Un Cadet de Famille, v. 2/3. Trelawny Edward John

Un Cadet de Famille, v. 2/3 - Trelawny Edward John


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que Zéla était ensorcelée par l'odieuse fleur dont elle aspirait si joyeusement la prétendue suavité. Cette fleur était une grande branche rouge, couverte de boutons bruns, de baies jaunes, et exhalant l'horrible odeur du musc.

      – En vérité, ma chère sœur, m'écriai-je, la rose aurait autant raison d'être jalouse que vous de craindre le voisinage de la figure de Kamalia, votre nourrice. Cette fleur ressemble à une ronce, et son abominable odeur me rend malade.

      Je fus sans doute poussé à accueillir la fleur de Zéla avec ces rudes paroles par l'impatience et le chagrin que me firent éprouver les caresses dont elle couvrit la branche appuyée sur ses lèvres.

      Les yeux noirs de Zéla se dilatèrent; et pendant une seconde elle me contempla avec un étonnement plein de tristesse, puis l'éclat de son regard se ternit, et ses longues paupières se couvrirent d'une rosée de perles; la branche aimée s'échappa des mains de la jeune fille, sa figure pâlit, et le son de sa voix eut la navrante tristesse du dernier adieu qu'elle fit à son père, lorsqu'elle murmura faiblement:

      – Pardonnez-moi, étranger, je ne me souvenais plus que vous n'étiez pas né dans la tribu de mes pères. Cet arbre, que j'aime, ressemble à celui qui abritait la tente de ma famille; il nous protégeait contre l'ardeur du soleil, quand nous dormions sous son ombre. Nos vierges entrelacent ses fleurs en couronne pour parer leurs fronts, et si elles meurent, on en couvre la pierre de leurs tombeaux. Pardonnez-moi d'avoir cueilli ce souvenir du passé, je ne puis empêcher mon cœur de préférer cette fleur à toutes les fleurs; mais puisque vous dites qu'elle vous rend malade, eh bien!.. je ne l'aimerai plus, je ne la cueillerai plus!.. Puis, ajouta la jeune fille d'une voix entrecoupée par les sanglots, pourquoi parerais-je mes cheveux d'une couronne de cette fleur, puisque j'appartiens à un étranger et que mon père est mort?

      Je n'ai pas besoin de dire que non-seulement je ramassai la fleur pour la remettre entre les mains de Zéla, mais encore je lui fis comprendre que mon ignorance était l'excuse de ma conduite. Après avoir calmé le chagrin de la douce et sensible enfant, je courus sur la colline, j'arrachai l'arbre garni de ses racines, et je dis à Zéla:

      – Chère sœur, j'ai dédaigné cette fleur uniquement parce que vous avez dit du mal de la rose, la plus belle parure de nos parterres, mais en examinant de près cet arbuste chéri (et je regardai Zéla), je me suis assuré que la rose peut en être jalouse aussi bien que mes compatriotes pourraient l'être de vous. Je planterai cet arbre dans le jardin de notre habitation.

      – Vous êtes bon, mon frère, me dit Zéla. Eh bien, moi, je planterai un rosier auprès de lui, et ces deux charmantes fleurs uniront leurs parfums. Notre affection et nos soins pour ces chers arbustes les feront grandir, prospérer et vivre ensemble, sans rivalité jalouse. On doit aimer sans préférence exclusive tout ce qui est beau; moi, j'aime tous les arbres, tous les fruits et toutes les fleurs.

      Malgré ces paroles joyeuses et calmes, je voyais à travers les plis vaporeux de la légère robe de Zéla son pauvre petit cœur aussi agité qu'un oiseau mis en cage. Pour arracher ses pensées au sujet qui l'avait attristée, je dis en lui serrant la main:

      – Vous devez être fatiguée, chère Zéla; mais ne craignez rien, voici le dernier ruisseau que nous avons à traverser, et nous serons bientôt dans cette magnifique plaine.

      – Oh! me répondit la jeune fille, Zéla n'a jamais craint que son père quand il était en colère, car alors ceux qui osaient regarder les éclairs qui déchirent la nue en feu ne pouvaient soutenir le regard de leur chef. La voix de mon père était plus forte que le bruit du tonnerre, et sa lance plus fatale que l'éclat de la foudre. Hier au soir, en parlant à cet homme grand qui est si doux, je croyais que vous alliez le tuer, et je voulais vous dire de ne pas le faire, parce que j'avais lu dans ses yeux qu'il vous aime de tout son cœur; c'est très-mal, mon frère, de se fâcher contre ceux qui nous aiment.

      – Vous voulez parler d'Aston, ma chère Zéla, mais je n'étais nullement en colère contre lui: je l'aime beaucoup, et nous sommes les meilleurs amis du monde; la vivacité de mes paroles était puisée dans le sujet de notre conversation, car nous parlions des horribles cruautés qui sont exercées dans l'île Maurice sur les pauvres esclaves.

      – Je voudrais bien connaître votre langue, mon frère, j'aimerais tant à vous écouter! Si j'avais compris vos paroles, j'aurais passé une nuit calme; car, ignorant le sujet de votre conversation, j'ai beaucoup pleuré, j'avais tant de chagrin de vous croire fâché contre une personne qui vous aime!

      Je rassurai bien tendrement l'adorable jeune fille, et nous reprîmes avec joie notre route. De Ruyter vint nous rejoindre, et nous nous trouvâmes bientôt sur une plaine élevée nommée Vacois, au milieu de l'île. Notre montée avait été très-difficile et très-rude. Devant nous, au centre de la plaine que nous traversions, se trouve la montagne pyramidale dont j'ai déjà parlé, et qu'on nomme le piton du Milieu. Sur notre droite s'étendaient le port et la ville de Saint-Louis. Vers le sud, nous découvrîmes de grandes et magnifiques plaines, dont la riche végétation se mire dans une belle rivière; et vers le nord, d'autres plaines se penchant vers la mer: elles paraissaient les unes arides, les autres cultivées. On distinguait çà et là des champs de cannes à sucre, d'indigo et de riz. Du sud à l'est, le pays volcanique et montagneux est couvert de jungles et d'anciennes forêts, mais le nord-est est presque une surface plane. Dans la plaine où nous nous trouvions, il y a un grand nombre de mares d'eau qui forment de jolis lacs, et à l'époque des grandes pluies, le débordement de ces lacs rend la plaine marécageuse et la couvre de cannes, de roseaux et d'herbes gigantesques.

      Telle était la magnifique scène qui se déroulait sous nos yeux. Le soleil, qui s'était levé à l'est au-dessus de la montagne, dispersa les brouillards jaunes du matin et découvrit entièrement les beautés mystérieuses de cette île, fraîche et radieuse comme une vierge sortant du bain.

      Nous mîmes pied à terre pour nous reposer sous l'ombrage d'un groupe de bananiers qui semblaient s'être plu à dessiner un cercle enchanté autour d'un chêne incliné vers le lac, dont l'eau, claire et limpide comme un diamant, avait une incommensurable profondeur. Des poissons rouges de la Chine jouaient sur la surface de l'eau, et les mouches-dragons rouges, vertes, jaunes et bleues volaient en bourdonnant autour de nous.

      Interrompus dans leurs ablutions matinales, le chaste pigeon ramier et la blanche colombe s'envolaient vers les bois; la perdrix grise courait se cacher, les oiseaux aquatiques plongeaient dans l'eau, tandis que les perroquets jaseurs caquetaient sur les arbres comme des femmes mariées en mauvaise humeur. Pendant le bruissement harmonieux de ses fuites, de ses gais ramages, le nonchalant babouin au ventre rebondi mangeait avec la gloutonne voracité d'un moine: il était inattentif à tout ce qui ne tendait pas à gorger de bananes son insatiable panse.

      LV

      On nous avait dit à l'île Maurice que le lac auprès duquel nous nous reposions possédait des crevettes aussi grosses que des homards, et que des anguilles avaient quinze ou vingt pieds de longueur.

      Les deux principales rivières de l'île prennent leur source dans cette plaine; en marchant elles augmentent leur volume par le tribut que leur payent une infinité de ruisseaux, jusqu'à ce qu'elles arrivent à être fortes et puissantes. Coulant parallèlement pendant quelque temps, elles finissent, en rivales bien apprises, à tenter de se surpasser en largeur et en vélocité. Après cette lutte ambitieuse et coquette, elles se séparent; l'une va forcément à droite, l'autre à gauche, arrosent leurs districts respectifs, et finissent par payer à leur tour un tribut au puissant océan.

      Après avoir rassasié nos sens de la vue des incomparables beautés de cette riche nature, nous fûmes obligés de penser à des choses moins poétiques et moins délicates, car nos estomacs demandaient à grands cris d'être promptement restaurés. Nos gens placèrent devant nous les mets favoris des marins, c'est-à-dire du poisson, des fruits, des légumes, nourriture simple et sans apprêt, dont nous savourâmes les délices avec un zèle vraiment sacerdotal.

      Vers la fin de ce frugal déjeuner, nous retombâmes insensiblement dans la contemplation des sublimes merveilles que renfermait cette île. La tiède chaleur du soleil levant faisait monter vers nous le parfum des


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