Mathilde. Эжен Сю
main.
– Ah! mon Dieu! – s'écria ma tante; – qu'est-ce que vous me dites donc là, Gontran? C'est comme un coup de tonnerre… je n'en reviens pas. Ça ne s'est jamais vu, un mariage arrangé de cette façon-là!
– Vous dites vrai, madame; si vous accordiez votre consentement, et si j'en crois mon cœur, ce mariage serait unique entre tous les mariages, – dit Gontran en me regardant.
– Mais c'est qu'en vérité j'en suis tout ébaubie. Ça ne se fait jamais comme ça, mon pauvre Gontran! Ce sont les grands parents qui se chargent de ces ouvertures-là, avec toutes sortes de préliminaires et de préambules. On en cause quelquefois huit jours, et, après d'autres préambules encore, on fait venir la petite fille, et on lui dit qu'il se pourrait bien qu'on songeât un jour à la marier; que dans ce cas là, un jeune homme qui réunirait tels, tels et tels avantages, semblerait un parti sortable.
– Eh bien! ma tante, – dis-je gaiement à mademoiselle de Maran; – figurez-vous que ces huit jours, que ces longs préambules ont duré, et que vous avez dit à la petite fille qu'un parti sortable se présentait…
– Eh bien? – dit ma tante.
– Eh bien! la petite fille accepte avec une profonde reconnaissance, – dis-je à mademoiselle de Maran en lui prenant tendrement la main pour la première fois de ma vie.
Je trouvai cette main glacée. Elle serra longtemps la mienne dans ses longs doigts décharnés, en attachant sur moi un regard perçant, puis elle sourit comme elle pouvait sourire.
Je ne pus vaincre un sentiment de vague frayeur qui se dissipa aussitôt.
– Vous voulez donc bien de cet abominable mauvais sujet-là pour mari, mon enfant?.. Allons, soit, je ne veux pas vous contrarier… J'y consens… sauf l'approbation de M. d'Orbeval, votre tuteur, et celle de votre oncle, Gontran.
– Il devait vous faire lui-même cette demande, madame, – dit M. de Lancry transporté de joie.
– Ah! ma tante! vous êtes pour moi une seconde mère!.. – m'écriai-je dans ma joie, en embrassant mademoiselle de Maran avec effusion.
– Ah! ah! entendez-vous cette folle? – dit ma tante en riant aux éclats, de son rire strident et moqueur; une seconde mère!..
– Hélas! j'avais blasphémé en donnant à mademoiselle de Maran le nom d'une mère… Dieu devait m'en punir cruellement…
Le soir, à neuf heures, Gontran revint avec son oncle, M. de Versac. Il annonça officiellement à ma tante que le roi avait eu la bonté de permettre de substituer son titre de duc et sa pairie à M. de Lancry lorsque ce dernier se marierait.
– Ce qui fait qu'un jour vous serez duchesse, ce qui est certes fort agréable, quand on joint à cela plus de cent mille livres de rentes, – dit mademoiselle de Maran. – Puis elle ajouta:
– A propos de rentes, j'ai fait fermer ma porte ce soir. Nous avons à causer contrat avec M. de Versac. Les amoureux n'ont rien à y entendre. Laissez-nous donc tranquilles, et allez-vous-en dans ma bibliothèque.
Que dirai-je de cette soirée si délicieusement employée à parler d'un avenir qui s'offrait si splendide? Était-il possible de réunir plus de chances certaines de bonheur? Esprit, beauté, charme, délicatesse, mérite, naissance, fortune, celui que je devais épouser ne possédait-il pas tous ces avantages?
CHAPITRE XII.
LA LETTRE
En remontant chez moi, quelle fut ma surprise? je trouvai dans mon cabinet d'études une énorme corbeille de jasmins et d'héliotropes, mes deux fleurs de prédilection.
Nous étions au mois de février. C'était depuis le matin seulement que Gontran avait pour ainsi dire le droit de m'offrir des fleurs; je ne pus concevoir comment en si peu de temps il avait pu réunir cette masse de fleurs, plus rares encore que précieuses dans cette saison.
Je fus profondément touchée de cette prévenance. Blondeau m'attendait. Je lui dis tout mon bonheur, toutes mes espérances. Après m'avoir écoutée attentivement, cette excellente femme me répondit:
– Sans doute, mademoiselle, je crois que M. le vicomte de Lancry est bien aussi charmant que vous le dites; un jour il sera duc et pair… c'est possible; mais permettez-moi de vous faire observer qu'avant de se marier, il est toujours prudent de prendre des informations.
– Comment! des informations? tu es folle! Est-ce que M. le duc de Versac, son oncle, n'en a pas donné à ma tante…
Blondeau secoua la tête.
– Les informations des parents, mademoiselle, sont toujours bonnes; ce n'est pas à celles-là qu'il faut croire, ni même souvent à celles du monde.
– Où veux-tu en venir?
– Tenez, mademoiselle, si vous vouliez me le permettre, je trouverais moyen, en faisant causer les gens de M. le vicomte à l'office, de savoir bien des choses.
– Ah! c'est indigne!.. Et c'est vous qui osez me parler d'un vil espionnage!.. Rappelez-vous bien une chose, – m'écriai-je, – c'est que si vous faites le moindre cas de mon attachement pour vous, vous me promettrez à l'instant même de ne pas faire la moindre question aux gens de M. de Lancry.
– Mais, mademoiselle, c'est votre tante qui, à bien dire, a arrangé ce mariage! Oubliez-vous donc toutes ses méchancetés? la haine qu'elle portait à cette pauvre madame la marquise votre mère, qu'elle a fait mourir de chagrin!.. Au moment de vous lier pour jamais, réfléchissez bien, mademoiselle… Pardonnez-moi si je vous parle ainsi. Je ne suis qu'une pauvre femme, mais je vous aime comme mon enfant; ce sentiment-là me donne des idées au-dessus de ma position et le courage de vous les dire. Pauvre mademoiselle, vous êtes si confiante, si bonne, si généreuse, que vous ne vous défiez de personne. C'est comme pour mademoiselle Ursule, je ne la crois pas franche, malgré ses soupirs et ses airs de victime…
– Écoutez-moi, Blondeau: je comprends qu'une sorte de jalousie d'affection vous porte à parler injustement de mademoiselle d'Orbeval, aussi j'excuse ce sentiment; mais je vous prie de ne pas vous permettre la moindre allusion à une union que je veux contracter, parce qu'elle est honorable et belle. Je sais ce que je fais; je ne suis plus une enfant. Ce n'est pas mademoiselle de Maran qui m'a parlé de ce mariage; c'est moi qui lui en ai parlé… D'ailleurs, je le sens là… ma mère vivrait encore qu'elle approuverait le choix de mon cœur…
– Mademoiselle, une dernière observation. Si, comme vous n'en doutez pas, les renseignements qu'on peut avoir sur M. le vicomte sont bons, qu'est-ce que cela vous fait que?..
– Écoutez, – dis-je à Blondeau d'un ton très-ferme, – je ne puis vous empêcher d'agir à votre tête; mais quoi qu'il doive m'en coûter, oui, m'en coûter beaucoup, de me priver de vos services… je vous déclare que si vous me dites encore un mot à ce sujet, j'assure votre sort et je vous éloigne pour toujours de moi…
– Ah! mademoiselle, ne me regardez pas ainsi. Mon Dieu! c'est comme lorsque étant toute petite et égarée par les méchants conseils de votre tante, vous m'avez dit que j'aimais mieux l'argent que tout.
Et la pauvre femme se mit à fondre en larmes.
– Ah! – lui dis-je avec une impatience chagrine et presque durement, – j'étais si heureuse! faut-il qu'avec vos ridicules visions vous veniez me distraire de ce bonheur?
Puis, ne voulant laisser à personne le soin de toucher à la précieuse corbeille de fleurs que Gontran m'avait envoyée, je la pris et je l'emportai dans ma chambre. De ce jour, je m'habituai à avoir des fleurs près de moi sans rien en ressentir qu'une sorte de légère torpeur qui n'est pas sans charme.
Peu à peu l'impatience que m'avait causée Blondeau se dissipa sous le charme de mes souvenirs de la journée. Mes préoccupations avaient été si puissantes que je n'avais pas encore ouvert la lettre d'Ursule, qui m'annonçait son mariage.
J'ai gardé cette lettre ainsi que plusieurs autres…