Les bases de la morale évolutionniste. Spencer Herbert

Les bases de la morale évolutionniste - Spencer Herbert


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développe pas à pas avec celle qui sert à la conservation de l'individu. Cette organisation supérieure qui rend celle-ci possible rend également possible celle-là.

      L'humanité marque dans ce genre un grand progrès. Comparé avec les animaux, le sauvage, supérieur déjà dans la conduite qui se rapporte à sa propre conservation, est supérieur aussi dans la conduite qui a pour fin la conservation de sa race. Il pourvoit en effet à un plus grand nombre de besoins de l'enfant; les soins des parents durent plus longtemps et s'étendent à apprendre aux enfants les arts, à leur donner les habitudes qui les préparent à l'existence qu'ils doivent mener. La conduite de cet ordre, aussi bien que celle de l'autre, se développe encore davantage sous nos yeux, quand nous nous élevons du sauvage à l'homme civilisé. L'adaptation des moyens à des fins dans l'éducation des enfants est plus complète; les fins à atteindre sont plus nombreuses, les moyens plus variés, et l'emploi en est plus efficace; la protection, la surveillance se continuent aussi pendant une bien plus grande partie de la vie.

      En suivant l'évolution de la conduite, de manière à nous faire une idée exacte de la conduite en général, nous devons donc reconnaître la dépendance mutuelle de ces deux genres. A parler généralement, l'un ne peut se développer sans que l'autre se développe, et ils doivent parvenir simultanément l'un et l'autre au plus haut degré de leur évolution.

      6. Cependant, on se tromperait en affirmant que l'évolution de la conduite devient complète, lorsqu'elle atteint une adaptation parfaite de moyens à fins pour conserver la vie individuelle et élever les enfants, ou plutôt je dirais que ces deux premiers genres de conduite ne peuvent pas arriver à leur forme la plus haute, sans qu'un troisième genre de conduite, qu'il nous reste à nommer, atteigne lui-même sa forme la plus élevée.

      Les créatures innombrables et de toute espèce qui remplissent la terre ne peuvent vivre entièrement étrangères les unes aux autres; elles sont plus ou moins en présence les unes des autres, se heurtent les unes contre les autres. Dans une grande proportion, les adaptations de moyens à fins dont nous avons parlé sont les composantes de cette «lutte pour l'existence» engagée à la fois entre les membres d'une même espèce et les membres d'espèces différentes; et, le plus souvent, une heureuse adaptation faite par une créature implique une adaptation manquée par un être de la même espèce ou d'une espèce différente. Pour que le carnivore vive, il faut que des herbivores meurent, et, pour élever ses petits, il doit priver de leurs parents les petits d'animaux plus faibles. Le faucon et sa couvée ne subsistent que par le meurtre de beaucoup de petits oiseaux; ces petits oiseaux à leur tour ne peuvent multiplier, et leur progéniture ne peut se nourrir que par le sacrifice de vers et de larves innombrables. La compétition entre membres de la même espèce a des résultats analogues, bien que moins frappants. Le plus fort s'empare souvent par la violence de la proie qu'un plus faible a attrapée. Usurpant à leur profit exclusif certains territoires de chasse, les plus féroces relèguent les autres animaux de leur espèce en des lieux moins favorables. Chez les herbivores, les choses se passent de la même manière; les plus forts s'assurent la meilleure nourriture, tandis que les plus faibles, moins bien nourris, succombent directement d'inanition ou indirectement par l'inhabileté à fuir leurs ennemis qui résulte de ce défaut même d'alimentation. Cela revient à dire que, chez ceux dont la vie se passe à lutter, aucun des deux genres de conduite déterminés plus haut ne peut arriver à un complet développement. Même chez les animaux qui ont peu à craindre de la part d'ennemis ou de compétiteurs, comme les lions ou les tigres, il y a fatalement encore quelques défauts d'adaptation des moyens aux fins dans la dernière partie de leur vie. La mort par la faim qui résulte de l'impuissance à saisir sa proie est une preuve que la conduite n'atteint pas son idéal.

      De cette conduite imparfaitement développée, nous passons par antithèse à la conduite parvenue à la perfection. En considérant ces adaptations d'actes à des fins, qui restent toujours incomplètes, parce qu'elles ne peuvent être faites par une créature sans qu'une autre créature soit empêchée de les faire, nous nous élevons à la pensée d'adaptations telles que toutes les créatures pourraient les faire sans empêcher les autres créatures de les faire également. Voilà nécessairement le caractère distinctif de la conduite la plus développée. Aussi longtemps en effet que la conduite se composera d'adaptations d'actes à fins, possibles pour les uns à la condition seulement que les autres ne puissent faire les mêmes adaptations, il y aura toujours place pour des modifications par lesquelles la conduite atteindrait une phase où cette nécessité serait évitée et qui augmenterait la somme de la vie.

      De l'abstrait passons au concret. Nous reconnaissons que l'homme est l'être dont la conduite est le plus développée; recherchons à quelles conditions sa conduite, sous les trois aspects de son évolution, atteint sa limite. D'abord, tant que la vie n'est entretenue que par le pillage, comme celle de certains sauvages, les adaptations de moyens à fins ne peuvent atteindre en aucun genre le plus haut degré de la conduite. La vie individuelle, mal défendue d'heure en heure, est prématurément interrompue; l'éducation des enfants fait souvent tout à fait défaut, ou elle est incomplète si elle ne manque pas entièrement; de plus, la conservation de l'individu et celle de la race ne sont assurées, dans la mesure où elles le sont, que par la destruction d'autres êtres, d'une autre espèce ou de la même. Dans les sociétés formées par la composition et la recomposition des hordes primitives, la conduite reste imparfaitement développée dans la mesure où se perpétuent les luttes entre les groupes et les luttes entre les membres des mêmes groupes; or ces deux traits sont nécessairement associés, car la nature, qui pousse aux guerres internationales, porte également aux attaques d'individu à individu. La limite de l'évolution ne peut donc être atteinte par la conduite que dans les sociétés tout à fait paisibles. Cette adaptation parfaite de moyens à fins pour la conservation de la vie individuelle et l'éducation de nouveaux individus, à laquelle chacun peut atteindre sans empêcher les autres d'en faire autant, constitue, dans sa véritable définition, un genre de conduite dont on ne peut approcher que si les guerres diminuent ou cessent tout à fait.

      Mais nous avons encore une lacune à combler, car il y a un dernier progrès dont nous n'avons pas encore parlé. Outre que chacun peut agir de telle sorte qu'il parvienne à ses fins sans empêcher les autres de parvenir aux leurs, les membres d'une société peuvent s'entr'aider à atteindre leur but. Si des citoyens unis se rendent plus facile les uns aux autres l'adaptation des moyens aux fins, – soit indirectement par une coopération industrielle, soit directement par une assistance volontaire, – leur conduite s'élève à un degré plus haut encore d'évolution, puisque tout ce qui facilite pour chacun l'adaptation des actes aux fins augmente la somme des adaptations faites et sert à rendre plus complète la vie de tous.

      7. Le lecteur qui se rappellera certains passages des Premiers principes, des Principes de biologie et des Principes de psychologie reconnaîtra dans les passages qui précèdent, sous une autre forme, le mode de généralisation déjà adopté dans ces ouvrages. On se souviendra particulièrement de cette proposition que la vie est «la combinaison définie de changements hétérogènes, à la fois simultanés et successifs, en correspondance avec des coexistences et des séquences extérieures;» et surtout de cette formule abrégée et plus nette d'après laquelle la vie est «l'adaptation continuelle de relations internes à des relations externes».

      La différence dans la manière de présenter ici les faits par rapport à la manière dont nous les présentions autrefois consiste surtout en ceci que nous ignorons la partie intérieure de la correspondance pour nous attacher exclusivement à cette partie extérieure constituée par les actions visibles. Mais l'une et l'autre partie sont en harmonie, et le lecteur qui désirerait se préparer lui-même à bien comprendre le sujet de ce livre au point de vue de l'évolution ferait bien d'ajouter, à l'aspect plus spécial que nous allons considérer, les aspects que nous avons déjà décrits.

      Cette remarque faite en passant, je reviens à l'importante proposition établie dans les deux chapitres précédents et qui a été, je pense, pleinement justifiée. Guidés par cette vérité que la conduite dont traite la morale est une partie de la conduite en général, et qu'il faut bien comprendre ce que c'est que la conduite en général pour comprendre spécialement ce que c'est que cette partie; guidés aussi par cette autre vérité que,


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