David Copperfield – Tome I. Чарльз Диккенс
et quand j'y réfléchis, je comprends que ce soit là ce qui me frappa d'abord, comme ce qu'il y avait chez lui de plus remarquable.
«Voyons, dit M. Creakle. Qu'avez-vous à m'apprendre sur cet enfant?
– Rien encore, répartit l'homme à la jambe de bois. Il n'y a pas eu d'occasion.»
Il me sembla que M. Creakle était désappointé. Il me sembla que mistress Creakle et sa fille (que je venais de regarder pour la première fois, et qui étaient maigres et silencieuses à l'envi l'une de l'autre), n'étaient pas désappointées.
«Venez ici, monsieur! dit M. Creakle en me faisant signe de la main.
– Venez ici! dit l'homme à la jambe de bois en répétant le geste de M. Creakle.
– J'ai l'honneur de connaître votre beau-père, murmura M. Creakle en m'empoignant par l'oreille. C'est un digne homme, un homme énergique. Il me connaît, et moi je le connais. Me connaissez- vous, vous? hein! dit M. Creakle en me pinçant l'oreille avec un enjouement féroce.
– Pas encore, monsieur! dis-je tout en gémissant.
– Pas encore? hein? répéta M. Creakle. Cela viendra, hein?
– Cela viendra! hein?» répéta l'homme à la jambe de bois.
Je découvris plus tard que son timbre retentissant lui procurait l'honneur de servir d'interprète à M. Creakle auprès de ses élèves.
J'étais horriblement effrayé et je me contentai de dire que je l'espérais bien. Mais tout en parlant, je me sentais l'oreille tout en feu, il la pinçait si fort!
«Je vais vous dire ce que je suis, murmura M. Creakle en lâchant enfin mon oreille, mais après l'avoir tordue de façon à me faire venir les larmes aux yeux. Je suis un Tartare.
– Un Tartare, dit l'homme à la jambe de bois.
– Quand je dis que je ferai une chose, je la fais, dit M. Creakle, et quand je dis qu'il faut faire une chose, je veux qu'on la fasse.
– Qu'il faut faire une chose, je veux qu'on la fasse, répéta l'homme à la jambe de bois.
– Je suis un caractère décidé, dit M. Creakle. Voilà ce que je suis. Je fais mon devoir, voilà ce que je fais. Quand ma chair et mon sang (il se tourna vers mistress Creakle), quand ma chair et mon sang se révoltent contre moi, ce n'est plus ma chair et mon sang; je les renie. Cet individu a-t-il reparu? demanda-t-il à l'homme à la jambe de bois.
– Non, répondit-il.
– Non? dit M. Creakle. Il a bien fait. Il me connaît, qu'il se tienne à l'écart. Je dis qu'il se tienne à l'écart, dit M. Creakle en tapant sur la table et en regardant mistress Creakle, car il me connaît. Vous devez commencer aussi à me connaître, mon petit ami. Vous pouvez vous en aller. Emmenez-le.
J'étais bien content qu'il me renvoyât, car mistress Creakle et miss Creakle s'essuyaient les yeux, et je souffrais autant pour elles que pour moi. Mais j'avais à lui adresser une pétition qui avait pour moi tant d'intérêt que je ne pus m'empêcher de lui dire, tout en admirant mon courage:
«Si vous vouliez bien, monsieur.»
M. Creakle murmura: «Hein? Qu'est-ce que ceci veut dire? et baissa les yeux sur moi, comme s'il avait envie de me foudroyer d'un regard.
– Si vous vouliez bien, monsieur, balbutiai-je, si je pouvais (je suis bien fâché de ce que j'ai fait, monsieur) ôter cet écriteau avant le retour des élèves.
Je ne sais si M. Creakle eut vraiment envie de sauter sur moi, ou s'il avait seulement l'intention de m'effrayer, mais il s'élança hors de son fauteuil et je m'enfuis comme un trait, sans attendre l'homme à la jambe de bois; je ne m'arrêtai que dans le dortoir, où je me fourrai bien vite dans mon lit, où je restai à trembler, pendant plus de deux heures.
Le lendemain matin M. Sharp revint. M. Sharp était le second de M. Creakle, le supérieur de M. Mell. M. Mell prenait ses repas avec les élèves, mais M. Sharp dînait et soupait à la table de M. Creakle. C'était un petit monsieur à l'air délicat, avec un très-grand nez; il portait sa tête de côté, comme si elle était trop lourde pour lui. Ses cheveux étaient longs et ondulés, mais j'appris par le premier élève qui revint, que c'était une perruque (une perruque d'occasion, me dit-il), et que M. Sharp sortait tous les samedis pour la faire boucler.
Ce fut Tommy Traddles qui me donna ce renseignement, il revint le premier. Il se présenta à moi en m'informant que je trouverais son nom au coin de la grille à droite, au devant du grand verrou; je lui dis: «Traddles,» à quoi il me répondit «lui-même,» puis il me demanda une foule de détails sur moi et sur ma famille.
Ce fut très-heureux pour moi que Traddles revint le premier. Mon écriteau l'amusa tellement, qu'il m'épargna l'embarras de le montrer ou de le dissimuler, en me présentant à tous les élèves immédiatement après leur arrivée. Qu'ils fussent grands ou petits, il leur criait: «Venez vite! voilà une bonne farce!» Heureusement aussi, la plupart des enfants revenaient tristes et abattus, et moins disposés à rire à mes dépens, que je ne l'avais craint. Il y en avait bien quelques-uns qui sautaient autour de moi comme des sauvages, et il n'y en avait à peu près aucun qui sût résister à la tentation de faire comme si j'étais un chien dangereux: ils venaient me caresser et me cajoler comme si j'étais sur le point de les mordre, puis ils disaient: «À bas, monsieur!» et ils m'appelaient «Castor.» C'était naturellement fort ennuyeux pour moi, au milieu de tant d'étrangers, et cela me coûta bien des larmes, mais à tout prendre, j'avais redouté pis.
On ne me regarda comme positivement admis dans la pension, qu'après l'arrivée de F. Steerforth. On m'amena devant lui comme devant mon juge: il avait la réputation d'être très-instruit, et il était très-beau garçon: il avait au moins six ans plus que moi. Il s'enquit, sous un petit hangar dans la cour, des détails de mon châtiment, et voulut bien déclarer que selon lui, «c'était une fameuse infamie,» ce dont je lui sus éternellement gré.
«Combien d'argent avez-vous, Copperfield? me dit-il tout en se promenant avec moi, une fois mon jugement prononcé.
Je lui dis que j'avais sept shillings.
«Vous feriez mieux de me les donner, dit-il. Je vous les garderais; si cela vous plaît, toutefois: autrement, n'en faites rien.»
Je me hâtai d'obéir à cette amicale proposition, et je versai dans la main de Steerforth tout le contenu de la bourse de Peggotty.
– Voulez-vous en dépenser quelque chose maintenant? dit Steerforth. Qu'en pensez-vous?
– Non, merci, répondis-je.
– Mais c'est très-facile, si vous en avez envie? dit Steerforth, vous n'avez qu'à parler.
– Non, merci, monsieur, répétai-je.
– Peut-être auriez-vous eu envie d'acheter une bouteille de cassis, pour un ou deux shillings. Nous la boirions peu à peu, là- haut dans le dortoir, reprit Steerforth. Vous êtes de mon dortoir, à ce qu'il paraît.»
L'idée ne m'en était pas venue, mais je n'en dis pas moins: «oui, cela me convient tout à fait.
– Parfaitement dit Steerforth. Je parie que vous seriez enchanté d'acheter pour un shilling de biscuits aux amandes?»
Je répondis que cela me plaisait aussi.
«Et puis pour un ou deux shillings de gâteaux et de fruits? dit Steerforth, n'est-ce pas, petit Copperfield!»
Je souris parce qu'il souriait, mais malgré ça je ne savais trop qu'en penser.
«Bon! dit Steerforth, cela durera ce que ça pourra, après tout. Vous pouvez compter sur moi. Je sors quand cela me plaît, je passerai le tout en contrebande.» Et en même temps il mit l'argent dans sa poche, en me recommandant de ne pas m'inquiéter: il veillerait à ce que tout se passât bien.
Il tint parole, si on pouvait dire que tout se passât bien, lorsqu'au fond du coeur je sentais que c'était mal, que c'était faire un mauvais usage des deux demi-couronnes de ma mère; je conservai pourtant le morceau