Le vicomte de Bragelonne, Tome I.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome I. - Dumas Alexandre


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par un geste tout aimable de sa main. L'officier sortit de la chambre du roi et revint se placer philosophiquement sur sa chaise, où, bien loin de s'endormir, comme on aurait pu le croire, vu l'heure avancée de la nuit, il se mit à réfléchir plus profondément qu'il n'avait jamais fait.

      Le résultat de ces réflexions ne fut point aussi triste que l'avaient été les réflexions précédentes.

      «Allons, il a commencé, dit-il; l'amour le pousse, il marche, il marche! Le roi est nul chez lui, mais l'homme vaudra peut-être quelque chose. D'ailleurs, nous verrons bien demain matin… Oh! oh! s'écria-t-il tout à coup en se redressant, voilà une idée gigantesque, mordioux! et peut-être ma fortune est-elle dans cette idée-là!»

      Après cette exclamation, l'officier se leva et arpenta, les mains dans les poches de son justaucorps, l'immense antichambre qui lui servait d'appartement.

      La bougie flambait avec fureur sous l'effort d'une brise fraîche qui, s'introduisant par les gerçures de la porte et par les fentes de la fenêtre, coupait diagonalement la salle. Elle projetait une lueur rougeâtre, inégale, tantôt radieuse, tantôt ternie, et l'on voyait marcher sur la muraille la grande ombre du lieutenant, découpée en silhouette comme une figure de Callot, avec l'épée en broche et le feutre empanaché.

      «Certes, murmurait-il, ou je me trompe fort, ou le Mazarin tend là un piège au jeune amoureux; le Mazarin a donné ce soir un rendez- vous et une adresse aussi complaisamment que l'eût pu faire M. Dangeau lui-même. J'ai entendu et je sais la valeur des paroles. «Demain matin, a-t-il dit, elles passeront à la hauteur du pont de Blois.» Mordioux! c'est clair, cela! et surtout pour un amant! C'est pourquoi cet embarras, c'est pourquoi cette hésitation, c'est pourquoi cet ordre: «Monsieur le lieutenant de mes mousquetaires, à cheval demain, à quatre heures du matin.» Ce qui est aussi clair que s'il m'eût dit: «Monsieur le lieutenant de mes mousquetaires, demain, à quatre heures du matin, au pont de Blois, entendez-vous?» Il y a donc là un secret d'État que moi, chétif, je tiens à l'heure qu'il est. Et pourquoi est-ce que je le tiens? Parce que j'ai de bons yeux, comme je le disais tout à l'heure à Sa Majesté. C'est qu'on dit qu'il l'aime à la fureur, cette petite poupée d'Italienne! C'est qu'on dit qu'il s'est jeté aux genoux de sa mère pour lui demander de l'épouser! C'est qu'on dit que la reine a été jusqu'à consulter la cour de Rome pour savoir si un pareil mariage, fait contre sa volonté, serait valable! Oh! si j'avais encore vingt-cinq ans! si j'avais là, à mes côtés, ceux que je n'ai plus! si je ne méprisais pas profondément tout le monde, je brouillerais M. de Mazarin avec la reine mère, la France avec l'Espagne, et je ferais une reine de ma façon; mais, bah!»

      Et le lieutenant fit claquer ses doigts en signe de dédain.

      «Ce misérable Italien, ce pleutre, ce ladre vert, qui vient de refuser un million au roi d'Angleterre, ne me donnerait peut-être pas mille pistoles pour la nouvelle que je lui porterais. Oh! mordioux! voilà que je tombe en enfance! voilà que je m'abrutis! Le Mazarin donner quelque chose, ha! ha! ha!»

      Et l'officier se mit à rire formidablement tout seul.

      «Dormons, dit-il, dormons, et tout de suite. J'ai l'esprit fatigué de ma soirée, demain il verra plus clair qu'aujourd'hui.»

      Et sur cette recommandation faite à lui-même, il s'enveloppa de son manteau, narguant son royal voisin.

      Cinq minutes après, il dormait les poings fermés, les lèvres entrouvertes, laissant échapper, non pas son secret, mais un ronflement sonore qui se développait à l'aise sous la voûte majestueuse de l'antichambre.

      Chapitre XIII – Marie de Mancini

      Le soleil éclairait à peine de ses premiers rayons les grands bois du parc et les hautes girouettes du château, quand le jeune roi, réveillé déjà depuis plus de deux heures, et tout entier à l'insomnie de l'amour, ouvrit son volet lui-même et jeta un regard curieux sur les cours du palais endormi.

      Il vit qu'il était l'heure convenue: la grande horloge de la cour marquait même quatre heures un quart.

      Il ne réveilla point son valet de chambre, qui dormait profondément à quelque distance; il s'habilla seul, et ce valet, tout effaré, arrivait, croyant avoir manqué à son service, lorsque Louis le renvoya dans sa chambre en lui recommandant le silence le plus absolu. Alors il descendit le petit escalier, sortit par une porte latérale, et aperçut le long du mur du parc un cavalier qui tenait un cheval de main.

      Ce cavalier était méconnaissable dans son manteau et sous son chapeau.

      Quant au cheval, sellé comme celui d'un bourgeois riche, il n'offrait rien de remarquable à l'oeil le plus exercé.

      Louis vint prendre la bride de ce cheval; l'officier lui tint l'étrier, sans quitter lui-même la selle, et demanda d'une voix discrète les ordres de Sa Majesté.

      – Suivez-moi, répondit Louis XIV.

      L'officier mit son cheval au trot derrière celui de son maître, et ils descendirent ainsi vers le pont.

      Lorsqu'ils furent de l'autre côté de la Loire:

      – Monsieur, dit le roi, vous allez me faire le plaisir de piquer devant vous jusqu'à ce que vous aperceviez un carrosse; alors vous reviendrez m'avertir; je me tiens ici.

      – Votre Majesté daignera-t-elle me donner quelques détails sur le carrosse que je suis chargé de découvrir?

      – Un carrosse dans lequel vous verrez deux dames et probablement aussi leurs suivantes.

      – Sire, je ne veux point faire d'erreur; y a-t-il encore un autre signe auquel je puisse reconnaître ce carrosse?

      – Il sera, selon toute probabilité, aux armes de M. le cardinal.

      – C'est bien, Sire, répondit l'officier, entièrement fixé sur l'objet de sa reconnaissance.

      Il mit alors son cheval au grand trot et piqua du côté indiqué par le roi. Mais il n'eut pas fait cinq cents pas qu'il vit quatre mules, puis un carrosse poindre derrière un monticule.

      Derrière ce carrosse en venait un autre. Il n'eut besoin que d'un coup d'oeil pour s'assurer que c'étaient bien là les équipages qu'il était venu chercher.

      Il tourna bride sur-le-champ, et se rapprochant du roi:

      – Sire, dit-il, voici les carrosses. Le premier, en effet, contient deux dames avec leurs femmes de chambre; le second renferme des valets de pied, des provisions, des hardes.

      – Bien, bien, répondit le roi d'une voix tout émue. Eh bien! allez, je vous prie, dire à ces dames qu'un cavalier de la cour désire présenter ses hommages à elles seules.

      L'officier partit au galop.

      – Mordioux! disait-il tout en courant, voilà un emploi nouveau et honorable, j'espère! Je me plaignais de n'être rien, je suis confident du roi. Un mousquetaire, c'est à en crever d'orgueil!

      Il s'approcha du carrosse et fit sa commission en messager galant et spirituel.

      Deux dames étaient en effet dans le carrosse: l'une d'une grande beauté, quoique un peu maigre; l'autre moins favorisée de la nature, mais vive, gracieuse, et réunissant dans les légers plis de son front tous les signes de la volonté. Ses yeux vifs et perçants, surtout, parlaient plus éloquemment que toutes les phrases amoureuses de mise en ces temps de galanterie. Ce fut à celle-là que d'Artagnan s'adressa sans se tromper, quoique, ainsi que nous l'avons dit, l'autre fût plus jolie peut-être.

      – Mesdames, dit-il, je suis le lieutenant des mousquetaires, et il y a sur la route un cavalier qui vous attend et qui désire vous présenter ses hommages.

      À ces mots, dont il suivait curieusement l'effet, la dame aux yeux noirs poussa un cri de joie, se pencha hors de la portière, et, voyant accourir le cavalier, tendit les bras en s'écriant:

      – Ah! mon cher Sire!

      Et les larmes jaillirent aussitôt de ses yeux. Le cocher arrêta ses chevaux, les femmes de chambre se levèrent avec confusion au fond du carrosse, et la seconde dame ébaucha une révérence terminée par le plus ironique sourire que


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