Nouvelles Asiatiques. Gobineau Arthur
pas?
Quand elle se fâchait, le sang partait de sa gorge et elle en avait pour des heures de souffrance! Je cédai.
– Eh bien! partons!
Nous sommes venus ici. Elle m'a envoyé chercher du secours tout à l'heure, m'assurant qu'elle se sentait plus mal et ce n'était que trop vrai; et, pendant que je lui obéissais … vous voyez!
Un sanglot coupa la voix du pauvre diable.
Moreno eut un chagrin profond. Ce n'était pas raisonnable. Ce qui pouvait advenir de plus heureux à Omm-Djéhâne était arrivé justement. Que fut-elle devenue dans la vie? Si elle était restée une vraie et fidèle lesghy, l'abandon d'Assanoff et de ses premiers rêves n'eût pas bouleversé son âme; elle avait souffert beaucoup, elle aurait souffert encore, sans doute, mais l'orgueil satisfait et la conscience assurée l'auraient soutenue jusqu'au bout, et, soit qu'elle eût continué à ravir les hommes de goût de Shamakha par le prestige de sa danse, soit qu'elle eût préféré le harem obscur du vieux Kaïmakam, elle aurait pu, désormais, obtenir une longue vie, et, comme les femmes des anciens patriarches, en voir tomber le crépuscule paisible dans une mort paisible et honorée. Mais elle aussi, elle avait fini par être infidèle aux dieux de la patrie. Elle s'en était défendue, elle s'était raidie, elle était tombée bravement victime de sa résistance: mais, enfin, il n'est que trop vrai, au fond du cœur elle avait faibli: elle avait aimé un Franc!
Quand Moreno raconta toute cette affaire à Assanoff, le Tatar civilisé en fut extrêmement ému; il ne dégrisa pas de huit jours, et on le rencontrai partout chantant la Marseillaise. Ensuite, il se calma.
II
L'ILLUSTRE MAGICIEN
Le derviche Bagher raconta un jour l'histoire suivante, sur l'autorité d'Abdy-Khan qui, lui-même, l'avait apprise de Loutfoullah Hindy, lequel la tenait de Riza-Bey, de Kirmanshah, et ce sont tous gens parfaitement connus et d'une véracité au-dessus de tout soupçon.
Il y a peu d'années, vivait, à Damghân, un jeune homme appelé Mirza-Kassem. C'était un excellent musulman. Marié depuis peu, il faisait bon ménage avec sa charmante femme. Il ne buvait ni vin ni eau-de-vie, de sorte que jamais le voisinage n'entendait de bruit du côté où il demeurait; circonstance, soit dit en passant, qui devrait être plus commune chez des peuples éclairés de la lumière de l'Islam; mais Dieu arrange les choses comme il lui plaît! Mirza-Kassem n'étalait point de luxe, ni de dépenses extravagantes; il dépensait, d'une façon tout à fait convenable, une rente sise sur deux villages et les revenus d'une somme assez forte, confiée à des marchands respectables. Il n'exerçait aucune profession; et, n'ayant ambition aucune, ne se souciant pas de devenir un grand personnage, il s'était constamment refusé à se faire domestique. Ce n'est pas que son bon caractère connu ne lui eût valu, à plusieurs reprises, les propositions les plus séduisantes.
Ayant ainsi renoncé à devenir premier ministre, et, comme il faut pourtant qu'un homme s'occupe, il avait senti s'éveiller en lui une certaine curiosité pour les choses de l'intelligence. Dans sa jeunesse, après avoir quitté l'école, il avait appris de la théologie, dans ce beau collège neuf de Kâchan, où, sous de magnifiques ombrages, il avait écouté les doctes leçons de professeurs qui n'étaient pas sans mérite, et recueilli sur ses cahiers assez d'opinions diverses des meilleurs exégètes du Livre Saint. La jurisprudence aussi l'avait un moment attiré; mais, pourtant, ces connaissances diverses, pour vénérables qu'elles lui parussent, ne parlaient pas beaucoup à son imagination. De sorte, que, après avoir pris un plaisir modéré à des questions comme celle-ci: L'Imam Mehdy existe-t-il dans le monde avec ou sans conscience de lui même? il s'était retiré peu à peu de ces délices de la réflexion, et il menaçait de tomber dans une oisiveté assez morne, quand la fortune le mit en rapport avec un personnage qui exerça sur lui une influence décisive.
C'était un soir de Ramazan. Malheureusement, les fidèles observent rarement de façon très exacte le jeûne commandé par la loi dans ce temps consacré. Cependant, il faut aussi l'avouer, il n'est presque personne qui ne tienne à passer pour le faire, et, de cette façon, les apparences du moins sont sauvées. De sorte que ce sont précisément les hommes sans conscience qui ont mangé leur pilau, tout à l'aise, dans un coin, à l'heure ordinaire du déjeuner, qui, lorsque le soir arrive, sont les plus empressés à se plaindre de la faim qui ne les tourmente pas, de la faiblesse qui ne les envahit guère, et à appeler, avec les cris les plus suppliants, le coucher du soleil. Il faut remercier Dieu et son Prophète de ce que ce spectacle édifiant est abondamment fourni dans toutes les villes de l'Iran, à l'époque sainte.
Un soir donc, à la porte de la ville, Mirza-Kassem et une douzaine de ses amis étaient assis sur leurs talons, devant l'éventaire d'un marchand de melons, et ils attendaient le moment où le disque du soleil, déjà s'approchant de l'extrême bord de l'horizon, allait leur faire le plaisir de disparaître. La moitié au moins de ces réguliers et consciencieux personnages, dont le visage fleuri ne dénonçait pas les austérités, tenaient à la main le kalioun bien allumé, n'attendant que l'absorption de l'astre dans le commencement du crépuscule, pour fourrer dans leur bouche le bout de tuyau et s'envelopper d'un nuage de fumée.
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