Actes et Paroles, Volume 3. Victor Hugo

Actes et Paroles, Volume 3 - Victor Hugo


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Victor Hugo, les interpellations n'ont pas la signification que vous leur attribuez.

      M. VICTOR HUGO. – J'ai dit que la Prusse est sans droit. Les prussiens sont vainqueurs, soit; maitriseront-ils la France? non! Dans le present, peut-etre; dans l'avenir, jamais! (Tres bien! – Bravo!)

      Les anglais ont conquis la France, ils ne l'ont pas gardee; les prussiens investissent la France, ils ne la tiennent pas. Toute main d'etranger qui saisira ce fer rouge, la France, le lachera. Cela tient a ce que la France est quelque chose de plus qu'un peuple. La Prusse perd sa peine; son effort sauvage sera un effort inutile.

      Se figure-t-on quelque chose de pareil a ceci: la suppression de l'avenir par le passe? Eh bien, la suppression de la France par la Prusse, c'est le meme reve. Non! la France ne perira pas! Non! quelle que soit la lachete de l'Europe, non! sous tant d'accablement, sous tant de rapines, sous tant de blessures, sous tant d'abandons, sous cette guerre scelerate, sous cette paix epouvantable, mon pays ne succombera pas! Non!

      M. THIERS, chef du pouvoir executif. – Non!

       De toutes parts. – Non! non!

      M. VICTOR HUGO. – Je ne voterai point cette paix, parce que, avant tout, il faut sauver l'honneur de son pays; je ne la voterai point, parce qu'une paix infame est une paix terrible. Et pourtant, peut-etre aurait-elle un merite a mes yeux: c'est qu'une telle paix, ce n'est plus la guerre, soit, mais c'est la haine. (Mouvement.) La haine contre qui? Contre les peuples? non! contre les rois! Que les rois recueillent ce qu'ils ont seme. Faites, princes; mutilez, coupez, tranchez, volez, annexez, demembrez! Vous creez la haine profonde; vous indignez la conscience universelle. La vengeance couve, l'explosion sera en raison de l'oppression. Tout ce que la France perdra, la Revolution le gagnera. (Approbation sur les bancs de la gauche.)

      Oh! une heure sonnera – nous la sentons venir – cette revanche prodigieuse. Nous entendons des a present notre triomphant avenir marcher a grands pas dans l'histoire. Oui, des demain, cela va commencer; des demain, la France n'aura plus qu'une pensee: se recueillir, se reposer dans la reverie redoutable du desespoir; reprendre des forces; elever ses enfants, nourrir de saintes coleres ces petits qui deviendront grands; forger des canons et former des citoyens, creer une armee qui soit un peuple; appeler la science au secours de la guerre; etudier le procede prussien, comme Rome a etudie le procede punique; se fortifier, s'affermir, se regenerer, redevenir la grande France, la France de 92, la France de l'idee et la France de l'epee. (Tres bien! tres bien!)

      Puis, tout a coup, un jour, elle se redressera! Oh! elle sera formidable; on la verra, d'un bond, ressaisir la Lorraine, ressaisir l'Alsace!

      Est-ce tout? non! non! saisir, – ecoutez-moi, – saisir Treves, Mayence,

      Cologne, Coblentz…

       Sur divers bancs. – Non! non!

      M. VICTOR HUGO. – Ecoutez-moi, messieurs. De quel droit une assemblee francaise interrompt-elle l'explosion du patriotisme?

       Plusieurs membres. – Parlez, achevez l'expression de votre pensee.

      M. VICTOR HUGO. – On verra la France se redresser, on la verra ressaisir la Lorraine, ressaisir l'Alsace. (Oui! oui! – Tres bien!) Et puis, est-ce tout? Non… saisir Treves, Mayence, Cologne, Coblentz, toute la rive gauche du Rhin… Et on entendra la France crier: C'est mon tour! Allemagne, me voila! Suis-je ton ennemie? Non! je suis ta soeur. (Tres bien! tres bien!) Je t'ai tout repris, et je te rends tout, a une condition: c'est que nous ne ferons plus qu'un seul peuple, qu'une seule famille, qu'une seule republique. (Mouvements divers.) Je vais demolir mes forteresses, tu vas demolir les tiennes. Ma vengeance, c'est la fraternite! (A gauche: Bravo! bravo!) Plus de frontieres! Le Rhin a tous! Soyons la meme republique, soyons les Etats-Unis d'Europe, soyons la federation continentale, soyons la liberte europeenne, soyons la paix universelle! Et maintenant serrons-nous la main, car nous nous sommes rendu service l'une a l'autre; tu m'as delivree de mon empereur, et je te delivre du tien. (Bravo! bravo! – Applaudissements.)

* * * * *

      M. TACHARD. – Messieurs, au nom des representants de ces provinces malheureuses dont on discute le sort, je viens expliquer a l'Assemblee l'interruption que nous nous sommes permise au moment meme ou nous etions tous haletants, ecoutant avec enthousiasme l'eloquente parole qui nous defendait.

      Ces deux noms de Mayence et de Coblentz ont ete prononces naguere par une bouche qui n'etait ni aussi noble ni aussi honnete que celle que nous venons d'entendre. Ces deux noms nous ont perdus, c'est pour eux que nous subissons le triste sort qui nous attend. Eh bien, nous ne voulons plus souffrir pour ce mot et pour cette idee. Nous sommes francais, messieurs, et, pour nous, il n'y a qu'une patrie, la France, sans laquelle nous ne pouvons pas vivre. (Tres bien! tres bien!) Mais nous sommes justes parce que nous sommes francais, et nous ne voulons pas qu'on fasse a autrui ce que nous ne voudrions pas qu'il nous fut fait. (Bravo! – Applaudissements.)

      III

DEMISSION DES REPRESENTANTS D'ALSACE ET DE LORRAINE

      Apres le vote du traite, les representants d'Alsace et de Lorraine envoyerent a l'Assemblee leur demission.

      Les journaux de Bordeaux publierent la note qu'on va lire:

      "Victor Hugo a annonce hier jeudi, dans la reunion de la gauche radicale, qu'il proposerait a l'Assemblee la declaration suivante:

      "Les representants de l'Alsace et des Vosges conservent tous indefiniment leurs sieges a l'Assemblee. Ils seront, a chaque election nouvelle, consideres comme reelus de droit. S'ils ne sont plus les representants de l'Alsace et de la Lorraine, ils restent et resteront toujours les representants de la France."

      "Le soir meme, la gauche radicale eut une reunion speciale dans la salle Sieuzac. La demission des representants lorrains et alsaciens fut mise a l'ordre du jour. Le representant Victor Hugo se leva et dit:

      Citoyens, les representants de l'Alsace et de la Lorraine, dans un mouvement de genereuse douleur, ont donne leur demission. Nous ne devons pas l'accepter. Non seulement nous ne devons pas l'accepter, mais nous devrions proroger leur mandat. Nous partis, ils devraient demeurer. Pourquoi? Parce qu'ils ne peuvent etre remplaces.

      A cette heure, du droit de leur heroisme, du droit de leur malheur, du droit, helas! de notre lamentable abandon qui les laisse aux mains de l'ennemi comme rancon de la guerre, a cette heure, dis-je, l'Alsace et la Lorraine sont France plus que la France meme.

      Citoyens, je suis accable de douleur; pour me faire parler en ce moment, il faut le supreme devoir; chers et genereux collegues qui m'ecoutez, si je parle avec quelque desordre, excusez et comprenez mon emotion. Je n'aurais jamais cru ce traite possible. Ma famille est lorraine, je suis fils d'un homme qui a defendu Thionville. Il y a de cela bientot soixante ans. Il eut donne sa vie plutot que d'en livrer les clefs. Cette ville qui, defendue par lui, resista a tout l'effort ennemi et resta francaise, la voila aujourd'hui prussienne. Ah! je suis desespere. Avant-hier, dans l'Assemblee, j'ai lutte pied a pied pour le territoire; j'ai defendu la Lorraine et l'Alsace; j'ai tache de faire avec la parole ce que mon pere faisait avec l'epee. Il fut vainqueur, je suis vaincu. Helas! vaincus, nous le sommes tous. Nous avons tous au plus profond du coeur la plaie de la patrie. Voici le vaillant maire de Strasbourg qui vient d'en mourir. Tachons de vivre, nous: Tachons de vivre pour voir l'avenir, je dis plus, pour le faire. En attendant, preparons-le. Preparons-le. Comment?

      Par la resistance commencee des aujourd'hui.

      N'executons l'affreux traite que strictement.

      Ne lui accordons expressement que ce qu'il stipule.

      Eh bien, le traite ne stipule pas que l'Assemblee se retranchera les representants de la Lorraine et de l'Alsace; gardons-les.

      Les laisser partir, c'est signer le traite deux fois. C'est ajouter a l'abandon force l'abandon volontaire.

      Gardons-les.

      Le traite n'y fait aucun obstacle. Si nous allions au dela de ce qu'exige le vainqueur, ce serait un irreparable abaissement. Nous ferions comme celui qui, sans y etre contraint, mettrait en terre le deuxieme genou.

      Au contraire, relevons la France.

      Le


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