Moll Flanders. Defoe Daniel
fut convaincue de félonie pour un petit vol à peine digne d'être rapporté: elle avait emprunté trois pièces de fine Hollande à un certain drapier dans Cheapside; les détails en sont trop longs à répéter, et je les ai entendus raconter de tant de façons que je puis à peine dire quel est le récit exact.
Quoiqu'il en soit, ils s'accordent tous en ceci, que ma mère plaida son ventre, qu'on la trouva grosse, et qu'elle eut sept mois de répit; après quoi on la saisit (comme ils disent) du premier jugement; mais elle obtint ensuite la faveur d'être déportée aux plantations, et me laissa, n'étant pas âgée de la moitié d'un an, et en mauvaises mains, comme vous pouvez croire.
Ceci est trop près des premières heures de ma vie pour que je puisse raconter aucune chose de moi, sinon par ouï-dire; il suffira de mentionner que je naquis dans un si malheureux endroit qu'il n'y avait point de paroisse pour y avoir recours afin de me nourrir dans ma petite enfance, et je ne peux pas expliquer le moins du monde comment on me fit vivre; si ce n'est qu'une parente de ma mère (ainsi qu'on me l'a dit) m'emmena avec elle, mais aux frais de qui, ou par l'ordre de qui, c'est ce dont je ne sais rien.
La première chose dont je puisse me souvenir, ou que j'aie pu jamais apprendre sur moi, c'est que j'arrivai à être mêlée dans une bande de ces gens qu'on nomme Bohémiens ou Égyptiens; mais je pense que je restai bien peu de temps parmi eux, car ils ne décolorèrent point ma peau, comme ils le font à tous les enfants qu'ils emmènent, et je ne puis dire comment je vins parmi eux ni comment je les quittai.
Ce fut à Colchester, en Essex, que ces gens m'abandonnèrent; et j'ai dans la tête la notion que c'est moi qui les abandonnai (c'est-à-dire que je me cachai et ne voulus pas aller plus loin avec eux), mais je ne saurais rien affirmer là-dessus. Je me rappelle seulement qu'ayant été prise par des officiers de la paroisse de Colchester, je leur répondis que j'étais venue en ville avec les Égyptiens, mais que je ne voulais pas aller plus loin avec eux, et qu'ainsi ils m'avaient laissée; mais où ils étaient allés, voilà ce que je ne savais pas; car, ayant envoyé des gens par le pays pour s'enquérir, il paraît qu'on ne put les trouver.
J'étais maintenant en point d'être pourvue; car bien que je ne fusse pas légalement à la charge de la paroisse pour telle au telle partie de la ville, pourtant, dès qu'on connut ma situation et qu'on sut que j'étais trop jeune pour travailler, n'ayant pas plus de trois ans d'âge, la pitié émut les magistrats de la ville, et ils décidèrent de me prendre sous leur garde, et je devins à eux tout comme si je fusse née dans la cité.
Dans la provision qu'ils firent pour moi, j'eus la chance d'être mise en nourrice, comme ils disent, chez une bonne femme qui était pauvre, en vérité, mais qui avait connu de meilleurs jours, et qui gagnait petitement sa vie en élevant des enfants tels qu'on me supposait être, et en les entretenant en toutes choses nécessaires jusqu'à l'âge où l'on pensait qu'ils pourraient entrer en service ou gagner leur propre pain.
Cette bonne femme avait aussi une petite école qu'elle tenait pour enseigner aux enfants à lire et à coudre; et ayant, comme j'ai dit, autrefois vécu en bonne façon, elle élevait les enfants avec beaucoup d'art autant qu'avec beaucoup de soin.
Mais, ce qui valait tout le reste, elle les élevait très religieusement aussi, étant elle-même une femme bien sobre et pieuse, secondement bonne ménagère et propre, et troisièmement de façons et mœurs honnêtes. Si bien qu'à ne point parler de la nourriture commune, du rude logement et des vêtements grossiers, nous étions élevés aussi civilement qu'à la classe d'un maître de danse.
Je continuai là jusqu'à l'âge de huit ans, quand je fus terrifiée par la nouvelle que les magistrats (je crois qu'on les nommait ainsi) avaient donné l'ordre de me mettre en service; je ne pouvais faire que bien peu de chose, où qu'on m'envoyât, sinon aller en course, ou servir de souillon à quelque fille de cuisine; et comme on me le répétait souvent, j'en pris une grande frayeur; car j'avais une extrême aversion à entrer en service, comme ils disaient, bien que je fusse si jeune; et je dis à ma nourrice que je croyais pouvoir gagner ma vie sans entrer en service, si elle voulait bien me le permettre; car elle m'avait appris à travailler de mon aiguille et à filer de la grosse laine, qui est la principale industrie de cette ville, et je lui dis que si elle voulait bien me garder, je travaillerais bien fort.
Je lui parlais presque chaque jour de travailler bien fort et, en somme, je ne faisais que travailler et pleurer tout le temps, ce qui affligea tellement l'excellente bonne femme qu'enfin elle se mit à s'inquiéter de moi: car elle m'aimait beaucoup.
Là-dessus, un jour, comme elle entrait dans la chambre où tous les pauvres enfants étaient au travail, elle s'assit juste en face de moi; non pas à sa place habituelle de maîtresse mais comme si elle se disposait à dessein pour m'observer et me regarder travailler; j'étais en train de faire un ouvrage auquel elle m'avait mise, et je me souviens que c'était à marquer des chemises; et après un temps elle commença de me parler:
– Petite sotte, dit-elle, tu es toujours à pleurer (et je pleurais alors), dis-moi pourquoi tu pleures.
– Parce qu'ils vont m'emmener, dis-je, et me mettre en service, et je ne peux pas faire le travail de ménage.
– Eh bien, mon enfant, dit-elle, il est possible que tu ne puisses pas faire le travail de ménage, mais tu l'apprendras plus tard, et on ne te mettra pas au gros ouvrage tout de suite.
– Si, on m'y mettra, dis-je, et si je ne peux pas le faire, on me battra, et les servantes me battront pour me faire faire le gros ouvrage, et je ne suis qu'une petite fille, et je ne peux pas le faire!
Et je me remis à pleurer jusqu'à ne plus pouvoir parler.
Ceci émut ma bonne nourrice maternelle; si bien qu'elle résolut que je n'entrerais pas encore en condition; et elle me dit de ne pas pleurer, et qu'elle parlerait à M. le maire et que je n'entrerais en service que quand je serais plus grande.
Eh bien, ceci ne me satisfit pas; car la seule idée d'entrer en condition était pour moi une chose si terrible que si elle m'avait assuré que je n'y entrerais pas avant l'âge de vingt ans, cela aurait été entièrement pareil pour moi; j'aurais pleuré tout le temps, rien qu'à l'appréhension que la chose finirait par arriver.
Quand elle vit que je n'étais pas apaisée, elle se mit en colère avec moi:
– Et que veux-tu donc de plus, dit-elle, puisque je te dis que tu n'entreras en service que quand tu seras plus grande?
– Oui, dis-je, mais il faudra tout de même que j'y entre, à la fin.
– Mais quoi, dit-elle, est-ce que cette fille est folle? Quoi, tu veux donc être une dame de qualité?
– Oui, dis-je, et je pleurai de tout mon cœur, jusqu'à éclater encore en sanglots.
Ceci fit rire la vieille demoiselle, comme vous pouvez bien penser.
– Eh bien, madame, en vérité, dit-elle, en se moquant de moi, vous voulez donc être une dame de qualité, et comment ferez-vous pour devenir dame de qualité? est-ce avec le bout de vos doigts?
– Oui, dis-je encore innocemment.
– Mais voyons, qu'est-ce que tu peux gagner, dit-elle; qu'est-ce que tu peux gagner par jour en travaillant?
– Six sous, dis-je, quand je file, et huit sous quand je couds du gros linge.
– Hélas! pauvre dame de qualité, dit-elle encore en riant, cela ne te mènera pas loin.
– Cela me suffira, dis-je, si vous voulez bien me laisser vivre avec vous.
Et je parlais d'un si pauvre ton suppliant que j'étreignis le cœur de la bonne femme, comme elle me dit plus tard.
– Mais, dit-elle, cela ne suffira pas à te nourrir et à t'acheter des vêtements; et qui donc achètera des robes pour la petite dame de qualité? dit-elle.
Et elle me souriait tout le temps.
– Alors je travaillerai plus dur, dis-je, et je vous donnerai tout l'argent.
– Mais, mon pauvre enfant, cela ne suffira pas, dit-elle; il y aura à peine de quoi te fournir d'aliments.
– Alors