Un Cadet de Famille, v. 2/3. Trelawny Edward John

Un Cadet de Famille, v. 2/3 - Trelawny Edward John


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dans les rêves, les présages, les pressentiments et les visions.

      XLVIII

      Nous nous trouvions sous les vents alizés de l'ouest, et nous hâtâmes gaiement notre course, accompagnés par la corvette. De Ruyter décida que nous rentrerions au port Bourbon, dans l'île Maurice, sur le côté sud-est, puisque les frégates anglaises bloquaient le port au nord-ouest.

      – Le port Bourbon, dit de Ruyter, est le meilleur port pour entrer dans l'île, mais il est le plus difficile pour en sortir. Cependant, c'est un havre magnifique, et nous serons obligés d'y rester jusqu'à ce que la mousson du nord-ouest, qui va bientôt commencer, soit tout à fait tombée. D'ailleurs, nous serons plus près de mon pays, et surtout plus tranquilles, car il n'y a guère de vaisseaux au port Bourbon, le commerce n'étant suivi qu'à côté, sous le vent de Port-Louis.

      Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis notre conquête de Saint-Sébastien, et je pensai qu'il était temps de faire une visite à ma petite captive. Malgré mon apparent abandon, je n'avais point négligé de l'entourer de soins, car elle habitait ma propre cabine, et j'avais ordonné au bon vieux rais de trouver, parmi les gens que nous avions à bord du vaisseau, ceux qui étaient de la même tribu que Zéla ou qui avaient été ses domestiques.

      Privilégié par son âge et par son rang, le rais put aller voir la jeune fille, lui parler, et l'assurer qu'elle ne manquerait de rien. Le rais me dit que trois femmes qui avaient été avec Zéla sur le vaisseau de son père étaient déjà auprès d'elle, et qu'il avait donné à ces femmes toutes les choses dont elles avaient eu besoin. Par respect pour le père de Zéla, qui avait été non-seulement un Arabe, mais encore scheik d'une tribu dans le golfe Persique, près de sa propre patrie, le vieux rais avait prévenu tous mes désirs.

      – Il faut, me dit-il, que je traite cette jeune fille comme je traiterais ma propre enfant, car nous sommes tous des frères.

      De Ruyter, qui se trouvait auprès de moi et qui entendait notre conversation, se tourna vers le rais.

      Lorsque de Ruyter parlait au vieillard, il lui donnait le nom de père, car c'était ainsi que tous les marins nommaient le commandeur des Arabes. De Ruyter consultait toujours le rais dans les décisions qu'il devait prendre lorsqu'elles étaient relatives à ses hommes; de plus, il ne s'opposait jamais à l'accomplissement des cérémonies des sectateurs de Mahomet. Pendant ses voyages secrets aux ports anglais, le commandement du vaisseau était confié au vieil Arabe, et de Ruyter prenait alors le caractère d'un marchand arménien, persan ou américain.

      – Mon père, dit de Ruyter, j'ai dit à ce garçon que la jeune fille arabe était légitimement sa femme, et cela de la manière la plus sacrée selon les coutumes de votre pays. N'ai-je pas dit la vérité?

      Les hommes qui avaient été témoins de la mort du père de Zéla en avaient raconté tous les détails.

      – Certainement, malek, où est la personne qui pourrait en douter? La chose cependant me paraît étrange; car, tout vieux que je suis, c'est la première fois que j'entends dire qu'un scheik arabe, dont les générations sont innombrables comme les grains de sable dans le grand désert, donne sa fille et mêle le sang des ancêtres de sa race à celui d'un infidèle d'un pays si nouvellement découvert, d'un pays que nos pères ne connaissaient pas; le père même qui a donné sa fille ne pouvait admettre l'existence d'un giaour (chien).

      – Bah! répondit de Ruyter, le père savait que Trelawnay était un Arabe; il est certain qu'il le savait et qu'il lui était impossible de craindre une erreur. Ce garçon a-t-il l'air d'un chrétien? n'a-t-il pas le Coran dans sa cabine? Allons, mon fils, récitez votre namaz.

      – Vous êtes savant, malek, dit le rais, cela est bien vrai, il n'est donc point extraordinaire alors que le père ait pris Trelawnay pour un Arabe. Je suis un homme ignorant, mais si son père n'est pas Arabe ou descendant d'un Arabe, je serai surpris, car je n'ai jamais vu aucun homme de l'Ouest avoir le teint basané et les traits du visage caractérisés comme ceux de ce garçon. Il est honnête et brave, il aime notre peuple, il se bat avec nos armes, il a les mêmes habitudes que nous, il est donc Arabe. Sa véritable nature se révélera maintenant que, par la grâce divine de Mahomet, notre saint prophète, il possède une femme arabe. J'espère qu'il cherchera la tribu de ses ancêtres, qu'il s'établira au milieu d'elle en déplorant que l'auteur de ses jours ait fait la folie d'aller loin de son pays natal habiter les rochers blancs de la mer.

      Le rais dit tout cela si sérieusement, que de Ruyter ne parvint qu'avec peine à réprimer une violente envie de rire. Pour compléter la comédie, il conversa si savamment sur le sujet, que je finis par avoir des doutes sur ma propre identité.

      Avec la conviction que j'étais Arabe, le rais s'appuya encore, pour consolider mon mariage, sur les ordres donnés par le père de Zéla, qui avait joint nos mains avant de mourir.

      – Au moment suprême où s'opère la séparation de l'âme avec le corps, dit le rais, si les objets éloignés deviennent indistincts, les choses que le regard embrasse sont miraculeusement développées. En conséquence, continua le rais, le père ne s'est pas trompé; il a vu dans le passé, dans le présent et dans l'avenir, et cela d'un seul regard par l'analyse d'une chose visible, la physionomie. Il savait donc dans quelles mains il confiait sa fille, les espérances de sa maison et le soin de ses enfants.

      – Quels enfants? demanda Aston. A-t-il d'autres enfants?

      Je commençais déjà à réfléchir à l'embarras de la situation dans laquelle m'avait placé ma sympathie pour Zéla, une femme, des enfants, et quoi encore…

      – Des enfants, reprit le rais, oh! oui, mais pas beaucoup, car c'était un brave et intrépide guerrier, et la moitié de sa tribu a été exterminée dans des guerres contre des gens semblables aux Marratti, qui ont pillé son village et tué presque tous les habitants; il lui reste donc à peine une trentaine d'enfants.

      – Trente! s'écria Aston, c'est bien assez, je vous assure.

      – Je trouve aussi que c'est un joli nombre, dit de Ruyter en imitant la manière de parler de Louis, et vous aussi, n'est-ce pas?

      En écoutant cette conversation, en apparence des plus sérieuses, je suppose que ma figure n'était pas très-animée, et peut-être était-elle aussi triste que celle d'une des vigoureuses tortues de Louis après qu'il lui avait coupé la gorge. Cependant, je fus un peu consolé en découvrant que les enfants de l'Arabe, tombés pour la plupart sous le poignard de ses ennemis, n'étaient qu'une famille fictive, c'est-à-dire les fils de sa tribu.

      De Ruyter m'assura sur son honneur et en mettant toute plaisanterie à part que les paroles du vieux rais étaient aussi vraies que le Coran. – Mais, ajouta-t-il, le Coran n'est rien pour vous, et la loi arabe n'est point la vôtre.

      – C'est vrai, mais la jeune fille, de Ruyter, que pensera-t-elle?

      – Que, fiancée à vous par son père, elle doit vous regarder comme son mari. Ainsi votre devoir aussi bien que votre honneur exigent que vous preniez soin d'elle, que vous la conduisiez avec sa suite dans son pays natal. Je sais que vous avez autant de générosité que d'honneur, et que vous ne faillirez point à vos obligations; je n'ai jamais donné d'officieux conseils, mon cher enfant, car pour les digérer il faut un estomac aussi fort que celui d'une autruche. D'ailleurs vous n'êtes pas de ceux qui s'arrogent exclusivement à eux-mêmes leur secte et leur patrie (comme le font beaucoup de compatriotes) et toute la beauté et toute la vertu qui existent sous le soleil. La lumière n'est que plus brillante sur les sables de ces sauvages enfants du désert; car elle n'est pas obscurcie par ce que l'on appelle faussement la civilisation. Quoiqu'ils ne soient pas échauffés ou affranchis par le même été ou par le même hiver, dit le vieux Shylock, les juifs, les mahométans et les chrétiens sont tous des hommes; si vous les piquez ils saignent, et ainsi de suite… Vous me comprenez?..

      – Descendons, et, après avoir discuté cette grave question, discutons celle bien moins grave d'un verre de claret.

      – Quel parti allez-vous prendre relativement à Zéla? me demanda Aston.

      – Quel parti je vais prendre,


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