David Copperfield – Tome I. Чарльз Диккенс
au monde qu'au feu. Je crois même qu'elle était jalouse de la casserole, et j'ai quelque soupçon qu'elle lui en voulait de lui cacher le feu pour faire cuire mon oeuf et frire mon lard, car je la vis me montrer le poing quand tout le monde avait le dos tourné, pendant ces opérations culinaires. Le soleil entrait par la petite fenêtre, mais elle lui tournait le dos, et, assise dans sa grande chaise qui tournait aussi le dos au soleil, elle semblait couver le feu comme pour lui tenir chaud, au lieu de s'y chauffer elle-même, et elle le surveillait d'un oeil méfiant. Lorsqu'elle vit que les préparatifs de mon déjeuner touchaient à leur terme et que le feu allait enfin être délivré, elle éclata de rire dans sa joie, et je dois dire que son rire était loin d'être mélodieux.
Je m'assis en face de mon pain de seigle, de mon oeuf, de ma tranche de lard, auxquels s'était ajoutée une jatte de lait, et je fis un repas délicieux. J'étais encore à l'oeuvre, lorsque la vieille femme qui habitait la maison, dit au maître d'études:
«Avez-vous votre flûte sur vous?
– Oui, répondit-il.
– Jouez-en donc un petit air, dit la vieille femme; d'un ton suppliant. Je vous en prie.»
Le maître d'études mit la main sous les pans de son habit, et sortit les trois morceaux d'une flûte qu'il remonta, puis il se mit immédiatement à jouer. Mon opinion, après bien des années de réflexions, c'est que personne au monde n'a jamais pu jouer aussi mal. Il en tirait les sons les plus épouvantables que j'aie entendus, naturels ou artificiels. Je ne sais quel air il jouait, si tant est que ce fussent des airs, ce dont je doute, mais le résultat de cette mélodie fut primo, de me faire songer à toutes mes peines, au point de me faire venir les larmes aux yeux; secondo, de m'ôter complètement l'appétit, et tertio, de me donner une telle envie de dormir que je ne pouvais tenir mes yeux ouverts. Le seul souvenir de cette musique m'assoupit encore. Je revois la petite chambre avec l'armoire du coin entr'ouverte, les chaises au dossier perpendiculaire, et le petit escalier à pic qui conduisait à une autre petite chambre au premier, enfin les trois plumes de paon qui ornaient le manteau de la cheminée; je me souviens, qu'en entrant, je me demandais si le paon serait bien flatté de voir ses belles plumes condamnées à cet emploi, mais tout cela disparaît peu à peu devant moi, ma tête se penche, je dors. La flûte ne se fait plus entendre, c'est le son des roues qui retentit à mon oreille; je suis en voyage; la diligence s'arrête, je me réveille en sursaut, et voilà de nouveau la flûte; le maître d'études de Salem-House en joue d'un air lamentable, et la vieille femme l'écoute avec ravissement. Mais elle disparaît à son tour, puis il disparaît aussi, enfin tout disparaît, il n'y a plus ni de flûte, ni de maître d'études, ni de Salem-House, ni de David Copperfield, il n'y a qu'un profond sommeil.
Je rêvais probablement, lorsque je crus voir, tandis qu'il soufflait dans cette épouvantable flûte, la vieille maîtresse du logis qui s'était approchée de lui dans son enthousiasme, se pencher tout d'un coup sur le dossier de sa chaise, et prendre sa tête dans ses bras pour l'embrasser; un instant la flûte s'arrêta. J'étais apparemment entre la veille et le sommeil, alors et quelque temps après, car, lorsqu'il recommença à jouer, (ce qu'il y a de sûr c'est qu'il s'était interrompu un instant), je vis et j'entendis la susdite vieille femme demander à mistress Fibbitson si ce n'était pas délicieux (en parlant de la flûte), à quoi mistress Fibbitson répondit, «oui, oh oui!» et se pencha vers le feu, auquel elle rapportait, j'en suis sûr tout l'honneur de cette jolie musique.
Il y avait déjà longtemps que j'étais endormi, je crois, lorsque le maître d'études de Salem-House démonta sa flûte, mit dans sa poche les trois pièces qui la composaient, et m'emmena. Nous trouvâmes la diligence tout près de là, et nous montâmes sur l'impériale, mais j'avais tellement envie de dormir que, lorsqu'on s'arrêta sur la route pour prendre d'autres voyageurs, on me mit dans l'intérieur où il n'y avait personne, et là je dormis profondément, jusqu'à une longue montée que les chevaux gravirent au pas entre de grands arbres. Bientôt la diligence s'arrêta; elle avait atteint sa destination.
Après quelques minutes de marche, nous arrivâmes, le maître d'études et moi, à Salem-House; un grand mur de briques formait l'enceinte, et le tout avait l'air fort triste. Sur une porte pratiquée dans le mur était placé un écriteau où on lisait: Salem-House. Nous vîmes bientôt paraître, à une petite ouverture près de la porte, un visage maussade, qui appartenait à ce que je vis, lorsque la porte nous fut ouverte, à un gros homme, avec un cou énorme comme celui d'un taureau, une jambe de bois, un front bombé, et des cheveux coupés ras tout autour de la tête.
«C'est le nouvel élève,» dit le maître d'études.
L'homme à la jambe de bois m'examina de la tête aux pieds, ce qui ne fut pas long, car je n'étais pas bien grand, puis il referma la porte derrière nous, et prit la clef. Nous nous dirigions vers la maison, au milieu de grands arbres au feuillage sombre, quand il appela mon conducteur.
«Holà!»
Nous nous retournâmes; il était debout à la porte de la petite loge, où il demeurait, une paire de bottes à la main.
«Dites donc! le savetier est venu depuis que vous êtes sorti, monsieur Mell, et il dit qu'il ne peut plus du tout les raccommoder. Il prétend qu'il ne reste pas un seul morceau de la botte primitive, et qu'il ne comprend pas que vous puissiez lui demander de les réparer.»
En parlant ainsi il jeta les bottes devant M. Mell, qui retourna quelques pas en arrière pour les ramasser, et qui les regarda de l'air le plus lamentable, en venant me retrouver. J'observai alors, pour la première fois, que les bottes qu'il portait étaient fort usées, et qu'il y avait même un endroit par où son bas sortait, comme un bourgeon qui veut percer l'écorce?
Salem-House était un bâtiment carré bâti en briques avec deux pavillons sur les ailes, le tout d'une apparence nue et désolée. Tout ce qui l'entourait était si tranquille que je dis à M. Mell que probablement les élèves étaient en promenade, mais il parut surpris de ce que je ne savais pas qu'on était en vacances, et que tous les élèves étaient chez leurs parents, M. Creakle, le maître de pension, était au bord de la mer avec Mme et miss Creakle, et quant à moi, on m'envoyait en pension durant les vacances pour me punir de ma mauvaise conduite, comme il me l'expliqua tout du long en chemin.
Il me mena dans la salle d'études; jamais je n'avais vu un lieu si déplorable ni si désolé. Je la revois encore à l'heure qu'il est. Une longue chambre, avec trois longues rangées de bancs et des champignons pour accrocher les chapeaux et les ardoises. Des fragments de vieux cahiers et de thèmes déchirés jonchent le plancher. Il y en a d'autres sur les pupitres qui ont servi à loger des vers à soie. Deux malheureuses petites souris blanches, abandonnées par leur propriétaire, parcourent du haut en bas une fétide petite forteresse construite en carton et en fil de fer, et leurs petits yeux rouges cherchent dans tous les coins quelque chose à manger. Un oiseau, enfermé dans une cage à peine plus grande que lui, fait de temps à autre un bruit monotone, en sautant sur son perchoir, de deux pouces de haut, ou en redescendant, sur son plancher, mais il ne chante ni ne siffle. Par toute la chambre, il règne une odeur malsaine, composé étrange, à ce qu'il me semble, de cuir pourri, de pommes renfermées et de livres moisis. Il ne saurait y avoir plus d'encre répandue dans toute cette pièce, lors même que les architectes auraient oublié d'y mettre une toiture, et que, pendant toute l'année, le ciel y aurait fait pleuvoir, neiger, ou grêler de l'encre.
M. Mell me quitta un moment, pour remonter ses bottes irréparables; je m'avançai timidement vers l'autre bout de la chambre, tout en observant ce que je viens de décrire. Tout à coup j'arrivai devant un écriteau en carton, posé sur un pupitre; on y lisait ces mots écrits en grosses lettres: «Prenez garde. Il mord.»
Je grimpai immédiatement sur le pupitre, persuadé que dessous il y avait au moins un gros chien. Mais j'avais beau regarder tout autour de moi avec inquiétude, je ne l'apercevais pas. J'étais encore absorbé dans cette recherche, lorsque M. Mell revint, et me demanda ce que je faisais là-haut.
«Je vous demande bien pardon, monsieur, mais je regarde où est le chien.
– Le chien! dit-il, quel chien?
– N'est-ce pas un chien, monsieur?
– Quoi?