Un Cadet de Famille, v. 2/3. Trelawny Edward John

Un Cadet de Famille, v. 2/3 - Trelawny Edward John


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dit quelques mots à Zéla, et, sans être guidée par le regard, la belle enfant tendit vers moi ses jolies petites mains, prit une des miennes, et glissa doucement l'anneau à mon doigt.

      Cet anneau était l'antique sceau de la tribu de son père, et, comme tous les cachets des princes, il rendait vrai le faux, faux le vrai; il donnait ou il reprenait, il faisait ou il défaisait les lois, selon la capricieuse volonté de celui qui en était l'heureux possesseur.

      Avant de laisser retomber ma main, Zéla la porta encore à son front et l'effleura doucement de ses lèvres.

      Je pris vivement dans ma poche une bague que j'avais choisie dans les bijoux de de Ruyter, bague d'un grand prix, car elle était massive, d'or pur, et fermée par un rubis de la grosseur d'un grain de raisin; et, prenant avec tendresse la main de Zéla, qui pendait immobile entre les plis de son grand voile, je plaçai cette bague au second doigt de sa main droite.

      La vieille femme sourit.

      L'approbation tacite de ce sourire éveilla mon audace; je gardai, pressée entre les miennes, la main de Zéla, et j'en couvris de baisers les petits doigts tremblants.

      J'outre-passais sans doute les droits que j'avais sur Zéla, car le front de la vieille femme se rembrunit, ou, pour mieux dire, les rides de sa figure devinrent plus profondes, changement de physionomie peu avantageux aux agréments extérieurs de ce gardien de l'étiquette, dont le temps et le soleil avaient donné au teint l'ineffaçable couleur du bronze. Je laissai tomber la main de Zéla, qui alla se cacher, toute rougissante d'effroi ou de pudeur, sous les plis de son voile blanc.

      L'échange mutuel de nos bagues était la déclaration définitive de notre mariage.

      – Chère lady, dis-je à Zéla, veuillez me donner vos ordres; que puis-je faire pour vous être agréable, pour vous rendre moins tristes et moins longues les heures de votre isolement? J'ai mis en liberté toutes les personnes qui appartenaient à la tribu de votre père, et elles sont traitées par mes ordres avec la plus grande bonté. Je suis un étranger, chère lady, j'ignore une grande partie de vos habitudes; daignez donc, je vous en supplie, guider ma conduite par vos bienveillants conseils. Le rais, qu'on nomme ici le père des Arabes, vous aime avec tendresse; il sera, si vous le voulez, l'écho de vos pensées; parlez-lui, ordonnez; entendre et obéir ne seront pour moi qu'une seule et même chose.

      Zéla ne répondit à mes supplications que par de violents sanglots.

      Cette douleur m'attrista profondément; je gardai le silence, puis la crainte de devenir importun me fit songer à la retraite.

      – Ma chère sœur, dis-je en me levant, calmez-vous, je vous en prie, et souvenez-vous de mes paroles: Je suis et je serai toujours votre esclave le plus humble, le plus soumis et le plus dévoué.

      Après avoir salué l'éplorée jeune fille, je sortis de la cabine triste et heureux à la fois.

      LI

      Je rendis plusieurs visites à ma jolie captive avant que le bonheur d'entendre sa voix musicale me fût accordé. Zéla semblait muette et souvent aussi immobile qu'une statue de marbre. Ni supplications ardentes ni prières murmurées tout bas n'avaient le don d'émouvoir cette insensibilité extérieure, qui puisait peut-être son calme dans la grande froideur de ses sentiments pour moi. Cependant, malgré l'apparente monotonie de nos tête-à-tête, malgré la tristesse dans laquelle ils me jetaient, j'éprouvais un véritable bonheur auprès de Zéla, bonheur étrange, mystérieux, indéfinissable, bonheur réel pourtant, car il occupait les heures du jour, car il remplissait de rêves enchanteurs le sommeil de la nuit.

      Après avoir soigneusement cherché à être agréable à Zéla en l'entourant de toutes les choses qui, par leur possession, pouvaient lui apporter un amusement, je fouillai dans l'immense butin enlevé aux Marratti. Les vêtements, les meubles, les bijoux, enfin tout ce qui appartenait à Zéla, tout ce qui venait de son père ou de sa tribu, fut déposé dans la cabine de la jeune fille. Le désir de lui plaire, celui d'attirer son regard, celui plus ardent encore d'entendre sa voix mélodieuse, me rendaient infatigable; mais, à mon grand chagrin, Zéla parut si froide, si indifférente, si insensible, que j'en arrivai à croire qu'il serait infiniment plus logique d'adorer une momie des pyramides, et bien certainement, si l'exaspération que je ressentais n'avait pas été adoucie par les généreuses paroles de mon ami Aston, je me serais donné l'amer plaisir d'exprimer à Zéla le vif mécontentement que me faisait éprouver sa conduite. Dans l'excès de ma mauvaise humeur, je me jurais à moi-même de cesser entièrement mes visites; mais tout en jurant je consultais ma montre pour savoir combien d'heures ou de minutes me séparaient encore de l'instant de mon entrevue avec elle. J'aurais, je l'avoue, difficilement renoncé au bonheur de la voir, et quoique ma visite fût un monologue ou un silence, elle était l'oasis de ma vie, le repos de mon existence active.

      Heureusement pour moi la vieille Arabe n'était ni discrète, ni silencieuse, ni réservée. Quand elle traversait le pont pour remplir soit une commission de Zéla auprès du rais, soit une partie de son service, elle s'arrêtait et me parlait de la jeune fille. Dans les premiers jours de ses longues causeries, je maudissais souvent la force des jambes de la vieille, car les miennes se fatiguaient à rester ainsi stationnaires; mais ni engagement, ni prières ne pouvaient parvenir à persuader à la duègne que je lui permettais de s'asseoir.

      – Non, me disait-elle d'une voix grave, je dois rester debout devant mon malek, et, du reste, sa bonté me permettrait-elle de prendre un siége qu'il me serait encore impossible d'user de cette bienveillante autorisation. Lady Zéla attend mon retour pour prendre son café.

      Je conclus de là que la jeune fille était douée d'une merveilleuse patience, si elle attendait ainsi une douzaine de fois par jour la rentrée de sa camériste, qui causait souvent de longues heures avec moi.

      J'avais tant de plaisir à écouter, à faire répéter à la vieille femme que Zéla n'était pas insensible à mes soins, qu'elle disait que j'étais bon, que je l'étais non-seulement parce qu'elle le jugeait ainsi, mais parce que son peuple le trouvait, qu'il était bien dommage que je ne parlasse sa langue qu'imparfaitement, bien dommage encore que j'appartinsse à une tribu si éloignée de la sienne, qu'elle était fâchée que la grande Kala passée (mer Noire) se trouvât entre moi et le pays de ses pères, mais que j'étais doux, bon, beau comme un zèbre, et qu'elle aimait à entendre ma voix.

      Ce délicieux poison rallumait des espérances qui commençaient à s'éteindre; il me faisait croire à l'avenir et souffrir avec patience les douleurs du présent. À mes yeux la bonne vieille devint un personnage amusant, spirituel; elle s'embellit de ses paroles comme d'un fard, et je finis par trouver sa voix dure et sèche plus musicale que le son harmonieux d'une harpe éolienne. Mes veilles de nuit s'abrégeaient merveilleusement, elles se remplissaient de l'éclatante lumière des yeux de Zéla, que je n'avais cependant pas vus.

      Je ne m'explique pas encore par quelle puissance attractive et magnétique j'ai pu si tendrement aimer Zéla, dont je n'avais pas entendu la voix, dont je n'avais pas rencontré le regard, dont je n'avais pas même reçu un signe de sympathie, car son premier et bienveillant accueil n'avait été que l'accomplissement d'une coutume; elle avait reçu son sauveur, son mari, mais le cœur n'entrait pour rien dans le témoignage de son respect et de sa gratitude.

      Mon esprit indépendant ne s'était jamais plié ni même arrêté à la recherche de ce grand sentiment qu'on appelle l'amour, et en vérité je ne sais pas quand et pourquoi, où et comment il a pu pénétrer et remplir si exclusivement mon cœur.

      Avant de comprendre que j'aimais ardemment Zéla, les soins dont je l'entourais m'apparaissaient sous la forme froide de l'accomplissement d'un devoir, devoir sacré, parce qu'il m'avait été imposé par un père mourant, par un père dont la suprême volonté me confiait son enfant prisonnière et orpheline. Dans la transparente pureté de la jeunesse, les scènes touchantes se reflètent comme sur un lac d'azur, et cette scène de deuil, d'exil, de larmes, fut la première dans laquelle le hasard me fit jouer un rôle, la première où un appel sympathique fut fait aux bons sentiments de mon cœur, qui alors était une fontaine scellée, mais qui s'ouvrit bientôt à la pitié et à la tendresse, et maintenant l'amour en coule comme un puissant


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