La grande ombre. Артур Конан Дойл

La grande ombre - Артур Конан Дойл


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femme plus dépensière.

      Mais ce qu'elle nous donna de meilleur, ce fut avant tout sa présence.

      Pour moi, cela changea entièrement l'aspect du paysage.

      Le soleil était plus brillant, les collines plus vertes et l'air plus doux depuis le jour de sa venue.

      Nos existences perdirent leur banalité, maintenant que nous les passions avec une telle créature, et la vieille et morne maison grise prit un tout autre aspect à mes yeux depuis le jour où elle avait posé le pied sur le paillasson de la porte.

      Cela ne tenait point à sa figure, qui pourtant était des plus attrayantes, non plus qu'à sa tournure, bien que je n'aie vu aucune jeune fille qui pût rivaliser en cela avec elle. C'était son entrain, ses façons drôlement moqueuses, sa manière toute nouvelle pour nous de causer, le geste fier avec lequel elle rejetait sa robe ou portait la tête en arrière.

      Nous nous sentions aussi bas que la terre sous ses pieds.

      C'était enfin ce vif regard de défi, et cette bonne parole qui ramenait chacun de nous à son niveau.

      Mais non, pas tout à fait à son niveau.

      Pour moi, elle fut toujours une créature lointaine et supérieure.

      J'avais beau me monter la tête et me faire des reproches.

      Quoi que je fisse, je n'arrivais pas à reconnaître que le même sang coulait dans nos veines et qu'elle n'était qu'une jeune campagnarde, comme je n'étais qu'un jeune campagnard.

      Plus je l'aimais, plus elle m'inspirait de crainte, et elle s'aperçut de ma crainte longtemps avant de savoir que je l'aimais.

      Quand j'étais loin d'elle, j'éprouvais de l'agitation, et pourtant lorsque je me trouvais avec elle, j'étais sans cesse à trembler de crainte que quelque faute commise en parlant ne lui causât de l'ennui ou ne la fâcha.

      Si j'en avais su plus long sur le caractère des femmes, je me serais peut-être donné moins de mal.

      – Vous êtes bien changé de ce que vous étiez autrefois, disait- elle en me regardant de côté par-dessous ses cils noirs.

      – Vous ne disiez pas cela lorsque nous nous sommes vus pour la première fois, dis-je.

      – Ah! je parlais alors de l'air que vous aviez, et je parle de vos manières d'aujourd'hui. Vous étiez si brutal avec moi et si impérieux, et vous ne vouliez faire qu'à votre tête, comme un petit homme que vous étiez. Je vous revois encore avec votre tignasse emmêlée et vos yeux pleins de malice. Et maintenant vous êtes si douce, si tranquille. Vous avez le langage si prévenant!

      – On apprend à se conduire, dis-je.

      – Oh! mais Jock, je vous aimais bien mieux comme vous étiez.

      Eh bien, quand elle dit cela, je la regardai bien en face, car jaurais cru qu'elle ne m'avait jamais bien pardonné la façon dont je la traitais d'ordinaire.

      Que ces façons là plussent à tout autre qu'à une personne évadée d'une maison de fous, voilà qui dépassait tout à fait mon intelligence.

      Je me rappelai le temps, où la surprenant sur le seuil en train de lire, je fixais au bout d'une baguette élastique de coudrier de petites boules d'argile, que je lui lançais, jusqu'à ce qu'elle finît par pleurer.

      Je me rappelai aussi qu'ayant pris une anguille dans le ruisseau de Corriemuir, je la poursuivis, cette anguille à la main, avec tant d'acharnement qu'elle finit par se réfugier, à moitié folle d'épouvante, sous le tablier de ma mère, et que mon père m'asséna sur le trou de l'oreille un coup de bâton à bouillie qui m'envoya rouler, avec mon anguille, jusque sous le dressoir de la cuisine.

      Voilà donc ce qu'elle regrettait?

      Eh bien, elle se résignerait à s'en passer, car ma main se sécherait avant que je sois capable de recommencer maintenant.

      Mais je compris alors pour la première fois, tout ce qu'il y a d'étrange dans la nature féminine, et je reconnus que l'homme ne doit point raisonner à ce propos, mais simplement se tenir sur ses gardes et tâcher de s'instruire.

      Nous nous trouvâmes enfin au même niveau, quand elle dit qu'elle n'avait qu'à faire ce qui lui plaisait et comme cela lui plaisait, et que j'étais aussi entièrement à ses ordres que le vieux Rob était docile à mon appel.

      Vous trouvez que j'étais bien sot de me laisser mettre ainsi la tête à l'envers.

      Je l'étais peut-être, mais il faut aussi vous rappeler combien j'avais peu l'habitude des femmes, et que nous nous rencontrions à chaque instant.

      En outre, on ne trouve pas une femme comme celle-là sur un million, et je puis vous garantir que celui-là aurait eu la tête solide, qui ne se la serait pas laissé mettre à l'envers par elle.

      Tenez, voilà le Major Elliott.

      C'était un homme qui avait enterré trois femmes et qui avait figuré dans douze batailles rangées.

      Eh bien! Edie aurait pu le rouler autour de son doigt comme un chiffon mouillé, elle qui sortait à peine de pension.

      Peu de temps après qu'elle fut venue, je le rencontrai, comme il quittait West Inch, toujours clopinant, mais le rouge aux joues, et avec une lueur dans l'oeil qui le rajeunissait de dix ans.

      Il tordait ses moustaches grises des deux côtés, de façon à en avoir les pointes presque dans les yeux, et il tendait sa bonne jambe avec autant de fierté qu'un joueur de cornemuse.

      Que lui avait-elle dit?

      Dieu le sait, mais cela avait fait dans ses veines autant d'effet que du vin vieux.

      – Je suis monté pour vous voir, mon garçon, dit-il, mais il faut que je rentre à la maison. Toutefois ma visite n'a pas été perdue, car elle m'a procuré l'occasion de voir la belle cousine, une jeune personne des plus charmantes, des plus attrayantes, mon garçon.

      Il avait une façon de parler un peu formaliste, un peu raide, et il se plaisait à intercaler dans ses propos quelques bouts de phrases françaises qu'il avait ramassés dans la Péninsule.

      Il aurait continué à me parler d'Edie, mais je voyais sortir de sa poche le coin d'un journal.

      Je compris alors qu'il était venu, selon son habitude, pour m'apporter quelques nouvelles.

      Il ne nous en arrivait guère à West Inch.

      – Qu'y a-t-il de nouveau, major? demandai je.

      Il tira le journal de sa poche et le brandit.

      – Les Alliés ont gagné une grande bataille, mon garçon, dit-il. Je ne crois pas que Nap tienne bien longtemps après cela. Les Saxons l'ont jeté par-dessus bord, et il a subi un rude échec à Leipzig. Wellington a franchi les Pyrénées et les soldats de Graham seront à Bayonne d'ici à peu de temps.

      Je lançai mon chapeau en l'air.

      – Alors la guerre finira par cesser? m'écriai je.

      – Oui, et il n'est que temps, dit-il en hochant la tête d'un air grave. Ça a fait verser bien du sang. Mais ce n'est guère la peine, maintenant, de vous dire ce que j'avais dans l'esprit à votre sujet.

      – De quoi s'agissait-il?

      – Eh bien, mon garçon, c'est que vous ne faites rien de bon ici, et maintenant que mon genou reprend un peu de souplesse, je pensais pouvoir rentrer dans le service actif. Je me demandais s'il ne vous plairait pas de voir un peu de la vie de soldat sous mes ordres.

      À cette pensée mon coeur bondit.

      – Ah! oui, je le voudrais! m'écriai-je.

      – Mais il se passera bien six mois avant que je sois en état de me présenter à l'examen médical, et il y a bien des chances pour que Boney soit mis en lieu sûr avant ce délai.

      – Puis il y a ma mère, dis-je. Je doute qu'elle me laisse partir.

      – Ah! Eh bien, on ne le lui demandera pas cette fois.

      Et


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