La grande ombre. Артур Конан Дойл

La grande ombre - Артур Конан Дойл


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plus déterminé qu'il y eût dans le nord de l'Angleterre, car il avait commis au moins trois assassinats, et il y avait assez de preuves à sa charge pour le faire pendre dix fois.

      Vous voyez bien que je ne pouvais parler de mon adolescence sans vous raconter cet événement qui en fut l'incident le plus important.

      Mais je ne m'engagerai plus dans aucun sentier de traverse, car lorsque je songe à tout ce qui va se présenter, je vois bien que j'en aurai de reste à dire avant d'être arrivé à la fin.

      En effet, quand on n'a à conter que sa petite histoire particulière, il vous faut souvent tout le temps, mais quand on se trouve mêlé à de grands événements comme ceux dont j'aurai à parler, alors on éprouve une certaine difficulté, si l'on n'a pas fait une sorte d'apprentissage à arranger le tout bien à son gré.

      Mais j'ai la mémoire aussi bonne qu'elle fût jamais, Dieu merci, et je vais tâcher de faire mon récit aussi droit que possible.

      Ce fut cette aventure du cambrioleur qui fit naître l'amitié entre Jim, le fils du médecin, et moi.

      Il fut le coq de l'école dès le jour de son entrée, car moins d'une heure après, il avait jeté, à travers le grand tableau noir de la classe, Barton, qui en avait été le coq jusqu'à ce jour-là.

      Jim continuait à prendre du muscle et des os. Même à cette époque, il était carré d'épaules et de haute taille.

      Les propos courts et le bras long, il était fort sujet à flâner, son large dos contre le mur, et ses mains profondément enfoncées dans les poches de sa culotte.

      Je n'ai pas oublié sa façon d'avoir toujours un brin de paille au coin des lèvres, à lendroit même où il prit l'habitude de mettre plus tard le tuyau de sa pipe.

      Jim fut toujours le même pour le bien comme pour le mal depuis le premier jour où je fis connaissance avec lui.

      Ciel! comme nous avions de la considération pour lui!

      Nous n'étions que de petits sauvages, mais nous éprouvions le respect du sauvage devant la force.

      Il y avait là Tom Carndale, d'Appleby, qui savait composer des vers alcaïques aussi bien que des pentamètres et des hexamètres, et, cependant pas un n'eût donné une chiquenaude pour Tom.

      Willie Earnshaw savait toutes les dates depuis le meurtre dAbel, sur le bout du doigt, au point que les maîtres eux-mêmes s'adressaient à lui s'ils avaient des doutes, mais c'était un garçon à poitrine étroite, beaucoup trop long pour sa largeur, et à quoi lui servirent ses dates le jour où Jock Simons, de la petite troisième, le pourchassa jusqu'au bout du corridor à coups de boucle de ceinture.

      Ah! il ne fallait pas se conduire ainsi à l'égard de Jim Horscroft.

      Quelles légendes nous bâtissions sur sa force?

      N'était-ce pas lui qui avait enfoncé d'un coup de poing un panneau de chêne de la porte qui conduisait à la salle des jeux? N'était- ce pas lui qui, je jour où le grand Merridew avait conquis la balle, saisit à bras-le-corps et Merridew et la balle et atteignit le but en dépassant tous les adversaires au pas de course?

      Il nous paraissait déplorable qu'un gaillard de cette trempe se cassât la tête à propos de spondées et de dactyles, ou se préoccupât de savoir qui avait signé la Grande Charte.

      Lorsqu'il déclara en pleine classe que c'était le roi Alfred, nous autres, petits garçons, nous fûmes d'avis qu'il devait en être ainsi, et que peut-être Jim en savait plus long que l'homme qui avait écrit le livre.

      Ce fut cette aventure du cambrioleur qui attira son attention sur moi.

      Il me passa la main sur la tête. Il dit que j'étais un enragé petit diable, ce qui me gonfla d'orgueil pendant toute une semaine.

      Nous fûmes amis intimes pendant deux ans, malgré le fossé que les années creusaient entre nous, et bien que l'emportement ou l'irréflexion lui aient fait faire plus d'une chose qui m'ulcérait, je ne l'en aimais pas moins comme un frère, et je versai assez de larmes pour remplir la bouteille à l'encre, quand il partit pour Édimbourg afin d'y étudier la profession de son père.

      Je passai cinq ans encore chez Birtwhistle après cela, et quand j'en sortis, j'étais moi-même devenu le coq de l'école, car j'étais aussi sec, aussi nerveux qu'une lame de baleine, quoique je doive convenir que je n'atteignais pas au poids non plus qu'au développement musculaire de mon grand prédécesseur.

      Ce fut dans l'année du jubilé que je sortis de chez Birtwhistle.

      Ensuite je passai trois ans à la maison, à apprendre à soigner les bestiaux; mais les flottes et les armées étaient encore aux prises, et la grande ombre de Bonaparte planait toujours sur le pays.

      Pouvais-je deviner que moi aussi j'aiderais à écarter pour toujours ce nuage de notre peuple?

      II – LA COUSINE EDIE DEYEMOUTH

      Quelques années auparavant, alors que j'étais un tout jeune garçon, la fille unique du frère de mon père était venue nous faire une visite de cinq semaines.

      Willie Calder s'était établi à Eyemouth comme fabricant de filets de pêche, et il avait tiré meilleur parti du fil à tisser que nous n'étions sans doute destinés à faire des genêts et des landes sablonneuses de West Inch.

      Sa fille, Edie Calder, arriva donc en beau corsage rouge, coiffée d'un chapeau de cinq shillings et accompagnée d'une caisse d'effets, devant laquelle les yeux de ma mère lui sortirent de la tête comme ceux d'un crabe.

      C'était étonnant de la voir dépenser sans compter, elle qui n'était qu'une gamine.

      Elle donna au voiturier tout ce qu'il lui demanda, et en plus une belle pièce de deux pence, à laquelle il n'avait aucun droit.

      Elle ne faisait pas plus de cas de la bière au gingembre que si c'eût été de l'eau, et il lui fallait du sucre pour son thé, du beurre pour son pain, tout comme si elle avait été une Anglaise.

      Je ne faisais pas grand cas des jeunes filles en ce temps-là, car j'avais peine à comprendre dans quel but elles avaient été créées.

      Aucun de nous, chez Birtwhistle, n'avait beaucoup pensé à elles, mais les plus petits semblaient être les plus raisonnables, car quand les gamins commençaient à grandir, ils se montraient moins tranchants sur ce point.

      Quant à nous, les tout petits, nous étions tous d'un même avis: une créature qui ne peut pas se battre, qui passe son temps à colporter des histoires, et qui n'arrive même à lancer une pierre qu'en agitant le bras en l'air aussi gauchement que si c'était un chiffon, n'était bonne à rien du tout.

      Et puis il faut voir les airs qu'elles se donnent: on dirait qu'elles font le père et la mère en une seule personne, elles se mêlent sans cesse de nos jeux pour nous dire: « Jimmy, votre doigt de pied passe à travers votre soulier. » ou bien encore: « Rentrez chez vous, sale enfant, et allez vous laver » au point que rien qu'à les voir, nous en avions assez.

      Aussi quand celle-là vint à la ferme de West Inch, je ne fus pas enchanté de la voir.

      Nous étions en vacances.

      J'avais alors douze ans.

      Elle en avait onze.

      C'était une fillette mince, grande pour son âge, aux yeux noirs et aux façons les plus bizarres.

      Elle était tout le temps à regarder fixement devant elle, les lèvres entrouvertes, comme si elle voyait quelque chose d'extraordinaire, mais quand je me postais derrière elle, et que je regardais dans la même direction, je n'apercevais que l'abreuvoir des moutons ou bien le tas de fumier, ou encore les culottes de papa suspendues avec le reste du linge à sécher.

      Puis, si elle apercevait une touffe de bruyère ou de fougère, ou n'importe quel objet tout aussi commun, elle restait en contemplation.

      Elle s'écriait:

      – Comme c'est beau! comme c'est parfait!

      On eût dit que c'était un tableau en peinture.

      Elle


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