sa perspicacité en affaires, votre mari, ma sœur, joint le beau privilége d'être dévoué au pays; il est un des flambeaux du conseil municipal. – Ne riez pas, un homme adroit n'eût pas mieux calculé. Il a le mérite, dit-on, partout, d'avoir une conscience politique: qui sait? quand l'opinion n'est pas un métier, ma sœur, elle est peut-être une vertu.

      – Je voudrais, moi, mon frère, qu'il fût un peu plus complaisant mari.

      – Je lui en parlerai; mais jurez-moi de ne pas le dégoûter de la province par vos éternelles réminiscences de Paris. A quoi bon? Êtes-vous assez riche pour habiter un hôtel rue Laffitte? pour posséder un château dans la forêt de Saint-Germain? Avez-vous des chevaux dans vos écuries pour vous y transporter dans une heure? non. Restons ici. Je vous promets tout cela dans six ans.

      – Y songez-vous, mon frère? c'est juste le délai que vous donniez à un fripon pour s'enrichir.

      – Otons un an et n'en parlons plus. Voyez si, depuis six mois que nous sommes ici, j'ai perdu du temps. Il est vrai que, sans moi, ce cher Maurice en serait à ses bénéfices de rôles; il aurait bien gagné trois mille francs. Je lui ai fait acheter d'abord un champ de vigne entre deux champs de blé. La situation incommode du propriétaire des deux champs traversés par le champ de vigne a forcé celui-ci à nous les vendre, – c'est M. le marquis de la Haye. – Les trois champs ont été à nous: devenus ensuite acquéreurs pour quatre-vingt mille francs d'un tiers du bois qui limite ces champs, nous y avons interdit la chasse en vertu d'un vieux contrat, ignoré du marquis, qui laisse ce privilége à l'acquéreur du tiers. Il a plaidé: nous avons gagné. Il en est tombé malade, le noble seigneur. Le voyez-vous relégué dans son château comme au milieu d'une île; dévoré par les cerfs sans pouvoir tirer sur un seul? La conséquence forcée de la situation où il s'est mis, c'est de racheter à tel prix que nous voudrons le tiers du bois qui nous appartient, ou de nous vendre les deux autres tiers avec le château. Il se décidera: nous attendrons. En attendant, écoutez encore, ma sœur, de quelle manière je m'y suis pris pour arrondir notre propriété, qui a déjà cent arpents, d'un grand terrain vague où l'on pourrait construire une admirable


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