Mathilde. Эжен Сю

Mathilde - Эжен Сю


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mari. Son cœur est généreux, il t'aime avec idolâtrie; essaye au contraire de l'élever jusqu'à toi… Tout à l'heure, n'as-tu pas vu avec quel empressement il accueillait les observations de mademoiselle de Maran? Juge donc de quelle autorité seraient les tiennes sur lui? Ursule, ma sœur, songe à cela… Sans doute, je t'aurais désiré une autre union; mais enfin celle-ci est accomplie. Ne repousse donc pas les chances de bonheur qu'elle t'offre.

      – Du bonheur, Mathilde? à moi du bonheur?.. oh! jamais.

      – Si, si, du bonheur… Ton mari est bon, franc, loyal… Il est riche, il t'aime. Il n'est pas d'une très-jolie figure; ses manières, son langage manquent d'élégance; soit; mais cela est-il donc irréparable? Mon Dieu! cela s'apprend si vite, l'exemple est tout! Et tu seras pour lui un si charmant exemple à étudier! Et puis, enfin, veux-tu que nous t'aidions?.. Oui, pour te rendre cette éducation plus facile, – lui dis-je en souriant, – veux-tu que moi et Gontran nous allions passer cet été quelque temps chez toi? Si tu ne veux pas encore prendre de maison à Paris, tu viendras chez nous. Aujourd'hui nous avons vu une maison assez grande pour que nous puissions t'offrir un appartement. Eh bien! mon projet, qu'en dis-tu?

      – Je dis que tu es toujours la meilleure des amies, la plus tendre des sœurs! – me dit Ursule en m'embrassant avec effusion. – Je dis que près de toi j'oublie mon malheur, et que tu as toujours le don de me faire espérer. Mais, hélas! maintenant, Mathilde, il me sera difficile de me faire illusion.

      – Je ne te demande pas de te faire illusion: je ne te demande que de croire aux réalités… Tu verras ton mari dans un an! Combien ton amour pour lui l'aura transformé!

      – Mais vois combien le chagrin rend égoïste! – me dit Ursule; – je ne te parle pas de ton bonheur; tu dois être si heureuse, toi!

      – Oh! oui, maintenant surtout que tu es là pour partager ce bonheur… Tiens, Ursule, si je te savais sans chagrin, je ne connaîtrais pas de félicité égale à la mienne: Gontran est si bon, si dévoué! c'est un si noble cœur, un caractère si élevé! et puis, il me comprend si bien! Oh! je le sens là… à la sécurité de mon cœur, c'est un bonheur de toute la vie. Il m'inspire une confiance inaltérable; la mort seule pourrait la troubler. Et encore! Non, non, quand on s'aime ainsi, quand on est aussi heureuse que je le suis, l'on ne survit pas; on meurt la première… Non, rien au monde ne pourrait m'ôter cette conviction, que je serai la plus heureuse des femmes, et que ce bonheur durera toute ma vie, ou plutôt toute la vie de Gontran!

      Maintenant encore, quoique ces prévisions de mon cœur aient été bien cruellement déçues, mon ami, je me souviens que cette créance à un avenir heureux était absolue, aveugle.

      Huit jours après l'arrivée d'Ursule, toute notre famille devait se rassembler le soir pour la signature de mon contrat de mariage avec M. de Lancry.

      Mademoiselle de Maran avait obtenu du maire de notre arrondissement de nous marier le soir après cette cérémonie, afin d'éviter les curieux.

      CHAPITRE IV.

      LA LETTRE

      Le jour de la signature du contrat, je fus réveillée selon mon habitude par Blondeau, qui m'apporta la corbeille d'héliotrope et de jasmin que depuis six semaines Gontran m'envoyait chaque matin.

      J'ai toujours attaché une importance extrême à ce qu'on appelle vulgairement les petites choses. Des attentions délicates, quand elles sont persistantes, prouvent la constante occupation de la pensée; les occasions où l'on peut montrer son dévouement par quelque acte éclatant sont si rares, qu'il vaut mieux donner, si cela se peut dire, la monnaie courante de ce dévouement.

      Ceux qui le réservent absolument pour les circonstances extraordinaires semblent vous dire: Noyez-vous… jetez-vous au milieu des flammes, et alors vous saurez ce que je vaux.

      Fataliste de cœur, comme je l'étais, cette corbeille de fleurs de chaque matin avait pour moi une grande signification. Le souvenir du premier aveu de Gontran s'y rattachait, et je songeais avec un indicible bonheur que désormais chaque jour commencerait pour moi par une pensée de lui, qui me viendrait au milieu de mes fleurs de prédilection.

      De très-bonne heure j'allai à l'église avec madame Blondeau. En voyant arriver le moment où j'allais appartenir à Gontran, plus que jamais j'éprouvais l'irrésistible besoin de prier, de bénir Dieu, et de mettre cet avenir de bonheur sous la protection du ciel et de ma mère.

      Je ressentais une joie sereine, confiante et grave; bien souvent, dans la journée, mes yeux se mouillèrent de douces larmes, cela sans raison. C'étaient des attendrissements vagues, involontaires, toujours terminés par des élans de reconnaissance ineffable et religieuse.

      Vers les quatre heures, mademoiselle de Maran me fit venir dans sa chambre, où je n'étais pas entrée depuis fort longtemps. Je ne puis vous dire, mon ami, ce que j'éprouvai en me retrouvant dans cet appartement, qui me rappelait les scènes cruelles de mon enfance. Rien n'y était changé: c'était toujours le crucifix, les vitraux coloriés, le secrétaire de laque rouge, les chimères vertes sur la cheminée, et sous les cages de verre, les aïeux de Félix, qui allait, sans doute, bientôt les rejoindre.

      Mademoiselle de Maran était assise devant son secrétaire; je vis sur la tablette un écrin, un portefeuille, un paquet cacheté, et un médaillon que ma tante considérait avec tant d'attention, qu'elle ne s'aperçut pas de mon entrée chez elle.

      Ses traits, toujours si dédaigneux, avaient une expression de tristesse sévère que je ne lui avais jamais vue. Ses lèvres minces n'étaient plus contractées par le sourire d'implacable ironie qui la rendait si redoutable. Elle semblait soucieuse et accablée.

      J'hésitais à lui parler. En m'appuyant sur la cheminée, je remuai un flambeau. Mademoiselle de Maran retourna vivement la tête.

      – Qui est là? – s'écria-t-elle. Elle me vit, laissa retomber le médaillon qu'elle tenait à la main et resta quelques moments rêveuse.

      – Nous allons nous séparer, Mathilde, – me dit-elle avec un accent de douceur qui me rendit muette de surprise. – Votre première jeunesse n'a pas été heureuse, n'est-ce pas? Ce sera toujours avec amertume que vous vous souviendrez du temps que vous avez passé près de moi.

      – Madame…

      – Oh! ça doit être… je le sais bien, – reprit-elle d'une voix lente, et comme si elle se fût parlé à elle-même. – Vous m'avez souvent trouvée dure, acariâtre, à votre égard. Je n'ai pas été pour vous ce que j'aurais dû être… Non, je le sais bien… C'est sans doute pour cela que j'éprouve une sorte de chagrin de vous quitter. Au moins votre jolie et jeune figure animait un peu cette maison… Je suis bien vieille… et à cet âge il est triste de rester toute seule, d'attendre son dernier jour avec un chien pour tout compagnon, et puis de mourir seule… sans être plainte, sans être regrettée.

      Après quelques moments de sombre silence, elle reprit avec douceur: – Mathilde… soyez généreuse, ne vous en allez pas d'ici avec un mauvais ressentiment de moi, cela rendrait ma solitude plus pénible encore!

      Mademoiselle de Maran devait être sincère en me parlant ainsi. Les caractères les plus méchants ne sont pas à l'abri de certains retours sur eux-mêmes. D'ailleurs l'expression de ses traits, de sa voix, trahissait son émotion. Elle n'avait aucun intérêt à jouer cette comédie devant moi.

      Je fus profondément sensible à cette preuve d'intérêt, la seule que ma tante m'eût jamais donnée. J'avais été plus joyeuse que touchée de son consentement à mon mariage avec Gontran. Je savais qu'à la rigueur j'aurais pu me passer de son adhésion; et, sans exagération de vanité, je sentais que ma tante devait être satisfaite, tout en assurant mon bonheur, de pouvoir donner ma main au neveu d'un de ses amis intimes; mais, dans cette circonstance, les regrets affectueux que me témoignait mademoiselle de Maran m'émurent profondément.

      Je pris sa main, je la portai à mes lèvres, et je la baisai cette fois avec une tendre vénération. Elle avait la tête baissée; je ne voyais que son front.


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