Le vicomte de Bragelonne, Tome I.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome I. - Dumas Alexandre


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qui tous pages, officiers et écuyers, quittèrent la serviette, le couteau, le gobelet, et firent vers la seconde chambre une retraite aussi rapide que désordonnée. Cette petite armée s'écarta en deux files lorsque Raoul de Bragelonne, précédé de M. de Saint-Remy, entra dans le réfectoire. Ce court moment de solitude dans lequel cette retraite l'avait laissé avait permis à Monseigneur de prendre une figure diplomatique. Il ne se retourna pas, et attendit que le maître d'hôtel eût amené en face de lui le messager.

      Raoul s'arrêta à la hauteur du bas-bout de la table, de façon à se trouver entre Monsieur et Madame. Il fit de cette place un salut très profond pour Monsieur, un autre très humble pour Madame, puis se redressa et attendit que Monsieur lui adressât la parole.

      Le prince, de son côté, attendait que les portes fussent hermétiquement fermées, il ne voulait pas se retourner pour s'en assurer, ce qui n'eût pas été digne; mais il écoutait de toutes ses oreilles le bruit de la serrure, qui lui promettait au moins une apparence de secret. La porte fermée, Monsieur leva les yeux sur le vicomte de Bragelonne et lui dit:

      – Il paraît que vous arrivez de Paris, monsieur?

      – À l'instant, monseigneur.

      – Comment se porte le roi?

      – Sa Majesté est en parfaite santé, monseigneur.

      – Et ma belle-soeur?

      – Sa Majesté la reine mère souffre toujours de la poitrine.

      Toutefois, depuis un mois, il y a du mieux.

      – Que me disait-on, que vous veniez de la part de M. le prince?

      On se trompait assurément.

      – Non, monseigneur. M. le prince m'a chargé de remettre à Votre

      Altesse Royale une lettre que voici, et j'en attends la réponse.

      Raoul avait été un peu ému de ce froid et méticuleux accueil; sa voix était tombée insensiblement au diapason de la voix basse. Le prince oublia qu'il était cause de ce mystère, et la peur le reprit.

      Il reçut avec un coup d'oeil hagard la lettre du prince de Condé, la décacheta comme il eût décacheté un paquet suspect, et, pour la lire sans que personne pût en remarquer l'effet produit sur sa physionomie, il se retourna.

      Madame suivait avec une anxiété presque égale à celle du prince chacune des manoeuvres de son auguste époux. Raoul, impassible, et un peu dégagé par l'attention de ses hôtes, regardait de sa place et par la fenêtre ouverte devant lui les jardins et les statues qui les peuplaient.

      – Ah! mais, s'écria tout à coup Monsieur avec un sourire rayonnant, voilà une agréable surprise et une charmante lettre de M. le prince! Tenez, madame.

      La table était trop large pour que le bras du prince joignît la main de la princesse; Raoul s'empressa d'être leur intermédiaire; il le fit avec une bonne grâce qui charma la princesse et valut un remerciement flatteur au vicomte.

      – Vous savez le contenu de cette lettre, sans doute? dit Gaston à

      Raoul.

      – Oui, monseigneur: M. le prince m'avait donné d'abord le message verbalement, puis Son Altesse a réfléchi et pris la plume.

      – C'est d'une belle écriture, dit Madame, mais je ne puis lire.

      – Voulez-vous lire à Madame, monsieur de Bragelonne, dit le duc.

      – Oui, lisez, je vous prie, monsieur.

      Raoul commença la lecture à laquelle Monsieur donna de nouveau toute son attention.

      La lettre était conçue en ces termes:

      «Monseigneur, Le roi part pour la frontière; vous aurez appris que le mariage de Sa Majesté va se conclure; le roi m'a fait l'honneur de me nommer maréchal des logis pour ce voyage, et comme je sais toute la joie que Sa Majesté aurait de passer une journée à Blois, j'ose demander à Votre Altesse Royale la permission de marquer de ma craie le château qu'elle habite.

      Si cependant l'imprévu de cette demande pouvait causer à Votre Altesse Royale quelque embarras, je la supplierai de me le mander par le messager que j'envoie, et qui est un gentilhomme à moi, M. le vicomte de Bragelonne. Mon itinéraire dépendra de la résolution de Votre Altesse Royale, et au lieu de prendre par Blois, j'indiquerai Vendôme ou Romorantin. J'ose espérer que Votre Altesse Royale prendra ma demande en bonne part, comme étant l'expression de mon dévouement sans bornes et de mon désir de lui être agréable.»

      – Il n'est rien de plus gracieux pour nous, dit Madame, qui s'était consultée plus d'une fois pendant cette lecture dans les regards de son époux. Le roi ici! s'écria-t-elle un peu plus haut peut-être qu'il n'eût fallu pour que le secret fût gardé.

      – Monsieur, dit à son tour Son Altesse, prenant la parole, vous remercierez M. le prince de Condé, et vous lui exprimerez toute ma reconnaissance pour le plaisir qu'il me fait.

      Raoul s'inclina.

      – Quel jour arrive Sa Majesté? continua le prince.

      – Le roi, monseigneur, arrivera ce soir, selon toute probabilité.

      – Mais comment alors aurait-on su ma réponse, au cas où elle eût été négative?

      – J'avais mission, monseigneur, de retourner en toute hâte à Beaugency pour donner contrordre au courrier, qui fût lui-même retourné en arrière donner contrordre à M. le prince.

      – Sa Majesté est donc à Orléans?

      – Plus près, monseigneur: Sa Majesté doit être arrivée à Meung en ce moment.

      – La cour l'accompagne?

      – Oui, monseigneur.

      – À propos, j'oubliais de vous demander des nouvelles de M. le cardinal.

      – Son Éminence paraît jouir d'une bonne santé, monseigneur.

      – Ses nièces l'accompagnent sans doute?

      – Non, monseigneur; Son Éminence a ordonné à Mlles de Mancini de partir pour Brouage. Elles suivent la rive gauche de la Loire pendant que la cour vient par la rive droite.

      – Quoi! Mlle Marie de Mancini quitte aussi la cour? demanda

      Monsieur, dont la réserve commençait à s'affaiblir.

      – Mlle Marie de Mancini surtout, répondit discrètement Raoul.

      Un sourire fugitif, vestige imperceptible de son ancien esprit d'intrigues brouillonnes, éclaira les joues pâles du prince.

      – Merci, monsieur de Bragelonne, dit alors Monsieur; vous ne voudrez peut-être pas rendre à M. le prince la commission dont je voudrais vous charger, à savoir que son messager m'a été fort agréable; mais je le lui dirai moi-même. Raoul s'inclina pour remercier Monsieur de l'honneur qu'il lui faisait.

      Monseigneur fit un signe à Madame, qui frappa sur un timbre placé à sa droite.

      Aussitôt M. de Saint-Remy entra, et la chambre se remplit de monde.

      – Messieurs, dit le prince, Sa Majesté me fait l'honneur devenir passer un jour à Blois; je compte que le roi, mon neveu, n'aura pas à se repentir de la faveur qu'il fait à ma maison.

      – Vive le roi! s'écrièrent avec un enthousiasme frénétique les officiers de service, et M. de Saint-Remy avant tous.

      Gaston baissa la tête avec une sombre tristesse; toute sa vie, il avait dû entendre ou plutôt subir ce cri de: «Vive le roi!» qui passait au-dessus de lui. Depuis longtemps, ne l'entendant plus, il avait reposé son oreille, et voilà qu'une royauté plus jeune, plus vivace, plus brillante, surgissait devant lui comme une nouvelle, comme une plus douloureuse provocation.

      Madame comprit les souffrances de ce coeur timide et ombrageux; elle se leva de table, Monsieur l'imita machinalement, et tous les serviteurs, avec un bourdonnement semblable à celui des ruches, entourèrent Raoul pour le questionner.

      Madame


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