La San-Felice, Tome 09. Dumas Alexandre

La San-Felice, Tome 09 - Dumas Alexandre


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qu'une fiction de légalité.

      Cette junte d'État fut chargée de juger, c'est-à-dire de condamner extraordinairement et sans appel,

      A MORT:

      Tous ceux qui avaient enlevé, des mains du gouverneur Ricciardo Brandi, le château Saint-Elme, – Nicolino Caracciolo en tête, bien entendu;

      (Par bonheur, Nicolino Caracciolo, qui avait reçu mission de Salvato de sauver l'amiral Caracciolo, étant arrivé à la ferme le jour même de son arrestation, et ayant appris la trahison du fermier, n'avait point perdu un instant, s'était jeté dans la campagne et était venu se mettre sous la protection du commandant français de Capoue, le colonel Giraldon.)

      Tous ceux qui avaient aidé les Français à entrer à Naples;

      Tous ceux qui avaient pris les armes contre les lazzaroni;

      Tous ceux qui, après l'armistice, avaient conservé des relations avec les Français;

      Tous les magistrats de la République;

      Tous les représentants du gouvernement;

      Tous les représentants du peuple;

      Tous les ministres;

      Tous les généraux;

      Tous les juges de la haute commission militaire;

      Tous les juges du tribunal révolutionnaire;

      Tous ceux qui avaient combattu contre les armées du roi;

      Tous ceux qui avaient renversé la statue de Charles III;

      Tous ceux qui, à la place de cette statue, avaient planté l'arbre de la liberté;

      Tous ceux qui, sur la place du Palais, avaient coopéré ou même simplement assisté à la destruction des emblèmes de la royauté et des bannières bourboniennes ou anglaises;

      Enfin, tous ceux qui, dans leurs écrits ou dans leurs discours, s'étaient servis de termes offensants pour la personne du roi, de la reine, ou des membres de la famille royale.

      C'étaient à peu près quarante mille citoyens menacés de mort par une seule et même ordonnance.

      Les dispositions plus douces, c'est-à-dire celles qui n'emportaient que la condamnation à l'exil, menaçaient à peu près soixante mille personnes.

      C'était plus du quart de la population de Naples.

      Cette occupation, que le roi regardait comme pressée avant toutes, lui prit toute la journée du 9.

      Le 10 au matin, la frégate la Sirène quitta le port de Procida et fit voile vers le Foudroyant.

      A peine le roi eut-il mis le pied sur le pont, que le Foudroyant, au coup de sifflet du contre-maître, se pavoisa comme pour une fête, et que l'on entendit les premières détonations d'une salve de trente et un coups de canon.

      Le bruit s'était déjà répandu que le roi était à Procida; la canonnade partie des flancs du Foudroyant apprit au peuple qu'il était à bord du vaisseau amiral.

      Aussitôt, une foule immense accourut sur la plage de Chiaïa, de Santa-Lucia et de Marinella. Une multitude de barques, ornées de bannières de toutes couleurs, sortirent du port, ou plutôt se détachèrent de la rive et voguèrent vers l'escadre anglaise pour saluer le roi et lui souhaiter la bienvenue. En ce moment, et pendant que le roi était sur le pont, regardant, avec une longue-vue, le château Saint-Elme, contre lequel, en l'honneur de son arrivée, sans doute, le canon anglais faisait rage, un boulet anglais coupa, par hasard, la hampe du drapeau français arboré sur la forteresse, comme si les assiégeants eussent calculé ce moment pour donner au roi ce spectacle, qu'il regarda comme un heureux présage.

      Et, en effet, au lieu que ce fût la bannière tricolore qui reparût, ce fut la bannière blanche, c'est-à-dire le drapeau parlementaire.

      L'apparition inattendue de ce symbole de paix, qui semblait ménagée pour l'arrivée du roi, produisit un effet magique sur tous les assistants, qui éclatèrent en hourras et en applaudissements, tandis que les canons du château de l'Oeuf, du Château-Neuf et du château del Carmine répondaient joyeusement aux salves parties des flancs du vaisseau amiral anglais.

      Et, à propos de la chute de cette bannière, qu'on nous permette d'emprunter quelques lignes à Dominique Sacchinelli, l'historien du cardinal: elles sont assez curieuses pour trouver place ici, n'interrompant d'ailleurs aucunement notre récit.

      «Consacrons, dit-il, un paragraphe aux singuliers accidents du hasard, qui eurent lieu pendant cette révolution.

      »Le 23 janvier, un boulet lancé par les jacobins de Saint-Elme, coupa la lance de la bannière royale qui flottait sur le Château-Neuf, et sa chute détermina l'entrée des troupes françaises à Naples.

      »Le 22 mars, un obus fait tomber du château de Cotrone la bannière républicaine, et cet accident, considéré comme un miracle, amène la révolte de la garnison contre les patriotes et facilite aux royalistes l'occupation du château.

      »Enfin, le 10 juillet, la chute de la bannière française, déployée au-dessus du château Saint-Elme, amène la capitulation de ce fort.

      »Et, ajoute l'historien, celui qui voudrait confronter les dates verrait que tous ces accidents, de même que les plus importants qui eurent lieu pendant l'entreprise du cardinal Ruffo, eurent lieu des vendredis.»

      Détournons les yeux du château Saint-Elme, où nous aurons plus d'une fois encore l'occasion de les reporter, pour suivre du regard une barque qui se détache du rivage un peu au-dessus du pont de la Madeleine, et s'avance, sans pavillon, silencieuse et sévère, au milieu de toutes ces barques bruyantes et pavoisées.

      Elle porte le cardinal Ruffo, qui, en échange de l'hommage qu'il va faire au roi de son royaume reconquis, vient lui demander, pour toute grâce, de maintenir les traités qu'il a signés en son nom, et de ne pas faire à son honneur royal la souillure d'un manque de parole.

      Voilà encore une de ces occasions où le romancier est forcé de céder la plume à l'historien, et des faits où l'imagination n'a pas le droit d'ajouter un mot au texte implacable de l'annaliste.

      Et que le lecteur veuille bien se rappeler que les lignes que nous allons mettre sous ses yeux sont tirées d'un livre publié par Dominique Sacchinelli en 1836, c'est-à-dire en plein règne de Ferdinand II, ce grand étouffeur de la presse, et publié avec permission de la censure.

      Voici les propres paroles de l'honorable historien:

      «Pendant que l'on traitait avec le commandant français de la reddition du fort Saint-Elme, le cardinal se rendit à bord du Foudroyant, pour informer de vive voix le roi Ferdinand de ce qui était arrivé avec les Anglais, à l'endroit de la capitulation du Château-Neuf et du château de l'Oeuf, et du scandale que produisait la violation de ces traités. Sa Majesté se montra d'abord disposée à observer et à suivre la capitulation; cependant, elle ne voulut rien décider sans avoir entendu Nelson et Hamilton.

      »Tous deux furent appelés à donner leur avis.

      »Hamilton soutint cette doctrine diplomatique, que les souverains ne traitaient pas avec leurs sujets rebelles, et déclara que le traité devait être nul et non avenu.

      »Nelson ne chercha point de faux-fuyants. Il manifesta une haine profonde contre tout révolutionnaire à la mode française, disant qu'il fallait extirper jusqu'à la racine du mal pour empêcher de nouveaux malheurs, puisque, les républicains étant obstinés dans le péché et incapables de repentir, ils commettraient, aussitôt que s'en présenterait l'occasion, de pires et plus funestes excès, et qu'enfin l'exemple de leur impunité servirait d'aiguillon à tous les malintentionnés.

      »Et, de même que Nelson avait rendu inefficaces les remontrances faites par le cardinal Ruffo au moment du traité, de même il réussit par ses intrigues à paralyser les mêmes intentions du roi et le désir de clémence qu'il avait un moment manifesté.»

      Le roi décida donc, malgré les instances que le cardinal Ruffo poussa jusqu'à la supplication, Nelson et Hamilton, ces deux mauvais génies de son honneur,


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